– Un gentilhomme, répétait Gaëtan. Vous a-t-il dit son nom?
– Oui, mais je ne m’en souviens plus.
La duchesse intervint:
– Ne serait-ce point Capeloni?
– C’est ça.
– Mordious!… s’écriait Castel-Rajac, tandis que la duchesse pâlissait légèrement.
» Dites au comte de Capeloni que je le rejoins.
– Ou plutôt non, ordonna la duchesse, priez-le de monter sur-le-champ.
M meLopion ne se le fit pas dire deux fois et s’en fut s’acquitter de sa mission avec tout le zèle dont elle était capable.
Demeuré seul avec la duchesse, Castel-Rajac remarqua la préoccupation répandue sur ses traits:
– Vous craignez qu’il se soit passé là-bas quelques fâcheux événements?
– Je le crains.
– Le mari?
– Nous allons tout savoir. Il est certain, pour que le comte soit venu nous rejoindre aussi rapidement…
Elle s’arrêta. On frappait à la porte. M meLopion faisait entrer dans la pièce M. de Mazarin, qui, s’inclinant devant la duchesse et tendant la main à Castel-Rajac, s’écria:
– Dieu soit loué, j’arrive à temps!
Le premier mot de M mede Chevreuse fut:
– Et notre amie?
Mazarin répliqua:
– Quand je l’ai quittée, il y a quatre jours environ, elle se portait aussi bien que possible, mais, depuis ce moment, j’ignore ce qui a pu se passer et je ne vous cacherai pas que je suis en proie aux plus vives angoisses.
Gênée par la présence de Castel-Rajac que, décemment, elle ne pouvait congédier, la duchesse interrogea:
– Le mari aurait-il vent de quelque chose?
– Non! déclara nettement Mazarin, en mettant aussitôt son langage et son attitude à l’unisson de ceux de M mede Chevreuse. J’ai même acquis la certitude qu’il n’avait pas l’ombre d’un soupçon. Vous connaissez son indifférence conjugale. J’ai la conviction qu’en ce moment il ne pense nullement à son épouse et qu’il croit fermement celle-ci en train de prier le Seigneur. Mais il n’en est point de même de son… intendant…
À ces mots, la belle Marie de Rohan eut un mouvement de recul. L’intendant, n’était-ce pas Richelieu? Mieux que personne, elle savait combien Anne d’Autriche avait à redouter de l’homme d’État qui l’exécrait, non seulement parce qu’elle avait toujours contrecarré sa politique, mais parce qu’elle avait un jour repoussé les offres amoureuses du cardinal qui s’était mis en tête de suppléer à l’insuffisance du roi et de donner un héritier à la couronne de France.
Aussi ne put-elle s’empêcher de souligner:
– Si l’intendant a découvert notre secret, tout est perdu.
Castel-Rajac commençait à bouillir d’impatience:
– Ah ça! cet intendant est donc si puissant, pour qu’il vous inspire de pareilles craintes.
Et, tout en tourmentant la poignée de son épée, il ajouta:
– Que je sache seulement où il se loge et comment il se nomme, je me charge de lui passer mon épée au travers du corps, aussi facilement que maître Lopion met un dindon à son tournebroche.
Mazarin répliqua vivement:
– Mon cher chevalier, modérez vos ardeurs et renoncez à pourfendre ce faquin. Une telle équipée ne pourrait que provoquer un scandale qui compromettrait à tout jamais l’honneur d’une femme, que M mela duchesse de Chevreuse et moi nous avons le devoir de défendre avec encore plus d’acharnement que vous.
– Je me tais, dit aussitôt le jeune Gascon, mais sachez que vous pouvez entièrement compter sur moi, en toute heure, en toute circonstance. J’ai juré de veiller sur l’enfant. N’est-ce pas le défendre que défendre aussi sa mère?
– Quel brave cœur! murmura M mede Chevreuse, en enveloppant le jeune homme d’un regard plein de tendresse.
Puis, se tournant vers Mazarin:
– Mon cher comte, continuez, je vous en prie.
Mazarin déclara:
– Cet intendant, qui, depuis un certain temps, faisait espionner votre amie, a réussi à découvrir sa retraite et à acquérir la preuve de sa maternité clandestine. Mais, comme, de mon côté, je prévoyais que cet intendant cherchait à s’informer et qu’il était parfaitement capable de découvrir la vérité, je l’ai fait surveiller, moi aussi, et j’ai pu apprendre qu’il avait donné ordre de vous faire rechercher par des agents secrets et de vous faire arracher à n’importe quel prix, l’enfant que vous protégez.
– Cet intendant, intervint Gaëtan, m’a tout l’air de dépasser les limites. Mordious, est-il donc si puissant pour arriver à ses fins?
– Hélas! oui, déclara M mede Chevreuse. Son maître est l’un des plus intimes amis du cardinal et celui-ci n’a rien à lui refuser. Je ne serais donc nullement surprise que Richelieu eût mis à sa disposition toutes les forces de sa police.
– Certainement, appuya Mazarin. Voilà pourquoi je me suis empressé de courir à francs étriers jusqu’à vous, afin de vous prévenir que vous eussiez à vous tenir sur vos gardes.
– Qu’ils y viennent! clama le jeune Gascon.
– Soyez tranquille, appuya Mazarin, ils y viendront.
– Eh bien, foi de gentilhomme, je vous garantis qu’ils ne nous prendront pas le petit.
– Ils auront la force et le nombre, objecta l’Italien.
– Mais nous serons la ruse, répliqua le Gascon.
– À la bonne heure, approuva Mazarin. Il me plaît de vous entendre parler ainsi.
– Auriez-vous déjà trouvé un expédient? interrogea Marie de Rohan.
– Oh! bien mieux qu’un expédient… déclara Gaëtan. Et je crois que si les argousins de l’intendant viennent ici tenter l’aventure, ils s’en retourneront fortement déçus; car je leur ménage une de ces petites farces, comme on sait en préparer dans ce pays.
– Quoi donc? interrogea la duchesse.
Castel-Rajac s’en fut à pas de loup vers la porte. Brusquement, il l’ouvrit et il aperçut la silhouette de M meLopion qui fuyait dans l’ombre du couloir.
– L’aubergiste nous écoutait, fit-il. Je n’étais point sans m’en douter et j’ai bien fait de m’en assurer avant de continuer.
» Mais, ainsi que le dit le proverbe, un homme averti en vaut deux… et, comme j’ai tout lieu de penser qu’ici les murs ont des oreilles, permettez-moi maintenant de vous parler tout bas. Je crois que c’est encore le moyen pour qu’aucune indiscrétion ne soit commise.»
M mede Chevreuse et Mazarin se rapprochèrent du chevalier qui leur murmura son projet. Celui-ci parut les satisfaire, car, à mesure que Gaëtan s’exprimait, leur visage prenait à tous deux une expression joyeuse.
Quand il eut terminé, la duchesse fit:
– Je trouve votre idée excellente. Qu’en pensez-vous, mon cher comte?
– Je l’approuve entièrement et je suis convaincu qu’il était impossible de jouer un meilleur tour à ces gens et de se tirer avec une désinvolture plus élégante d’une histoire qui risquait d’avoir les plus redoutables conséquences.
Enchanté de l’accueil chaleureux que son projet venait de rencontrer, Castel-Rajac s’écria:
– En vertu de ce principe qu’il faut battre le fer quand il est chaud je veux vous demander la permission d’aller me livrer aux préparatifs que réclame l’exécution du plan que je viens de vous dévoiler.
– Allez, mon ami, s’écria la belle Marie. Laissez-moi vous dire auparavant que jamais je n’oublierai…
– Ne me remerciez pas, je vous en prie, interrompit le jeune Gascon qui semblait radieux de jouer un rôle aussi important dans cette équipée dont il ignorait totalement le véritable secret.
Et il ajouta, en adressant un petit salut à sa maîtresse:
– Croyez, chère madame, que, quoi qu’il arrive, c’est toujours moi qui serai votre humble et reconnaissant serviteur!
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