» Je ne pouvais qu’acquiescer à une telle requête.
» Je ne vous cacherai pas, mon cher comte, que j’étais déjà follement amoureux de mon exquise inconnue. Je fis donc ce qu’elle me demandait. Je ravivai le courage de ses serviteurs, je convainquis le cocher de reprendre ses chevaux en mains et les deux laquais de regagner leur place à l’arrière du carrosse, et, sautant en selle, je conduisis sans encombre mon adorable voyageuse jusqu’au village de Saint-Marcelin, situé à une demi-lieue de là, où il y avait une hostellerie qui, sans être aussi accueillante que celle-ci, n’en offrait pas moins un gîte convenable.
» Je réveillai les tenanciers que je connaissais, et qui s’empressèrent de mettre leur meilleure chambre à la disposition de la jeune femme dont la richesse de l’équipage ne pouvait que favorablement disposer les patrons du Faisan d’Or.
» Je l’aidai à descendre de carrosse. Lorsqu’elle posa sa main sur mon poignet, je sentis comme un frisson me parcourir. Alors, elle me regarda. J’en fus comme étourdi, grisé, car il venait d’allumer en moi un incendie aussi subit que dévorant et, dans un geste spontané et respectueux, je lui saisis la taille et l’attirai vers moi.
» À peine avais-je esquissé ce mouvement que je le regrettai: car j’étais persuadé que j’allais être repoussé; mais il n’en fut rien… Elle me sourit, au contraire. Ah! mordious! ce sourire… Il acheva de m’affoler à un tel point que ma bouche s’approcha de la sienne et que nos lèvres s’unirent!
» Je dois dire, d’ailleurs, mon cher comte, quitte à passer pour un fat, que la charmante femme ne fit rien pour éviter ce baiser.
» Une minute après, je pénétrai avec elle dans l’hostellerie, et au moment où elle mettait le pied sur la première marche de l’escalier qui conduisait à sa chambre, elle se tourna vers moi et me dit à voix basse:
» – Allez m’attendre sous ma fenêtre, allez!
» Je crus que je rêvais. Il n’en était rien car, ayant obéi et m’étant rendu devant l’hostellerie, je n’attendis pas plus de cinq minutes pour voir, à la hauteur du premier étage, au-dessus d’une porte encadrée de pilastres, une baie vitrée s’ouvrir lentement et laisser apparaître, dans un rayon de lune, la tête blonde de mon inconnue.
» Elle se livra à une pantomime qui signifiait clairement: «Tâchez de venir me rejoindre sans que personne s’en aperçoive.» Ce soir-là, je me sentais de taille à escalader les murailles les plus hautes. Aussi, fût-ce pour moi un jeu d’enfant de grimper le long d’un des pilastres jusqu’à la baie derrière laquelle le bonheur semblait m’être promis.
» Mes prévisions se réalisèrent bien au-delà de mes espérances!
» Quelle était cette femme, me demandez-vous, n’est-ce pas? Je ne saurais vous le dire, car non seulement elle refusa de me révéler son nom, mais elle me fit jurer de ne pas interroger ses serviteurs à ce sujet et de respecter son incognito.
» Nous dûmes nous séparer quand le soleil se leva. Je repartis par le même chemin et je rentrai chez moi, ravi de cette aventure à laquelle, cependant, je n’attachais pas une excessive importance. Mais je ne tardai pas à m’apercevoir qu’elle avait pris une place tellement importante dans ma vie, qu’elle allait la bouleverser de fond en comble.
» En effet, mon entrevue avec la mystérieuse femme avait laissé en moi une empreinte telle que, désormais, je ne rêvais plus qu’à elle, si bien que je tombai dans un état d’ennui et bientôt de chagrin tel que ma mère, sans se douter de la raison pour laquelle je me morfondais et dépérissais ainsi, fut la première à me conseiller de partir en voyage, afin de me distraire et de retrouver cette gaieté qui, ainsi qu’elle me le disait, mettait du soleil partout où je passais.»
L’Italien, qui semblait de plus en plus intéressé par l’histoire que le jeune Gascon narrait avec son impétuosité habituelle, demanda:
– Sans doute avez-vous cherché à retrouver la trace de votre belle inconnue?
– Parbleu! Si je lui avais promis sur l’honneur de ne point interroger ses gens, je n’avais point juré de me montrer aussi discret envers les hôteliers. Dès le lendemain, je me rendais à Saint-Marcelin, et j’interrogeai la patronne du Faisan d’Or, qui me déclara qu’à certains propos qu’elle avait surpris entre le cocher et l’un des laquais, leur maîtresse devait être une très grande dame de la Cour, qui, exilée par le cardinal de Richelieu, voyageait en nos lointaines provinces afin de tuer le temps, ou… pour tout autre motif!
» Ces renseignements ne suffirent point à ma curiosité, et je me mis à battre les environs et à m’informer de toute part.
» J’appris alors, monsieur le comte, la chose la plus extraordinaire, la plus inouïe, la plus invraisemblable… Ça, par exemple, je ne vous le dirai jamais.
– Et si je vous le disais, moi? dit assez énigmatiquement l’Italien.
– Ah ça! vous êtes donc sorcier?
– Et qui sait?
– Voyons un peu!
Se rapprochant de son interlocuteur et baissant discrètement la voix, Capeloni murmura:
– Marie de Rohan-Montbazon, duchesse de Chevreuse!
Gaëtan eut un sursaut, qui était un aveu. Et, littéralement ahuri, il reprit, avec un accent de savoureuse candeur:
– Ça, par exemple, je me demande comment vous avez pu…?
Puis, se reprochant déjà d’en avoir trop dit, il voulut protester:
– Vous vous trompez, mon cher comte, ce n’est point…
D’un geste amical, l’Italien l’interrompit, tout en disant:
– Que diriez-vous si je vous conduisais près d’elle?
Cette fois, entièrement désarmé, Castel-Rajac balbutia:
– Vous vous moquez de moi…
– Nullement, mon cher chevalier. Vous m’inspirez, au contraire, une très vive sympathie, et je vous rendrai d’autant plus volontiers le service de vous conduire près de la dame de vos pensées que je sais pertinemment que votre présence ne lui sera nullement désagréable.
– Comment, elle vous a dit!…
– Rien, mais je sais, par une mienne amie à laquelle elle ne cache rien, qu’elle a gardé de son aventure à l’hostellerie du Faisan d’Or un souvenir des plus agréables.
– Ah! mon cher comte, s’écria Gaëtan, débordant d’enthousiasme, béni soit le ciel qui m’a fait vous rencontrer dans cette maison! Sans vous, je crois que je n’eusse jamais osé aborder de front celle à qui, depuis près d’un an, je ne cesse de penser nuit et jour, à un tel point que, dès que j’ai su qu’elle était revenue dans ce pays, je n’ai eu de cesse de la revoir! Et vous dites que vous pourriez me conduire jusqu’à elle?
– Le plus facilement du monde.
– Ah! mon cher comte, je vous en garderai une reconnaissance qui ne finira qu’avec moi-même.
– C’est pour moi un vif plaisir que d’obliger le si galant chevalier que vous êtes.
– Seul, sans votre secours, déclarait le jeune Gascon avec une teinte de mélancolie charmante, je n’aurais jamais osé reparaître devant elle et encore moins lui adresser la parole.
» Je me serais contenté de rôder aux alentours de son château, de m’efforcer d’apercevoir de loin son inoubliable silhouette, d’entendre l’écho de sa voix et de revivre en illusion l’heure unique du paradis que j’ai vécue près d’elle et qui s’est envolée de ma vie, sans espoir de retour. Grâce à vous, je puis espérer encore. Peut-être mieux, je vais la revoir de loin, lui parler, et qui sait, goûter encore la saveur de son baiser.
– Et pourquoi pas? déclara gaiement l’Italien.
– Alors, quand aurai-je la joie que vous me promettez?
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