La reine, qui avait pénétré avec réserve déjà dans le boudoir, demeura un instant au seuil de la chambre à coucher.
Le prince s’excusa d’une façon toute civile sur la nécessité qui le poussait à mettre sa sœur dans une confidence indigne d’elle.
La reine répondit par un demi-sourire qui exprimait beaucoup plus de choses que toutes les paroles qu’elle aurait pu prononcer.
– Ma sœur, ajouta alors le comte d’Artois, cet appartement est mon logis de garçon, seul j’y pénètre, et j’y pénètre toujours seul.
– Presque toujours, dit la reine.
– Non, toujours.
– Ah! fit la reine.
– Au surplus, continua-t-il, il y a dans le boudoir où vous êtes un sofa et une bergère sur lesquels bien des fois, quand la nuit me surprenait, après la chasse, j’ai dormi aussi bien que dans mon lit.
– Je comprends, dit la reine, que Mme la comtesse d’Artois soit parfois inquiète.
– Sans doute, mais avouez, ma sœur, que si Mme la comtesse est inquiète de moi, cette nuit elle aura bien tort.
– Cette nuit, je ne dis pas, mais les autres nuits…
– Ma sœur, quiconque a tort une fois peut avoir tort toujours.
– Abrégeons, dit la reine en s’asseyant sur un fauteuil. Je suis horriblement lasse; et vous, ma pauvre Andrée?
– Oh, moi, je succombe de fatigue, et si Votre Majesté le permet…
– En effet, vous pâlissez, mademoiselle, dit le comte d’Artois.
– Faites, faites, ma chère, dit la reine; asseyez-vous, couchez-vous même; M. le comte d’Artois nous abandonne cet appartement, n’est-ce pas, Charles?
– En toute propriété, madame.
– Un instant, comte, un dernier mot.
– Lequel?
– Si vous partez, comment vous rappellerons-nous?
– Vous n’avez en rien besoin de moi, ma sœur; une fois installée, disposez de la maison.
– Il y a donc d’autres pièces que celles-ci?
– Mais sans doute. Il y a d’abord une salle à manger, que je vous engage à visiter.
– Avec une table toute servie, sans doute?
– Certainement, et sur laquelle Mlle de Taverney, qui me paraît en avoir grand besoin, trouvera un consommé, une aile de volaille et un doigt de vin de Xérès, et où vous trouverez, vous, ma sœur, une collection de ces fruits cuits que vous aimez.
– Et tout cela sans valets?
– Pas le moindre.
– Nous verrons. Mais ensuite?
– Ensuite?
– Oui, pour retourner au château?
– Il ne faut pas songer à y rentrer du tout de la nuit, puisque la consigne est donnée. Mais la consigne donnée pour la nuit tombe avec le jour; à six heures les portes s’ouvrent, sortez d’ici à six heures moins un quart. Vous trouverez dans les armoires des mantes de toutes couleurs et de toutes formes, si vous désirez vous déguiser; entrez donc, comme je vous le dis, au château, gagnez votre chambre, couchez-vous, et ne vous inquiétez pas du reste.
– Mais vous?
– Comment, moi?
– Oui, qu’allez-vous faire?
– Je sors de la maison.
– Comment! nous vous chassons, mon pauvre frère?
– Il ne serait pas convenable que j’eusse passé la nuit sous le même toit que vous, ma sœur.
– Mais encore il vous faut un gîte, et nous vous volons le vôtre.
– Bon! il m’en reste trois pareils à celui-ci.
La reine se mit à rire.
– Et il dit que Mme la comtesse d’Artois a tort de s’inquiéter; oh! je la préviendrai, fit-elle avec un charmant geste de menace.
– Alors, moi, je dirai tout au roi, répliqua le prince sur le même ton.
– Il a raison, nous sommes sous sa dépendance.
– Tout à fait. C’est humiliant; mais qu’y faire?
– Se soumettre. Ainsi, vous dites donc que pour sortir demain matin sans rencontrer personne…
– Un seul coup de sonnette, à la colonne en bas.
– À laquelle? à celle de droite ou à celle de gauche?
– Peu importe.
– La porte s’ouvrira?
– Et se fermera.
– Toute seule?
– Toute seule.
– Merci. Bonsoir, mon frère.
– Bonsoir, ma sœur.
Le prince salua, Andrée ferma les portes derrière lui. Il disparut.
Chapitre 7
L’alcôve de la reine
Le lendemain, ou plutôt le matin même, car notre dernier chapitre a dû se fermer vers les deux heures de la nuit; le matin même, disons-nous, le roi Louis XVI, en petit habit violet du matin, sans ordre et sans poudre, et tel qu’il venait de sortir de son lit enfin, heurta aux portes de l’antichambre de la reine.
Une femme de service entrebâilla cette porte, et reconnaissant le roi:
– Sire!… dit-elle.
– La reine! demanda Louis XVI d’un ton bref.
– Sa Majesté dort, sire.
Le roi fit un geste comme pour éloigner la femme, mais celle-ci ne bougea point.
– Eh bien! dit le roi, vous bougerez-vous? Vous voyez bien que je veux passer.
Le roi avait par moments une promptitude de mouvement que ses ennemis appelaient de la brutalité.
– La reine repose, sire, objecta timidement la femme de service.
– Je vous ai dit de me livrer passage, répliqua le roi.
En effet, à ces mots il écarta la femme et passa outre.
Arrivé à la porte même de la chambre à coucher, le roi vit Mme de Misery, première femme de chambre de la reine, qui lisait la messe dans son livre d’heures.
Cette dame se leva dès qu’elle aperçut le roi.
– Sire, dit-elle à voix basse et avec un profond salut, Sa Majesté n’a pas encore appelé.
– Ah! vraiment, fit le roi d’un air railleur.
– Mais, sire, il n’est guère que six heures et demie, je crois, et jamais Sa Majesté ne sonne avant sept heures.
– Et vous êtes sûre que la reine est dans son lit? Vous êtes sûre qu’elle dort?
– Je n’affirmerais pas, sire, que Sa Majesté dort; mais je suis sûre qu’elle est dans son lit.
– Elle y est?
– Oui, sire.
Le roi n’y put tenir plus longtemps. Il marcha droit à la porte, tourna le bouton doré avec une précipitation bruyante, et entra.
La chambre de la reine était obscure comme en pleine nuit: volets, rideaux et stores, hermétiquement fermés, y maintenaient les plus épaisses ténèbres.
Une veilleuse, brûlant sur un guéridon dans l’angle le plus éloigné de l’appartement, laissait l’alcôve de la reine entièrement baignée dans l’ombre, et les immenses rideaux de soie blanche à fleurs de lis d’or pendaient à plis ondoyants sur le lit en désordre.
Le roi marcha d’un pas rapide vers le lit.
– Oh! madame de Misery, s’écria la reine, que vous êtes bruyante, voilà que vous m’avez réveillée.
Le roi s’arrêta, stupéfait.
– Ce n’est point Mme de Misery, murmura-t-il.
– Tiens! c’est vous, sire, ajouta Marie-Antoinette en se soulevant.
– Bonjour, madame, articula le roi d’un ton aigre-doux.
– Quel bon vent vous amène, sire? demanda la reine. Madame de Misery! madame de Misery! ouvrez donc les fenêtres.
Les femmes entrèrent et, selon l’habitude que leur avait fait prendre la reine, elles ouvrirent à l’instant portes et fenêtres, pour donner passage à l’invasion d’air pur que Marie-Antoinette respirait avec délices en s’éveillant.
– Vous dormez de bon appétit, madame, dit le roi en s’asseyant près du lit, après avoir promené son regard investigateur.
– Oui, sire, j’ai lu tard, et par conséquent, si Votre Majesté ne m’eût point réveillée, je dormirais encore.
– D’où vient qu’hier vous n’avez pas reçu, madame?
– Reçu qui? votre frère, M. de Provence? fit la reine avec une présence d’esprit qui allait au-devant des soupçons du roi.
– Justement oui, mon frère; il a voulu vous saluer, et on l’a laissé dehors.
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