Il jeta un petit cri qui ne fit qu’animer davantage les chevaux. Il eût bien suivi la voiture, mais cette voiture s’en allait rue Dauphine, la seule rue de Paris où Beausire ne voulait point passer en ce moment.
Et puis, quelle apparence que ce fût Oliva qui occupât ce carrosse – fantômes, visions, absurdités -, c’était voir, non pas trouble, mais double, c’était voir Oliva quand même.
Il y avait encore ce raisonnement à se faire, c’est qu’Oliva n’était pas dans ce carrosse, puisque les archers l’arrêtaient chez elle rue Dauphine.
Le pauvre Beausire, aux abois, moralement et physiquement, se jeta dans la rue des Fossés-Monsieur-le-Prince, gagna le Luxembourg, traversa le quartier déjà désert, et parvint hors barrière à se réfugier dans un petit cabinet dont l’hôtesse avait pour lui toutes sortes d’égards.
Il s’installa dans ce bouge, cacha ses billets sous un carreau de la chambre, appuya sur ce carreau le pied de son lit, et se coucha, suant et pestant, mais entremêlant ses blasphèmes de remerciements à Mercure, ses nausées fiévreuses d’une infusion de vin sucré avec de la cannelle, breuvage tout à fait propre à ranimer la transpiration à la peau et la confiance au cœur.
Il était sûr que la police ne le trouverait plus. Il était sûr que nul ne le dépouillerait de son argent.
Il était sûr que Nicole, fût-elle arrêtée, n’était coupable d’aucun crime, et que le temps se passait des éternelles réclusions sans motif.
Il était sûr enfin que les cent mille livres lui serviraient même à arracher de la prison, si on la retenait, Oliva, sa compagne inséparable.
Restaient les compagnons de l’ambassade; avec eux le compte était plus difficile à régler.
Mais Beausire avait prévu les chicanes. Il les laissait tous en France, et partait pour la Suisse, pays libre et moral, aussitôt que mademoiselle Oliva se serait trouvée libre.
Rien de tout ce que méditait Beausire, en buvant son vin chaud, ne succéda selon ses prévisions: c’était écrit.
L’homme a presque toujours le tort de se figurer qu’il voit les choses quand il ne les voit pas; il a plus tort encore de se figurer qu’il ne les a pas vues quand réellement il les a vues.
Nous allons commenter cette glose au lecteur.
Chapitre 45
Où mademoiselle Oliva commence à se demander ce que l’on veut faire d’elle
Si monsieur Beausire eût bien voulu s’en rapporter à ses yeux qui étaient excellents, au lieu de faire travailler son esprit que tout aveuglait alors, monsieur de Beausire se fût épargné beaucoup de chagrins et de déceptions.
En effet, c’était bien mademoiselle Oliva qu’il avait vue dans le carrosse, aux côtés d’un homme qu’il n’avait pas reconnu en ne le regardant qu’une fois, et qu’il eût reconnu en le regardant deux fois; Oliva, qui le matin avait été comme d’habitude faire sa promenade dans le jardin du Luxembourg, et qui, au lieu de rentrer à deux heures pour dîner, avait rencontré, accosté, questionné cet étrange ami qu’elle s’était fait le jour du bal de l’Opéra.
En effet, au moment où elle payait sa chaise pour revenir, et souriait au cafetier du jardin dont elle était la pratique assidue, Cagliostro, débouchant d’une allée, était accouru vers elle et lui avait pris le bras.
Elle poussa un petit cri.
– Où allez-vous? dit-il.
– Mais, rue Dauphine, chez nous.
– Voilà qui va servir à souhait les gens qui vous y attendent, repartit le seigneur inconnu.
– Des gens… qui m’attendent… comment cela? Mais personne ne m’attend.
– Oh! si fait; une douzaine de visiteurs à peu près.
– Une douzaine de visiteurs! s’écria Oliva en riant; pourquoi pas un régiment tout de suite?
– Ma foi, c’eût été possible d’envoyer un régiment rue Dauphine qu’il y serait.
– Vous m’étonnez!
– Je vous étonnerai bien plus encore si je vous laisse aller rue Dauphine.
– Parce que?
– Parce que vous y serez arrêtée, ma chère.
– Arrêtée, moi?
– Assurément; ces douze messieurs qui vous attendent sont des archers expédiés par monsieur de Crosne.
Oliva frissonna: certaines gens ont toujours peur de certaines choses.
Néanmoins, se raidissant après une inspection de conscience un peu plus approfondie:
– Je n’ai rien fait, dit-elle. Pourquoi m’arrêterait-on?
– Pourquoi arrête-t-on une femme? Pour des intrigues, pour des niaiseries.
– Je n’ai point d’intrigues.
– Vous en avez peut-être bien eu?
– Oh! je ne dis pas.
– Bref, on a tort sans doute de vous arrêter; mais on cherche à vous arrêter, c’est le fait. Allons-nous toujours rue Dauphine?
Oliva s’arrêta pâle et troublée.
– Vous jouez avec moi comme un chat avec une pauvre souris, dit-elle. Voyons; si vous savez quelque chose, dites-le moi. N’est-ce pas à Beausire qu’on en veut?
Et elle arrêtait sur Cagliostro un regard suppliant.
– Peut-être bien. Je le soupçonnerais d’avoir la conscience moins nette que vous.
– Pauvre garçon!
– Plaignez-le, mais s’il est pris, ne l’imitez pas en vous laissant prendre à votre tour.
– Mais quel intérêt avez-vous à me protéger? Quel intérêt avez-vous à vous occuper de moi? Tenez, fit-elle hardiment, ce n’est pas naturel qu’un homme tel que vous…
– N’achevez pas, vous diriez une sottise; et les moments sont précieux, parce que les agents de monsieur de Crosne ne vous voyant pas rentrer, seraient capables de venir vous chercher ici.
– Ici! on sait que je suis ici?
– La belle affaire de le savoir; je le sais bien, moi! Je continue. Comme je m’intéresse à votre personne et vous veux du bien, le reste ne vous regarde pas. Vite, gagnons la rue d’Enfer. Mon carrosse vous y attend. Ah! vous doutez encore?
– Oui.
– Eh bien! nous allons faire une chose assez imprudente, mais qui vous convaincra une fois pour toutes, j’espère. Nous allons passer devant votre maison dans mon carrosse, et quand vous aurez vu ces messieurs de la police d’assez loin pour n’être pas prise, et d’assez près pour juger de leur disposition, eh bien! alors vous estimerez mes bonnes intentions ce qu’elles valent.
En disant ces mots, il avait conduit Oliva jusqu’à la grille de la rue d’Enfer. Le carrosse s’était rapproché, avait reçu le couple et conduit Cagliostro et Oliva dans la rue Dauphine, à l’endroit où Beausire les avait aperçus tous deux.
Certes, s’il eût crié à ce moment, s’il eût suivi la voiture, Oliva eût out fait pour se rapprocher de lui, pour le sauver, poursuivi, ou se sauver avec lui, libre.
Mais Cagliostro vit ce malheureux, détourna l’attention d’Oliva en lui montrant la foule qui déjà s’attroupait par curiosité autour du guet.
Du moment où Oliva eut distingué les soldats de la police et sa maison envahie, elle se jeta dans les bras de son protecteur avec un désespoir qui eût attendri tout autre homme que cet homme de fer.
Lui se contenta de serrer la main de la jeune femme et de la cacher elle-même en abaissant le store.
– Sauvez-moi! sauvez-moi! répétait pendant ce temps la pauvre fille.
– Je vous le promets, dit-il.
– Mais puisque vous dites que ces hommes de police savent tout, ils me trouveront toujours.
– Non pas, non pas; à l’endroit où vous serez, nul ne vous découvrira; car si l’on vient vous prendre chez vous, on ne viendra pas vous prendre chez moi.
– Oh! fit-elle avec effroi, chez vous… nous allons chez vous?
– Vous êtes folle, répliqua-t-il; on dirait que vous ne vous souvenez plus de ce dont nous sommes convenus. Je ne suis pas votre amant, ma belle, et ne veux pas l’être.
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