Je remerciai et sortis, mais avant d’aller au passage d’Austerlitz qui, je le pensais, était au bout du pont d’Austerlitz, je voulus savoir des nouvelles de Garofoli pour les porter à Mattia.
J’étais précisément tout près de la rue de Lourcine ; je n’eus que quelques pas à faire pour trouver la maison où j’étais venu avec Vitalis : comme le jour où nous nous y étions présentés pour la première fois, un vieux bonhomme, le même vieux bonhomme, accrochait des chiffons contre la muraille verdâtre de la cour ; c’était à croire qu’il n’avait fait que cela depuis que je l’avais vu.
— Est-ce que M. Garofoli est revenu ? demandai-je.
Le vieux bonhomme me regarda et se mit à tousser sans me répondre : il me sembla que je devais laisser comprendre que je savais où était Garofoli, sans quoi je n’obtiendrais rien de ce vieux chiffonnier.
— Il est toujours là-bas ? dis-je en prenant un air fin, il doit s’ennuyer.
— Possible, mais le temps passe tout de même.
— Peut-être pas aussi vite pour lui que pour nous.
Le bonhomme voulut bien rire de cette plaisanterie, ce qui lui donna une terrible quinte.
— Est-ce que vous savez quand il doit revenir ? dis-je lorsque la toux fut apaisée.
— Trois mois.
Garofoli en prison pour trois mois encore, Mattia pouvait respirer. ; car avant trois mois mes parents auraient bien trouvé le moyen de mettre le terrible padrone dans l’impossibilité de rien entreprendre contre son neveu.
Si j’avais eu un moment d’émotion cruelle chez Chopinet, l’espérance maintenant m’était revenue ; j’allais trouver Barberin à l’hôtel du Cantal.
Sans plus tarder je me dirigeai vers le passage d’Austerlitz, plein d’espérance et de joie et par suite de ces sentiments sans doute, tout disposé à l’indulgence pour Barberin.
Après tout, il n’était peut-être pas aussi méchant qu’il en avait l’air : sans lui je serais très-probablement mort de froid et de faim dans l’avenue de Breteuil ; il est vrai qu’il m’avait enlevé à mère Barberin pour me vendre à Vitalis, mais il ne me connaissait pas, et dès lors il ne pouvait pas avoir de l’amitié pour un enfant qu’il n’avait pas vu, et puis il était poussé par la misère, qui fait faire tant de mauvaises choses. Présentement il me cherchait, il s’occupait de moi, et si je retrouvais mes parents, c’était à lui que je le devais : cela méritait mieux que la répulsion que je nourrissais contre lui depuis le jour où j’avais quitté Chavanon, le poignet pris dans la main de Vitalis. Envers lui aussi je devrais me montrer reconnaissant : si ce n’était point un devoir d’affection et de tendresse comme pour mère Barberin, en tout cas c’en était un de conscience.
En traversant le Jardin des Plantes, la distance n’est pas longue de la rue de Lourcine au passage d’Austerlitz, je ne tardai pas à arriver devant l’hôtel du Cantal, qui n’avait d’un hôtel que le nom, étant en réalité un misérable garni. Il était tenu par une vieille femme à la tête tremblante et à moitié sourde.
Lorsque je lui eus adressé ma question ordinaire, elle mit sa main en cornet derrière son oreille et elle me pria de répéter ce que je venais de lui demander.
— J’ai l’ouïe un peu dure, dit-elle à voix basse.
— Je voudrais voir Barberin, Barberin de Chavanon, il loge chez vous, n’est-ce pas ?
Sans me répondre elle leva ses deux bras en l’air par un mouvement si brusque que son chat endormi sur elle sauta à terre épouvanté.
— Hélas ! hélas ! dit-elle.
Puis me regardant avec un tremblement de tête plus fort :
— Seriez-vous le garçon ? demanda-t-elle.
— Quel garçon ?
— Celui qu’il cherchait.
Qu’il cherchait. En entendant ce mot, j’eus le cœur serré.
— Barberin ! m’écriai-je.
— Défunt, c’est défunt Barberin qu’il faut dire.
Je m’appuyai sur ma harpe.
— Il est donc mort ? dis-je en criant assez haut pour me faire entendre, mais d’une voix que l’émotion rendait rauque.
— Il y a huit jours, à l’hôpital Saint-Antoine.
Je restai anéanti ; mort Barberin ! et ma famille, comment la trouver maintenant, où la chercher ?
— Alors vous êtes le garçon ? continua la vieille femme, celui qu’il cherchait pour le rendre à sa riche famille ?
L’espérance me revint, je me cramponnai à cette parole :
— Vous savez ?… dis-je.
— Je sais ce qu’il racontait, ce pauvre homme : qu’il avait trouvé et élevé un enfant, que maintenant la famille qui avait perdu cet enfant, dans le temps, voulait le reprendre, et que lui il était à Paris pour le chercher.
— Mais la famille ? demandai-je d’une voix haletante, ma famille ?
— Pour lors, c’est donc bien vous le garçon ? ah ! c’est vous, c’est bien vous !
Et tout en branlant la tête, elle me regarda en me dévisageant.
Mais je l’arrachai à son examen.
— Je vous en prie, madame, dites-moi ce que vous savez.
— Mais je ne sais pas autre chose que ce que je viens de vous raconter, mon garçon, je veux dire mon jeune monsieur.
— Ce que Barberin vous a dit, qui se rapporte à ma famille ? Vous voyez mon émotion, madame, mon trouble, mes angoisses.
Sans me répondre elle leva de nouveau les bras au ciel :
— En vlà une histoire !
En ce moment une femme qui avait la tournure d’une servante entra dans la pièce où nous nous trouvions ; alors la maîtresse de l’hôtel du Cantal m’abandonnant s’adressa à cette femme :
— En v’là une histoire ! Ce jeune garçon, ce jeune monsieur que tu vois, c’est celui de qui Barberin parlait, il arrive, et Barberin n’est plus là, en v’là… une histoire !
— Barberin ne vous a donc jamais parlé de ma famille ? dis-je.
— Plus de vingt fois, plus de cent fois, une famille riche.
— Où demeure cette famille, comment se nomme-t-elle ?
— Ah ! voilà. Barberin ne m’a jamais parlé de ça. Vous comprenez, il en faisait mystère ; il voulait que la récompense fût pour lui tout seul, comme de juste, et puis c’était un malin.
Hélas ! oui, je comprenais ; je ne comprenais que trop ce que la vieille femme venait de me dire : Barberin en mourant avait emporté le secret de ma naissance.
Je n’étais donc arrivé si près du but que pour le manquer. Ah ! mes beaux rêves ! mes espérances !
— Et vous ne connaissez personne à qui Barberin en aurait dit plus qu’à vous ? demandai-je à la vieille femme.
— Pas si bête, Barberin, de se confier à personne ; il était bien trop méfiant pour ça.
— Et vous n’avez jamais vu quelqu’un de ma famille venir le trouver ?
— Jamais.
— Des amis à lui, à qui il aurait parlé de ma famille ?
— Il n’avait pas d’amis.
Je me pris la tête à deux mains ; mais j’eus beau chercher, je ne trouvai rien pour me guider ; d’ailleurs j’étais si ému, si troublé, que j’étais incapable de suivre mes idées.
— Il a reçu une lettre une fois, dit la vieille femme après avoir longuement réfléchi, une lettre chargée.
— D’où venait-elle ?
— Je ne sais pas ; le facteur la lui a donnée à lui-même, je n’ai pas vu le timbre.
— On peut sans doute retrouver cette lettre ?
— Quand il a été mort, nous avons cherché dans ce qu’il avait laissé ici ; ah ! ce n’était pas par curiosité bien sûr, mais seulement pour avertir sa femme ; nous n’avons rien trouvé ; à l’hôpital non plus, on n’a trouvé dans ses vêtements aucun papier, et, s’il n’avait pas dit qu’il était de Chavanon, on n’aurait pas pu avertir sa femme.
— Mère Barberin est donc avertie ?
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