Je l’appelai ; Vitalis l’appela à son tour ; il ne se montra pas.
Qu’était-il devenu ?
Vitalis me dit qu’en s’éveillant, il l’avait senti près de lui, c’était donc depuis que nous étions sortis qu’il avait disparu ?
Avait-il voulu nous suivre ?
Nous primes une poignée de branches enflammées, et nous sortîmes, penchés en avant, nos branches inclinées sur la neige, cherchant les traces de Joli-Cœur.
Nous n’en trouvâmes point : il est vrai que le passage des chiens et nos piétinements avaient brouillé les empreintes, mais pas assez, cependant, pour qu’on ne pût pas reconnaître les pieds du singe.
Il n’était donc pas sorti.
Nous rentrâmes dans la cabane pour voir s’il ne s’était pas blotti dans quelque fagot.
Notre recherche dura longtemps ; dix fois nous passâmes à la même place, dans les mêmes coins ; je montai sur les épaules de Vitalis pour explorer les branches qui formaient notre toit ; tout fut inutile.
De temps en temps nous nous arrêtions pour l’appeler ; rien, toujours rien.
Vitalis paraissait exaspéré, tandis que moi j’étais sincèrement désolé.
Pauvre Joli-Cœur !
Comme je demandais à mon maître s’il pensait que les loups avaient pu aussi l’emporter :
— Non, me dit-il, les loups n’auraient pas osé entrer dans la cabane ; je crois qu’ils auront sauté sur Zerbino et sur Dolce qui étaient sortis, mais ils n’ont pas pénétré ici ; il est probable que Joli-Cœur épouvanté se sera caché quelque part pendant que nous étions dehors ; et c’est là ce qui m’inquiète pour lui, car par ce temps abominable il va gagner froid et pour lui le froid serait mortel.
— Alors cherchons encore.
Et de nouveau nous recommençâmes nos recherches ; mais elles ne furent pas plus heureuses que la première fois.
— Il faut attendre le jour, dit Vitalis.
— Quand viendra-t-il ?
— Dans deux ou trois heures, je pense.
Et il s’assit devant le feu, la tête entre ses deux mains.
Je n’osai pas le troubler. Je restai immobile près de lui, ne faisant un mouvement que pour mettre des branches sur le feu ; de temps en temps il se levait pour aller jusqu’à la porte, alors il regardait le ciel et il se penchait pour écouter ; puis il revenait prendre sa place.
Il me semblait que j’aurais mieux aimé qu’il me grondât, plutôt que de le voir ainsi morne et accablé.
Les trois heures dont il avait parlé s’écoulèrent avec une lenteur exaspérante ; c’était à croire que cette nuit ne finirait jamais.
Cependant les étoiles pâlirent et le ciel blanchit, c’était le matin, bientôt il ferait jour.
Mais avec le jour naissant le froid augmenta, l’air qui entrait par la porte était glacé.
Si nous retrouvions Joli-Cœur, serait-il encore vivant ?
Mais quelle espérance raisonnable de le retrouver pouvions-nous avoir ?
Qui pouvait savoir si le jour n’allait pas nous ramener la neige ?
Alors comment le chercher ?
Heureusement il ne la ramena pas ; le ciel au lieu de se couvrir comme la veille s’emplit d’une lueur rosée qui présageait le beau temps.
Aussitôt que la clarté froide du matin eut donné aux buissons et aux arbres leurs formes réelles, nous sortîmes. Vitalis s’était armé d’un fort bâton et j’en avais pris un pareillement.
Capi ne paraissait plus être sous l’impression de frayeur qui l’avait paralysé pendant la nuit ; les yeux sur ceux de son maître il n’attendait qu’un signe pour s’élancer en avant.
Comme nous cherchions sur la terre les empreintes de Joli-Cœur, Capi leva la tête et se mit à aboyer joyeusement ; cela signifiait que c’était en l’air qu’il fallait chercher et non à terre.
En effet, nous vîmes que la neige qui couvrait notre cabane avait été foulée çà et là, jusqu’à une grosse branche penchée sur notre toit.
Nous suivîmes des yeux cette branche, qui appartenait à un gros chêne, et tout au haut de l’arbre, blottie dans une fourche, nous aperçûmes une petite forme de couleur sombre.
C’était Joli-Cœur, et ce qui s’était passé n’était pas difficile à deviner : effrayé par les hurlements des chiens et des loups, Joli-Cœur au lieu de rester près du feu, s’était élancé sur le toit de notre hutte, quand nous étions sortis, et de là il avait grimpé au haut du chêne, où se trouvant en sûreté, il était resté blotti, sans répondre à nos appels.
La pauvre petite bête si frileuse devait être glacée.
Mon maître l’appela doucement, mais il ne bougea pas plus que s’il était mort.
Pendant plusieurs minutes, Vitalis répéta ses appels : Joli-Cœur ne donna pas signe de vie.
J’avais à racheter ma négligence de la nuit.
— Si vous voulez, dis-je, je vais l’aller chercher.
— Tu vas te casser le cou.
— Il n’y a pas de danger.
Le mot n’était pas très-juste ; il y avait danger au contraire, surtout il y avait difficulté ; l’arbre était gros, et de plus il était couvert de neige dans les parties de son tronc et de ses branches qui avaient été exposées au vent.
Heureusement j’avais appris de bonne heure à grimper aux arbres et j’avais acquis dans cet art une force remarquable. Quelques petites branches avaient poussé çà et là, le long du tronc ; elles me servirent d’échelons, et bien que je fusse aveuglé par la neige que mes mains me faisaient tomber dans les yeux, je parvins bientôt à la première fourche. Arrivé là, l’ascension devenait facile ; je n’avais plus qu’à veiller à ne pas glisser sur la neige.
Tout en montant, je parlais doucement à Joli-Cœur qui ne bougeait pas, mais qui me regardait avec ses yeux brillants.
J’allais arriver à lui et déjà j’allongeais la main pour le prendre, lorsqu’il fit un bond et s’élança sur une autre branche.
Je le suivis sur cette branche, mais les hommes, hélas ! et même les gamins sont très-inférieurs aux singes pour courir dans les arbres.
Aussi est-il bien probable que je n’aurais, jamais pu atteindre Joli-Cœur si la neige n’avait pas couvert les branches ; mais comme cette neige lui mouillait les mains et les pieds il fut bientôt fatigué de cette poursuite. Alors dégringolant de branches en branches il sauta d’un bond sur les épaules de son maître, et se cacha sous la veste de celui-ci.
C’était beaucoup d’avoir retrouvé Joli-Cœur, mais ce n’était pas tout : il fallait maintenant chercher les chiens.
Nous arrivâmes en quelques pas à l’endroit où nous étions déjà venus dans la nuit, et où nous avions trouvé la neige piétinée.
Maintenant qu’il faisait jour, il nous fut facile de deviner ce qui s’était passé : la neige gardait imprimée en creux l’histoire de la mort des chiens.
En sortant de la cabane l’un derrière l’autre, ils avaient longé les fagots et nous suivions distinctement leurs traces pendant une vingtaine de mètres ; puis ces traces disparaissaient dans la neige bouleversée ; alors on voyait d’autres empreintes ; d’un côté celles qui montraient par où les loups, en quelques bonds allongés, avaient sauté sur les chiens ; et de l’autre celles qui disaient par où ils les avaient emportés après les avoir boulés ; de traces des chiens il n’en existait plus, à l’exception d’une traînée de rouge qui çà et là ensanglantait la neige.
Il n’y avait plus maintenant à poursuivre nos recherches plus loin ; les deux pauvres chiens avaient été égorgés là et emportés pour être dévorés à loisir dans quelque hallier épineux.
D’ailleurs nous devions nous occuper au plus vite de réchauffer Joli-Cœur.
Nous rentrâmes dans la cabane et tandis que Vitalis lui présentait les pieds et les mains au feu comme on fait pour les petits enfants, je chauffai bien sa couverture et nous l’enveloppâmes dedans.
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