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Simenon, Georges: Maigret aux assises

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Simenon, Georges Maigret aux assises

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— À quelle date avez-vous remis votre rapport au juge d’instruction ?

— Le rapport définitif, ainsi que les différentes dépositions signées par l’accusé, ont été transmis le 28 mars.

On en arrivait au moment délicat. Ils étaient trois seulement à le savoir, parmi ceux qui jouaient un rôle important. Le procureur d’abord, Justin Aillevard, à qui, la veille, à cinq heures, Maigret avait rendu visite dans son bureau du parquet. Puis, en dehors du commissaire lui-même, le président Bernerie, mis au courant la veille aussi, plus tard dans la soirée, par l’avocat général.

Mais il y en avait d’autres, insoupçonnés du public, qui attendaient aussi ce moment-là, cinq inspecteurs, que Maigret avait choisis parmi les moins connus, certains qui appartenaient à la brigade des mœurs généralement appelée la Mondaine.

Depuis l’ouverture du procès, ils étaient dans la salle, mêlés à la foule, à des points stratégiques, observant les visages, épiant les réactions.

— Officiellement donc, monsieur le commissaire, votre enquête a pris fin le 28 mars.

— C’est exact.

— Depuis cette date, vous est-il arrivé, néanmoins, de vous occuper des faits et gestes de personnes liées de près ou de loin à l’accusé ?

Du coup, l’avocat de la défense se leva, prêt à protester. Il allait dire, sans doute, qu’on n’avait pas le droit d’évoquer, contre son client, des faits qui n’étaient pas consignés dans le dossier.

— Rassurez-vous, maître, lui disait le président. Vous verrez dans un instant que, si j’use de mes pouvoirs discrétionnaires pour évoquer un développement inattendu de l’affaire, ce n’est pas dans le but d’accabler l’accusé.

L’avocat général, lui, regardait le jeune défenseur avec une pointe d’ironie, un air quelque peu protecteur.

— Je répète ma question. Le commissaire Maigret a-t-il, en définitive, poursuivi son enquête d’une façon officieuse ?

— Oui, monsieur le Président.

— De votre propre chef ?

— En accord avec le directeur de la police judiciaire.

— Vous avez tenu le parquet au courant ?

— Hier seulement, monsieur le Président.

— Le juge d’instruction savait-il que vous continuiez à vous occuper de l’affaire ?

— Je lui en ai parlé incidemment.

— Cependant, vous n’agissiez ni sur ses instructions, ni sur celles du procureur général ?

— Non, monsieur le Président.

— Il est nécessaire que ceci soit nettement établi. C’est pourquoi j’ai qualifié d’officieuse cette enquête en quelque sorte complémentaire. Pour quelle raison, monsieur le commissaire, avez-vous continué à employer vos inspecteurs à des recherches que le renvoi devant les Assises par la chambre des mises en accusation ne rendait plus nécessaires ?

La qualité du silence, dans la salle, avait changé. On n’entendait plus la moindre toux et aucune semelle ne bougeait sur le plancher.

— Je n’étais pas satisfait des résultats obtenus, grommela Maigret d’une voix bougonne.

Il ne pouvait pas dire ce qu’il avait sur le cœur. Le verbe satisfaire n’exprimait qu’imparfaitement sa pensée. Les faits, à son sens, ne collaient pas avec les personnages. Comment expliquer cela dans le cadre solennel des Assises, où on lui demandait des phrases précises ?

Le président avait une aussi longue expérience que lui, plus longue même, des affaires criminelles. Chaque soir, il emportait des dossiers à étudier dans son appartement du boulevard Saint-Germain, où la lumière, dans son bureau, restait souvent allumée jusqu’à deux heures du matin.

Il avait vu défiler, dans le box des accusés et à la barre, des hommes et des femmes de toutes sortes.

Ses contacts avec la vie, pourtant, ne restaient-ils pas théoriques ? Il n’était pas allé, lui, dans l’atelier de la rue de la Roquette, ni dans l’étrange appartement du boulevard de Charonne. Il ne connaissait pas le grouillement de ces immeubles-là, ni celui des rues populeuses, des bistrots, des bals de quartier.

On lui amenait des accusés entre deux gendarmes et, ce qu’il connaissait d’eux, il l’avait découvert dans les pages d’un dossier.

Des faits. Des phrases. Des mots. Mais autour ?

Ses assesseurs étaient dans le même cas. L’avocat général aussi. La dignité même de leurs fonctions les isolait du reste du monde dans lequel ils formaient un îlot à part.

Parmi les jurés, parmi les spectateurs, quelques-uns, sans doute, étaient mieux à même de comprendre le caractère d’un Meurant, mais ceux-là n’avaient pas voix au chapitre ou ne connaissaient rien à l’appareil compliqué de la Justice.

Maigret, lui, n’était-il pas à la fois des deux côtés de la barrière ?

— Avant de vous laisser continuer, monsieur le commissaire, je voudrais que vous nous disiez quel a été le résultat de l’analyse des taches de sang. Je parle de celles qui ont été trouvées sur le complet bleu appartenant à l’accusé.

— Il s’agit de sang humain. De délicates recherches de laboratoire ont démontré ensuite que ce sang et celui de la victime présentent un nombre suffisant de caractéristiques semblables pour qu’il soit scientifiquement certain qu’on se trouve en face d’un même sang.

— Malgré cela, vous avez continué votre enquête ?

— En partie à cause de cela, monsieur le Président.

Le jeune avocat, qui s’était préparé à combattre la déposition de Maigret, n’en croyait pas ses oreilles, restait inquiet, tandis que le commissaire poursuivait son ronronnement.

— Le témoin qui a vu un homme en complet bleu et en imperméable marron sortir, vers cinq heures, de l’appartement de Léontine Faverges, est formel quant à l’heure. Cette heure, d’ailleurs a été confirmée par un commerçant du quartier chez qui cette personne s’est rendue avant d’aller, rue Manuel, chez sa couturière. Si l’on accepte le témoignage Lombras, encore que celui-ci soit moins affirmatif quant à la date de sa visite rue de la Roquette, l’accusé se trouvait encore, en pantalon gris, à six heures, dans son atelier. Nous avons calculé le temps nécessaire pour aller de cet atelier à l’appartement du boulevard de Charonne, puis le temps pour se changer et enfin pour se rendre rue Manuel. Cela représente, au bas mot, cinquante-cinq minutes. Le fait que la traite présentée le lendemain n’ait pas été payée n’a pas été non plus sans me frapper.

— Vous vous êtes donc occupé d’Alfred Meurant, le frère de l’accusé !

— Oui, monsieur le Président. En même temps, mes collaborateurs et moi nous nous sommes livrés à d’autres recherches.

— Avant de vous permettre d’en donner le résultat, je tiens à être sûr qu’elles sont étroitement liées à l’affaire en cours.

— Elles le sont, monsieur le Président. Pendant plusieurs semaines, des inspecteurs de la brigade des garnis ont présenté certaines photographies dans un grand nombre d’hôtels meublés de Paris.

— Quelles photographies ?

— Celle d’Alfred Meurant, d’abord. Ensuite celle de Ginette Meurant.

Ce fut l’accusé, cette fois, qui se dressa, indigné, et son avocat dut se lever à son tour pour le calmer et le forcer à se rasseoir.

— Donnez-nous vos conclusions aussi brièvement que possible.

— Alfred Meurant, le frère de l’accusé, est bien connu dans certains quartiers, en particulier aux environs de la place des Ternes et aux alentours de la Porte Saint-Denis. Nous avons retrouvé ses fiches, entre autres, dans un petit hôtel de la rue de l’Étoile où il a séjourné à plusieurs reprises, mais rien n’indique qu’il soit venu à Paris après le 1 erjanvier.

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