– Dès ce soir!
– Est-ce possible?
– J’en ai la conviction.
Bouillant d’impatience, le jeune Gascon s’écria:
– Alors, partons tout de suite.
– Si vous le voulez, accepta aussitôt le comte Capeloni, qui semblait disposé à favoriser de son mieux les ardeurs de son compagnon.
Déjà, celui-ci appelait la servante pour lui régler son repas, mais l’Italien l’arrêta, en disant:
– Souffrez que cela soit moi qui vous régale.
– Ah! je n’en ferai rien, c’est moi, plutôt, qui veux…
– Je vous en prie, insista l’Italien, ne me privez pas de vous offrir votre souper. Grâce à vous, je viens de rencontrer sur ma route un vrai gentilhomme de France qui, je l’espère, ne va pas tarder à devenir mon ami.
– Il l’est déjà, déclarait Castel-Rajac avec élan.
L’Italien régla les deux repas et sortit avec Gaëtan dans la cour de l’hostellerie. Là, il dit à ce dernier:
– Veuillez m’attendre ici pendant une heure environ. Si, comme j’en suis persuadé, la duchesse consent à vous recevoir, je vous enverrai un émissaire qui vous conduira jusqu’à elle.
– Et si elle refuse? interrogeait Gaëtan, déjà inquiet.
– Elle ne refusera pas, heureux coquin! répondit l’Italien, en partant d’un franc éclat de rire!
CHAPITRE III LA DUCHESSE ET LE CHEVALIER
Comme toujours, le cardinal de Richelieu avait été exactement renseigné. C’était bien dans une simple gentilhommière située aux alentours du château de Chevreuse, qu’Anne d’Autriche, sur le point d’être mère, était venue se cacher. Sa meilleure amie, la duchesse de Chevreuse, l’une des femmes les plus jolies et, à coup sûr, la plus intelligente et la plus spirituelle de son temps, lui avait ménagé cette retraite où toutes les précautions avaient été prises pour que l’événement se passât dans le plus grand mystère.
Il avait d’abord été convenu qu’en dehors d’elle et une sage-femme, qu’elle avait fait venir de Touraine et qui, par conséquent, ne connaissait point la future accouchée, nul n’approcherait la reine.
Anne d’Autriche, confinée dans une chambre située au premier étage, tout au fond d’un couloi roù nul n’avait le droit de s’aventurer, attendait, non sans angoisse, l’heure de la délivrance.
Ce soir-là, après avoir apporté elle-même à la reine son repas du soir et l’avoir réconfortée par quelques-unes de ces paroles affectueuses et enjouées dont elle avait le secret, la duchesse était descendue dans un modeste salon du rez-de-chaussée, d’où elle pouvait surveiller, à travers les fenêtres donnant sur un jardin, les allées et venues des rares domestiques de la maison.
Bientôt, il lui sembla entendre un bruit de pas sur le gravier. Elle ne se trompait pas. Moins de deux minutes après un laquais introduisit dans le salon le comte Capeloni qui, tout en saluant, dit à la duchesse:
– Je vous apporte, je crois, une nouvelle qui va doublement vous faire plaisir.
– Laquelle donc, monsieur de Mazarin?
L’amant d’Anne d’Autriche répliqua aussitôt:
– J’ai trouvé l’homme qu’il nous faut et, cet homme, vous le connaissez!
– Son nom?
– Le chevalier Gaëtan de Castel-Rajac!…
– Quelle est cette plaisanterie? s’écria la belle Marie.
– Je ne plaisante pas, affirma l’Italien… J’ai soupé tout à l’heure avec ce gentilhomme et, ayant appris qu’il était venu ici pour vous retrouver…
– Il connaissait donc mon nom? interrompit M mede Chevreuse.
– Il n’a même pas été très long à le découvrir, car il ne manque ni de charme… ni de finesse.
Feignant un vif mécontentement, la duchesse s’écria:
– Alors, il a eu l’insolence de vous raconter…
– Il a été au contraire d’une discrétion admirable, affirma Mazarin. C’est moi qui lui ai tiré les vers du nez.
– Cela ne m’étonne pas de vous, déclara Marie, car vous seriez capable de faire parler une statue. Mais continuez.
– J’ai promis au chevalier de Castel-Rajac que vous le recevriez dans une heure.
– Monsieur de Mazarin, vous mettez le comble à vos impertinences.
– Madame la duchesse, ne soyez point courroucée, je vous en prie. Vous qui êtes la bonté, la générosité mêmes, vous ne pouvez décourager un amoureux qui vous est resté fidèle depuis de si longs mois et n’a pas hésité à quitter sa famille et à faire un voyage aussi hasardeux pour s’en venir tout simplement apercevoir de loin votre adorable silhouette. Et puis, laissez-moi vous le dire, bien que vous exerciez encore sur vos amis de si terribles ravages, je ne crois pas que vous ayez encore inspiré un amour aussi franc, aussi puissant que celui dont brûle pour vous ce jeune et intrépide Gascon. Je suis certain que vous lui demanderiez de sacrifier sa vie pour vous qu’il n’hésiterait pas une seconde à le faire.
– Je n’ai nullement cette intention, déclara Marie de Rohan.
– Vous ne seriez peut-être pas fâchée de rencontrer, pour vous accompagner au cours du voyage très périlleux que vous allez entreprendre, un cavalier dont vous avez déjà pu apprécier la bravoure, la loyauté et… le dévouement!
– Je vous comprends, déclara la duchesse, devenue pensive. Ce n’est peut-être point une mauvaise idée!
Et, d’un ton qui n’était pas exempt d’une certaine ironie, elle ajouta:
– Puisque vous, monsieur de Mazarin, vous ne pouvez pas m’accompagner!…
– Dieu sait si j’en suis désolé, s’écria l’Italien avec toutes les apparences de la sincérité. Mais vous n’ignorez pas que Sa Majesté la reine l’a interdit et qu’Elle tient absolument, en cas d’alerte toujours possible, que je sois auprès d’elle.
La belle Marie se taisait. Sans doute réfléchissait-elle à la proposition que venait de lui faire son interlocuteur car la charmante amie d’Anne d’Autriche avait conservé un excellent souvenir du bref et tendre moment qu’elle avait passé en compagnie de l’ardent Méridional.
Il ne lui en avait pas fallu davantage pour se rendre compte que si Castel-Rajac était un gentilhomme vaillant et sûr entre tous, il était aussi un de ces amants qu’il n’est point donné à une amoureuse de rencontrer souvent sur sa route.
Mazarin l’observait du coin de l’œil. On eût dit qu’il devinait toutes ses pensées; car, à mesure que M mede Chevreuse se plongeait dans ses réflexions, un sourire de satisfaction entrouvrait ses lèvres.
Redressant son joli front qu’encadraient ses cheveux blonds d’une auréole de boucles naturelles, Marie lança, sur un ton de parfaite bonne humeur:
– Décidément, monsieur de Mazarin, vous avez encore et toujours raison. Faites savoir au chevalier de Castel-Rajac que je l’attends.
L’Italien riposta aussitôt:
– Madame, il sera ici dans une demi-heure.
Et, s’inclinant avec grâce devant la charmante femme, il se retira aussitôt.
Demeurée seule, M mede Chevreuse quitta le salon, remonta l’escalier et s’en fut doucement frapper à la porte de la chambre où se cachait Anne d’Autriche. L’huis s’entrebâilla doucement, laissant apercevoir seulement la tête de la sage-femme, qui ne quittait plus le chevet de la reine, dans l’attente d’un événement qui ne pouvait plus tarder. C’était une paysanne au visage énergique et intelligent, qui semblait avoir une claire conscience de sa valeur.
– Comment va mon amie? interrogea à voix basse Marie de Rohan.
– Elle repose, répondit la sage-femme, en adoucissant son timbre qui n’était point sans rappeler celui d’un chantre de paroisse.
Et elle ajouta, avec l’air assuré de quelqu’un qui ne se trompe jamais:
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