Que ne partagent-ils son lit !
Elle a tant de chaleur en elle qu'elle ne peut dormir que la fenêtre ouverte, alors que je déteste la fraîcheur des nuits .
Il relit les rapports.
Il faut se méfier des préjugés des peuples. Il ne veut pas que les journaux rapportent des détails ridicules. Il veut voir Savary, ministre de la Police, et le comte de Montalivet, ministre de l'Intérieur. Il faut qu'ils empêchent qu'on « publie tout ce qui viendrait sur moi des correspondances étrangères. Les Allemands sont si connus pour leur niaiserie, qu'ils vont jusqu'à dire que je portais sur ma bouche la pantoufle de Marie-Louise que je ne connaissais pas ! Ce sont des choses qui se recommandent par leur extrême bêtise. Ce sont les journaux de Paris qui doivent dire à l'Europe ce que je fais, et non les gazettes de Vienne ! ».
Il interpelle le comte de Montalivet. Il a connu à Valence cet ancien conseiller au Parlement de Grenoble.
L'une de mes vies, quand j'étais lieutenant d'artillerie .
- Je ne dormirai tranquille, dit-il, que lorsque je serai bien assuré que vous faites votre affaire particulière de vérifier que l'approvisionnement de Paris en blé existe. Il ne m'est aucune mesure susceptible d'influer sur le bonheur des peuples et sur la tranquillité de l'administration que la certitude de l'existence de cet approvisionnement.
Montalivet, comme moi, a vécu 1789. Il faut du pain au peuple, si l'on ne veut pas qu'il vienne en cortège réclamer jusqu'à Trianon le boulanger et la boulangère .
Et il faut aussi de l'argent dans les caisses, du travail dans les manufactures.
À Saint-Cloud, à Trianon, à Fontainebleau, il dicte des décrets pour que la contrebande des marchandises anglaises soit partout traquée. Que l'importation ne soit possible qu'avec des droits de licence représentant 50 pour 100 des marchandises importées. Autant d'argent qui échappera à ceux qui ne respectent pas le blocus continental.
Il dit à Eugène, qui tente de défendre les intérêts italiens, comme Louis avait voulu protéger les commerçants hollandais :
- Mon principe est la France avant tout. Vous ne devez jamais perdre de vue que si le commerce anglais triomphe sur mer, c'est parce que les Anglais sont les plus forts ; il est donc concevable, puisque la France est la plus forte sur terre, qu'elle y fasse aussi triompher son commerce ; sans quoi tout est perdu... L'Angleterre est réellement aux abois, et moi je me dégorge des marchandises dont l'exportation m'est nécessaire et je me procure des denrées coloniales à leurs dépens.
Mais, pour cela, il faut tenir toutes les côtes d'une manière encore plus absolue. Il faut saisir, brûler, à Francfort, à Hambourg, à Amsterdam, à Lübeck, les marchandises de contrebande.
- Vous avez, dit-il à Davout qui commande les troupes d'Allemagne, beaucoup d'officiers d'état-major, faites-les courir. Enfin, je vous charge absolument d'empêcher la contrebande et la navigation anglaises depuis la Hollande jusqu'à la Poméranie suédoise ; faites-en votre affaire.
Mais, il le sait, Davout ne peut pas l'impossible. Depuis le début du mois d'octobre 1810, mille deux cents navires anglais errent dans la Baltique, chargés en marchandises.
Bernadotte leur a fermé les ports suédois. Mais il reste les ports russes. Que fera Alexandre ? Et, s'il les accueille, que dois-je faire ?
Il descend dans le grand salon où il a fait installer le sculpteur vénitien Canova, qu'il a convoqué aux Tuileries. Il connaît cet homme depuis son premier séjour en Italie. Il n'a guère aimé la manière dont Canova l'a représenté, nu, tenant à la main une petite victoire. Mais Canova est le plus grand. Il doit faire un buste de Marie-Louise, et Napoléon assiste aux séances de pose.
Il s'assied. Marie-Louise bouge, s'impatiente.
- C'est ici la capitale du monde, dit Napoléon à Canova, il faut que vous y restiez.
Il apprécie le mouvement des doigts de Canova, ses réponses sans servilité.
- Pourquoi Votre Majesté ne se réconcilie-t-elle pas avec le pape ? demande Canova.
- Les papes ont toujours empêché que la nation italienne ne se relevât. C'est l'épée qu'il vous faut !
Marie-Louise tousse. Canova parle d'imprudence puisque l'Impératrice est enceinte.
- Vous voyez comme elle est, dit Napoléon. Mais les femmes veulent que tout se passe à leur fantaisie... Moi, je lui dis toujours de se soigner. Et vous, êtes-vous marié ?
Il écoute à peine Canova parler de sa liberté.
- Ah, femmes, femmes..., répète Napoléon.
Marie-Louise l'étonne, comme l'ont surpris, chacune à leur manière, Joséphine et Marie Walewska.
Il voit Hortense qui vient parler de sa mère. Joséphine craint qu'elle ne soit condamnée à l'exil, non pas seulement loin de Paris, mais hors de France.
Il ne le veut pas. Il a plusieurs vies qui devraient se côtoyer, se mêler. Mais Marie-Louise ne peut comprendre ce désir.
- Je dois penser au bonheur de ma femme, dit-il à Hortense. Les choses ne se sont pas arrangées comme je l'espérais. Elle est effarouchée des agréments de votre mère et de l'empire qu'on lui connaît sur mon esprit. Je le sais, à n'en pas douter.
Il s'arrête de marcher. C'est l'automne. Dans le parc du château de Saint-Cloud, les jardiniers entassent ici et là des feuilles mortes. Des fumerolles s'élèvent aux limites de la forêt aux couleurs rousses. Ils ont commencé à brûler les feuilles tombées.
- Dernièrement, reprend-il, je voulus aller me promener avec elle à la Malmaison. J'ignore si elle crut que votre mère y était, mais elle se mit à pleurer et je fus obligé de changer de direction.
Cela me paraît si naturel et si simple de faire se croiser mes différentes vies. Quand donc viendra ce temps où les hommes et les femmes ne seront plus prisonniers de leurs préjugés ?
- Quoi qu'il en soit, continue-t-il, je ne contraindrai l'Impératrice Joséphine en rien. Je me souviendrai toujours du sacrifice qu'elle m'a fait. Si elle veut s'établir à Rome, je l'en nommerai gouvernante. À Bruxelles, elle peut encore y tenir une cour superbe et faire du bien au pays. Près de son fils et de ses petits-enfants, elle serait mieux encore et plus convenablement. Mais...
Il écarte les mains. Il sait bien qu'elle ne veut rien de tout cela !
- Écrivez-lui que, si elle préfère vivre à la Malmaison, je ne m'y opposerai pas.
Rentré au château, il écrit à la hâte quelques lignes à Joséphine.
« Mon opinion était que tu ne peux être l'hiver convenablement qu'à Milan ou à Navarre ; après cela, j'approuve tout ce que tu feras, car je ne veux te gêner en rien.
« Adieu, mon amie ; l'Impératrice est grosse de quatre mois, et nomme Madame de Montesquiou gouvernante des enfants de France. Sois contente et ne te monte pas la tête. Ne doute jamais de mes sentiments.
« Napoléon »
Il garde son affection pour Joséphine, et il est attaché à Marie-Louise, qui l'émeut.
Il la suit dans cette longue galerie du château de Saint-Cloud. Elle a une démarche lourde. Il s'exclame :
- Voyez comme sa taille grossit !
Il avance à ses côtés dans la foule des dignitaires rassemblés dans la chapelle du château de Saint-Cloud. Il voit Marie-Louise qui distribue aux mères des enfants qui vont être baptisés ce dimanche 4 novembre 1810 des médaillons entourés de diamants. Il y a vingt-six enfants, dont Charles-Louis-Napoléon, le fils de Louis et Hortense, et le fils de Berthier - tous enfants de princes et de rois -, qui vont être tenus sur les fonts baptismaux par l'Impératrice et l'Empereur.
Ce fils d'Hortense 1 , ce petit-fils de Joséphine, qui devient le filleul de ma seconde épouse, pour qui j'ai répudié Joséphine !
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