Simenon, Georges - Les dossiers de l'Agence O

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Nouvelles figurant dans le recueil :
> La cabane en bois
>
> La cage d'Émile
>
> Le chantage de l'Agence O
>
> Le Club des Vieilles Dames
>
> Le docteur Tant-Pis
>
> Émile à Bruxelles
>
> L'étrangleur de Moret
>
> La fleuriste de Deauville
>
> L'homme tout nu
>
> La jeune fille de La Rochelle
>
> Le prisonnier de Lagny
>
> Le ticket de métro
>
> Les trois bateaux de la calanque
>
> Le vieillard au porte-mine.

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Le solennel domestique se décide enfin à venir ouvrir, ou plus exactement à parlementer.

— Il n'y a personne à la maison...

— Je sais... C'est votre patron qui m'envoie... Comme il ne rentrera pas cette nuit, ni probablement les suivantes, il voudrait que je lui apporte quelques objets de toilette, ainsi que du linge de rechange...

Emile ne risque guère. Au point où en sont les choses, il y a toutes les chances pour que M. Dossin soit en effet arrêté avant le soir.

— Il vous a remis un billet? Questionne le valet de chambre, méfiant.

— Il pense à tout autre chose qu'a écrire des billets... Comprenez donc la situation, que diable!... On vient de découvrir le cadavre de Jean Marchons...

— Ah!

— Cela ne paraît pas vous étonner autrement...

L'autre ne bronche pas.

— M'ouvrez-vous ou ne m'ouvrez-vous pas?

L'obscurité est à peu près complète quand la porte est enfin entrouverte.

— Vous êtes coriace, mon ami... Maintenant, si vous voulez me conduire à la chambre de M. Dossin...

— Je me demande s'il ne serait pas de mon devoir d'exiger un mandat de perquisition...

— C'est cela!... Je vous conseille de continuer vos manières...

— Qu'est-ce, que vous pourriez me faire?... Sans compter qu'il y a le chien...

C'est que le gaillard serait capable de mettre Emile à la porte! Il vaut mieux ruser.

— Faites ce que votre maître vous demande... Donnez-moi son pyjama, ses pantoufles, sa brosse à dents, son rasoir...

L'innocence de cette nomenclature décide Joseph. Ils pénètrent tous les deux dans une assez vaste chambre du premier étage.

Les vêtements sont suspendus dans une immense armoire ancienne, et Emile se dirige vers une autre armoire du même genre qui lui fait pendant. Il ne s'est pas trompé: celle-ci contient des chaussures. Il y en a une quinzaine de paires, soigneusement rangées.

— C'est curieux... fait-il mi-voix.

— Qu'est-ce qui est curieux?

— Il manque une paire de bottes... A moins que vous les ayez descendues pour les cirer...

— M. Dossin a ses bottes aux pieds...

— Je ne parle pas de ses bottes d'équitation, mais des bottes à lacer qu'il portait ce matin avant notre arrivée... Le domestique n'hésite pas une seconde.

— Monsieur n'a jamais eu de bottes à lacer...

— Ecoutez, Joseph... Ce matin, j'ai vu, de mes yeux vu, que M. Dossin portait des bottes à lacer... Cela n'a d'ailleurs aucune importance... Si le détail m'a frappé, c'est que je voudrais m'acheter des bottes semblables...

— Monsieur n'a jamais eu de bottes à lacer...

— Moi, je vous répète...

— Monsieur n'a jamais...

— Joseph, je vous en conjure, ne m'exaspérez pas... je vous préviens tout de suite que cela pourrait vous mener loin... Demain ou après-demain, ce n'est plus à moi que vous aurez à répondre, mais au juge d'instruction... Il vous posera la même question, sous la foi du serment... Affirmerez-vous, sous la foi du serment, que votre patron...

— ... n'a jamais eu de bottes à lacer, parfaitement!

— Vous serez poursuivi pour faux témoignage...

— C'est ce que nous verrons... En attendant (et les yeux du domestique se font plus durs) c'est vous qui avez menti en prétendant que M. Dossin vous avait chargé d'une commission... je comprends, maintenant... Tout ce que vous vouliez, c'était fouiller sa chambre avec l'espoir d'y trouver je ne sais quelle paire de bottes... Eh bien! Si vous ne filez pas tout de suite...

Décidément, ce n'est pas une maison où il soit bon de s'attarder. Emile préfère ne pas insister. Il descend même l'escalier assez vite, car l'air de Joseph ne lui dit rien qui vaille. Quant à la cour où rôde le chien...

Tout va bien. La grille est refermée. Emile remonte en voiture, il regarde fixement l'obscurité devant lui et, avant même de mettre le moteur en marche, il murmure: — Que diable ont-ils bien pu faire de ces bottes?

La maison, dans une rue calme de Pithiviers, est assez coquette. Par la serrure, avant de sonner, Emile a aperçu de la lumière. Bientôt une femme d'un certain âge vient lui ouvrir, tressaille, met la main sur sa poitrine, questionne: — Il est arrivé un malheur, n'est-ce pas?

— Pardon, madame... C'est bien ici qu'habite M. Marchons?... Pourrais-je savoir à qui j'ai l'honneur...

— Entrez, monsieur... Ne restez pas dans le froid et dans l'obscurité... Attendez que j'éclaire le salon... Mais, de grâce, rassurez-moi!... Ou plutôt dites-moi la vérité... Je suis la gouvernante de Jean... C'est moi qui l'ai élevé... Il me considérait pour ainsi dire comme sa mère... Vous dites?... Pourquoi baissez-vous la tête?... Il est arrivé un malheur?... Quand j'ai vu qu'il ne rentrait pas... Il n'est pas mort, au moins?

— Il est mort, madame...

— On l'a tué?... On a fait ça?...

Elle pleure. Elle s'écroule dans un fauteuil.

— Je lui ai toujours dit que cela finirait mal... Un beau garçon comme lui, bien portant, avec une certaine fortune... Il aurait pu épouser n'importe quelle jeune fille... Au lieu de ça, le voilà qui s'entiche de cette... de cette... C'est une créature, n'est-ce pas, monsieur?... On ne me fera pas croire qu'une femme honnête et propre épouse un homme de vingt ou vingt-cinq ans plus âgé qu'elle... Comment est-ce arrivé?... Il les a surpris ensemble?...Il a tiré, évidemment Un homme qui a toujours le fusil à l'épaule... Je devine ce qui s'est passé... Il aura fait semblant d'aller à la chasse... Puis il sera revenu sans bruit et il aura tiré... Où l'a-t-il atteint, monsieur?

— Il n'a pas tiré...

— Alors, qu'est-ce qu'il a fait?

Pourquoi, dans ce petit salon confortable, devant cette brave femme qui pleure, Emile est-il frappé par l'énormité de ce qu'il va dire?

— Il... C'est-à-dire que Jean Marchons a eu le crâne défoncé d'un coup de marteau, puis...

La pauvre femme a porté sa main à sa tête, comme si c'était elle qu'on frappait.

— Puis on l'a pendu...

— Qu'est-ce que vous dites?

— Enfin, on a jeté son corps dans le canal...

Cette fois, c'en est trop. Elle s'est levée. Elle regarde avec une certaine inquiétude ce visiteur qui prononce de telles énormités.

— Vous n'allez pas me faire croire... Mais alors, celui qui a fait ça est un fou... Il n'y a qu'un fou pour...

Emile a une manie qui déroute toujours les gens, et qui a le don d'exaspérer le patient Torrence lui-même. Quand une idée lui passe par la tête, fonce soudain, sans s'inquiéter de son interlocuteur qu'il laisse en plan.

C'est ce qui lui arrive une fois de plus.

— Il n'y a qu'un fou pour... a commencé la gouvernante, qui s'essuie les yeux.

Et elle n'a pas fini sa phrase qu'Emile est sorti sans rien dire. Il ouvre la porte de la rue, se dirige vers son auto. Elle est obligée de courir après lui.

— Mais où est-il?... Monsieur? Dites-moi au moins où il est...

— C'est vrai... Eh bien! Si vous voulez monter...

— Attendez que je prenne un manteau, que je ferme la porte…

Tout le long du chemin, il ne lui adresse pas la parole. Il ne l'écoute pas.

Mme Dossin n'est pas folle, il le jurerait. Or, le docteur a affirmé...

— Pourquoi, oui, dites-moi pourquoi on l'aurait pendu s'il était déjà mort?

— Et vous, dites-moi pourquoi, s'il était pendu, on l'aurait frappé à coups de marteau?

Des phares en veilleuse, dans le lointain. C'est Sully, le bord du canal, les voitures de ces messieurs du Parquet d'Orléans et de la brigade mobile.

Emile pousse la porte de l'auberge. Dans la salle mal éclairée, de nombreux personnages sont immobiles quand la gouvernante se précipite vers le billard, soulève la housse, pousse un grand cri et s'évanouit.

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