Le roi rougit et se remua bruyamment sur son fauteuil.
– Oh! dit la reine, avec un rire amer, je sais bien que vous êtes un roi moral, sire! Mais avez-vous songé à quel résultat votre morale arrive? Nul n’a su que je n’étais pas rentrée, dites-vous? Et vous-même m’avez crue ici! Direz-vous que M. de Provence, votre instigateur, l’a cru, lui? Direz-vous que M. d’Artois l’a cru? Direz-vous que mes femmes, qui, par mon ordre, vous ont menti ce matin, l’ont cru? Direz-vous que Laurent, acheté par M. le comte d’Artois et moi, l’a cru? Allez, le roi a toujours raison, mais parfois la reine peut avoir raison aussi. Prenons cette habitude, voulez-vous, sire? vous de m’envoyer espions et gardes suisses, moi d’acheter vos suisses et vos espions, et je vous le dis, avant un mois, car vous me connaissez et vous savez que je ne me contiendrai pas, eh bien! avant un mois la majesté du trône et la dignité du mariage, nous additionnerons tout cela ensemble un matin, comme aujourd’hui, par exemple, et nous verrons ce que cela nous coûtera à tous deux.
Il était évident que ces paroles avaient fait un grand effet sur celui à qui elles étaient adressées.
– Vous savez, dit le roi d’une voix altérée, vous savez que je suis sincère, et que j’avoue toujours mes torts. Voulez-vous me prouver, madame, que vous avez raison de partir de Versailles en traîneau, avec des gentilshommes à vous? Folle troupe qui vous compromet dans les graves circonstances où nous vivons! Voulez-vous me prouver que vous avez raison de disparaître avec eux dans Paris, comme des masques dans un bal, et de ne plus reparaître que dans la nuit, scandaleusement tard, tandis que ma lampe s’est épuisée au travail et que tout le monde dort? Vous avez parlé de la dignité du mariage, de la majesté du trône et de votre qualité de mère. Est-ce d’une épouse, est-ce d’une reine, est-ce d’une mère ce que vous avez fait là?
– Je vais vous répondre en deux mots, monsieur, et, vous le dirai-je d’avance, je vais répondre encore plus dédaigneusement que je n’ai fait jusqu’à présent, car il me semble, en vérité, que certaines parties de votre accusation ne méritent que mon dédain. J’ai quitté Versailles en traîneau pour arriver plus vite à Paris; je suis sortie avec Mlle de Taverney, dont, Dieu merci! la réputation est une des plus pures de la cour, et je suis allée à Paris vérifier de moi-même que le roi de France, ce père de la grande famille, ce roi philosophe, ce soutien moral de toutes les consciences, lui qui a nourri les pauvres étrangers, réchauffé les mendiants et mérité l’amour du peuple par sa bienfaisance; j’ai voulu vérifier, dis-je, que le roi laissait mourir de faim, croupir dans l’oubli, exposé à toutes les attaques du vice et de la misère, quelqu’un de sa famille, en tant que roi: un des descendants enfin d’un des rois qui ont gouverné la France.
– Moi! fit le roi surpris.
– J’ai monté, continua la reine, dans une espèce de grenier, et j’ai vu, sans feu, sans lumière, sans argent, la petite-fille d’un grand prince; j’ai donné cent louis à cette victime de l’oubli, de la négligence royale. Et comme je m’étais attardée, en réfléchissant sur le néant de nos grandeurs, car moi aussi parfois je suis philosophe, comme la gelée était rude, et que par la gelée les chevaux marchent mal, et surtout les chevaux de fiacre…
– Les chevaux de fiacre! s’écria le roi. Vous êtes revenue en fiacre?
– Oui, sire, dans le n° 107.
– Oh! oh! murmura le roi en balançant sa jambe droite croisée sur la gauche, ce qui était chez lui le symptôme d’une vive impatience. En fiacre!
– Oui, et trop heureuse encore d’avoir trouvé ce fiacre, répliqua la reine.
– Madame! interrompit le roi, vous avez bien agi; vous avez toujours de nobles aspirations, écloses trop légèrement peut-être; mais la faute en est à cette chaleur de générosité qui vous distingue.
– Merci, sire, répondit la reine d’un ton railleur.
– Songez bien, continua le roi, que je ne vous ai soupçonnée de rien qui ne fût parfaitement droit et honnête; la démarche seule, et l’aventureuse allure de la reine, m’ont déplu; vous avez fait le bien comme toujours; mais en faisant le bien aux autres, vous avez trouvé le moyen de vous faire du mal à vous. Voilà ce que je vous reproche. Maintenant, j’ai à réparer quelque oubli, j’ai à veiller au sort d’une famille de rois. Je suis prêt: dénoncez-moi ces infortunes, et mes bienfaits ne se feront pas attendre.
– Le nom de Valois, sire, est assez illustre, je pense, pour que vous l’ayez à présent à la mémoire.
– Ah! s’écria Louis XVI avec un bruyant éclat de rire, je sais maintenant ce qui vous occupe. La petite Valois, n’est-ce pas, une comtesse de… de… Attendez donc…
– De La Motte.
– Précisément, de La Motte; son mari est gendarme?
– Oui, sire.
– Et la femme est une intrigante. Oh! ne vous fâchez pas, elle remue ciel et terre; elle accable les ministres; elle harcèle mes tantes; elle m’écrase moi-même de suppliques, de placets, de preuves généalogiques.
– Eh! sire, cela prouve qu’elle a jusqu’ici réclamé inutilement, voilà tout.
– Je ne dis pas non!
– Est-elle ou non Valois?
– Oh! je crois qu’elle l’est!
– Eh bien! une pension. Une pension honorable pour elle, un régiment pour son mari, un état enfin pour des rejetons de souche royale.
– Oh! doucement, doucement, madame. Diable! comme vous y allez. La petite Valois m’arrachera toujours bien assez de plumes sans que vous vous mettiez à l’aider; elle a bon bec, la petite Valois, allez!
– Oh! je ne crains pas pour vous, sire; vos plumes tiennent fort.
– Une pension honorable, Dieu merci! Comme vous y allez, madame! Savez-vous quelle saignée terrible cet hiver a faite à ma cassette? Un régiment à ce petit gendarme qui a fait la spéculation d’épouser une Valois! Eh! je n’en ai plus de régiment à donner, madame, même à ceux qui les paient et qui les méritent. Un état digne des rois dont ils descendent, à ces mendiants! Allons donc! quand nous autres rois nous n’avons plus même un état digne des riches particuliers! M. le duc d’Orléans a envoyé ses chevaux et ses meutes en Angleterre pour les faire vendre, et supprimé les deux tiers de sa maison. J’ai supprimé ma louveterie, moi. M. de Saint-Germain m’a fait réformer ma maison militaire. Nous vivons de privations, tous, grands et petits, ma chère.
– Mais cependant, sire, des Valois ne peuvent mourir de faim!
– Ne m’avez-vous pas dit que vous aviez donné cent louis?
– La belle aumône!
– C’est royal.
– Donnez-en autant, alors.
– Je m’en garderai bien. Ce que vous avez donné suffit pour nous deux.
– Alors, une petite pension.
– Pas du tout; rien de fixe. Ces gens-là vous soutireront assez pour eux-mêmes; ils sont de la famille des rongeurs. Quand j’aurai envie de donner, eh bien! je donnerai une somme sans précédents, sans obligations pour l’avenir. En un mot, je donnerai quand j’aurai trop d’argent. Cette petite Valois, mais, en vérité, je ne puis vous conter tout ce que je sais sur elle. Votre bon cœur est pris au piège, ma chère Antoinette. J’en demande pardon à votre bon cœur.
Et, en disant ces mots, Louis tendit la main à la reine, qui, cédant à un premier mouvement, l’approcha de ses lèvres.
Puis, tout à coup, la repoussant.
– Vous, dit-elle, vous n’êtes pas bon pour moi. Je vous en veux!
– Vous m’en voulez, dit le roi, vous! Eh bien! moi… moi…
– Oh! oui, dites que vous ne m’en voulez pas, vous qui me faites fermer les portes de Versailles; vous qui arrivez à six heures et demie du matin dans mes antichambres, qui ouvrez ma porte de force, et qui entrez chez moi en roulant des yeux furibonds.
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