Maigret visita une fois de plus la cabine du capitaine. Une cabine étroite. Un lit, avec une courtepointe sale. Une armoire dans la cloison. Une cafetière d’émail bleu sur la table couverte d’une toile cirée. Des bottes à semelle de bois dans un coin.
C’était sombre et poisseux, saturé de l’âcre odeur qui régnait dans le bateau tout entier. Des tricots rayés de bleu séchaient sur le pont. Maigret faillit s’étaler en traversant la passerelle grasse de détritus de poisson.
— Vous avez trouvé quelque chose ?
Le commissaire haussa les épaules, regarda encore une fois l’ Océan d’un air lugubre, s’informa auprès d’un douanier des moyens de se rendre à Yport.
C’est un village au pied de la falaise, à six kilomètres de Fécamp. Quelques maisons de pêcheurs. Quelques fermes alentour. Des villas, pour la plupart louées meublées pendant la saison d’été, et un seul hôtel.
Sur la plage, à nouveau des maillots de bain, des gosses et des mamans occupées à tricoter ou à broder.
— La maison de M. Laberge, s’il vous plaît ?
— Le chef mécanicien de l’ Océan , ou le fermier ?
— Le mécanicien.
On lui montra une petite maison entourée d’un jardinet. Et, comme il s’approchait de la porte peinte en vert, il lui parvint de l’intérieur des bruits de dispute. Deux voix : une d’homme et une de femme. Mais il ne pouvait distinguer les mots et il frappa.
Tout se tut. Des pas s’approchèrent. La porte s’ouvrit et un homme grand et maigre se montra, méfiant, hargneux.
— Qu’est-ce que c’est ?
Une femme en tenue de ménagère arrangeait vivement ses cheveux en désordre.
— J’appartiens à la Police Judiciaire et je voudrais vous poser quelques questions…
— Entrez !…
Un gosse pleurait et son père le poussa d’un geste brutal dans la chambre voisine où l’on aperçut le pied d’un lit.
— Tu peux nous laisser ! dit Laberge à sa femme.
Elle avait les yeux rouges, elle aussi. La dispute avait dû éclater pendant le repas, car les assiettes étaient à moitié pleines.
— Qu’est-ce que vous voulez savoir ?
— Depuis quand n’êtes-vous plus allé à Fécamp ?
— Ce matin… J’y suis allé en vélo, car ce n’est pas drôle d’entendre la femme brailler toute la journée… On passe des mois en mer, à se crever… Et, quand on rentre…
Sa colère n’était pas calmée. Il est vrai que son haleine était saturée de relents d’alcool.
— Elles sont toutes les mêmes ! Jalousie et compagnie ! Elles se figurent qu’on n’a rien d’autre en tête que d’aller voir des poules… Écoutez ! La voilà qui est en train de rosser le gosse pour passer ses nerfs…
L’enfant criait, en effet, dans la pièce voisine, et la voix de femme s’élevait :
— Veux-tu te taire !… Hein ! te tairas-tu ?…
Ces mots devaient s’accompagner de gifles ou de bourrades, car les sanglots éclataient de plus belle.
— Ah ! c’est une jolie vie…
— Est-ce que le capitaine Fallut vous avait déjà fait part d’un chagrin quelconque ?
L’autre regarda Maigret de travers, changea une chaise de place.
— Qu’est-ce qui vous fait penser ça ?
— Il y a longtemps que vous naviguiez avec lui, n’est-ce pas ?
— Cinq ans…
— Et, à bord, vous preniez vos repas ensemble…
— Sauf cette fois-ci ! Il s’est mis en tête de manger tout seul, dans sa cabine… Mais j’aimerais autant ne plus parler de cette saloperie de campagne !
— Quand le crime a été commis, où étiez-vous ?
— Au café, avec les autres… On a dû vous le dire…
— Et vous croyez que le télégraphiste avait une raison de s’attaquer au capitaine ?
Brusquement, Laberge se fâcha.
— Où voulez-vous en venir avec vos questions ? Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, moi ? Je n’étais pas chargé de faire la police, vous entendez ? Et j’en ai plein le dos ! De cette histoire et du reste ! Au point que je me demande si je vais m’embarquer pour la prochaine campagne !
— La dernière n’a évidemment pas été brillante !
Nouveau regard aigu à Maigret.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
— Que tout allait mal ! Un mousse est mort ! Il y a eu plus d’accidents que d’habitude ! La pêche n’a pas été bonne et la morue est arrivée avariée à Fécamp…
— Est-ce ma faute ?
— Je ne dis pas cela ! Je vous demande seulement s’il y a dans les événements auxquels vous avez assisté quelque chose qui puisse expliquer la mort du capitaine… C’était un homme calme, à la vie rangée…
Le mécanicien ricana, mais ne dit rien.
— Est-ce que vous lui connaissez une aventure ?
— Puisque je vous dis que je ne sais rien, que j’en ai par-dessus la tête !… Est-ce qu’on veut me faire devenir fou ?… Qu’est-ce qu’il te faut encore, toi ?…
C’était à sa femme qu’il en avait, car elle venait de rentrer dans la pièce et elle se dirigeait vers le fourneau où une casserole dégageait une odeur de brûlé.
Elle pouvait avoir trente-cinq ans. Elle n’était ni laide ni jolie.
— Un moment… dit-elle avec humilité. C’est la pâtée du chien qui…
— Dépêche-toi !… Ce n’est pas encore fini ?…
Et, à Maigret :
— Voulez-vous que je vous dise une bonne chose ? Laissez tout ça tranquille ! Fallut est bien là où il est ! Moins on en parlera et mieux ça vaudra ! Maintenant, je ne sais rien et me poserait-on des questions pendant toute la journée que je n’aurais pas un mot de plus à répondre… Vous êtes venu par le train ?… Si vous ne prenez pas celui qui part dans dix minutes, vous n’en aurez plus avant huit heures du soir…
Il avait ouvert la porte. Du soleil pénétrait dans la pièce.
— De qui votre femme est-elle jalouse ? demanda doucement le commissaire, une fois sur le seuil.
Il serra les dents sans mot dire.
— Est-ce que vous connaissez cette personne ?
Et Maigret tendit le portrait dont la tête disparaissait sous le gribouillage à l’encre rouge. Mais il tenait le pouce sur cette tête. On ne voyait que le corsage de soie.
L’autre lui lança un regard rapide, voulut saisir le carton.
— Vous la reconnaissez ?
— Comment voulez-vous que je la reconnaisse ?
Et il ouvrait encore la main tandis que Maigret remettait le portrait dans sa poche.
— Vous venez demain à Fécamp ?
— Je ne sais pas… Vous avez besoin de moi ?
— Non ! Je demandais cela à tout hasard… Je vous remercie des renseignements que vous avez bien voulu me donner…
— Je ne vous ai pas donné de renseignements du tout !
Maigret n’avait pas fait dix pas que la porte était refermée d’un coup de pied et que des voix éclataient à l’intérieur de la maison où la dispute devait reprendre de plus belle.
Le chef mécanicien avait dit la vérité : il n’y avait pas de train pour Fécamp avant huit heures du soir et Maigret, désœuvré, échoua fatalement sur la plage, où il s’installa à la terrasse de l’hôtel.
C’était l’atmosphère banale des vacances : des parasols rouges, des robes blanches, des pantalons de flanelle et un groupe de curieux autour d’une barque de pêche qu’on tirait sur les galets à l’aide d’un cabestan.
Les falaises claires à gauche et à droite. Devant, la mer, d’un vert pâle, ourlée de blanc, et le murmure régulier de la vaguelette du bord.
— De la bière !…
Le soleil était chaud. Une famille mangeait des glaces à la table voisine. Un jeune homme prenait des photographies avec un Kodak et il y avait quelque part des voix pointues de jeunes filles.
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