LE HÉRAUT
Qui veut prendre la parole?
AMPHITHÉOS
Moi.
LE HÉRAUT
Qui, toi?
AMPHITHÉOS
Amphithéos.
LE HÉRAUT
Pas un homme?
AMPHITHÉOS
Non; mais un immortel. Amphithéos était fils de Dèmètèr et de Triptolémos: de celui-ci naît Kéléos. Kéléos épouse Phænarètè, mon aïeule, de laquelle naît Lykinos. Né de lui, je suis un immortel. A moi seul les dieux ont confié le soin de faire une trêve avec les Lakédæmoniens. Mais tout immortel que je suis, citoyens, je n'ai pas de quoi manger; car les Prytanes ne me donnent rien.
LE HÉRAUT
Archers!
AMPHITHÉOS
O Triptolémos, ô Kéléos, m'abandonnez-vous?
DIKÆOPOLIS
Citoyens Prytanes, vous faites injure à l'assemblée, en expulsant cet homme, qui a voulu nous obtenir une trêve et pendre au clou les boucliers.
LE HÉRAUT
Assis! Silence!
DIKÆOPOLIS
Non, par Apollôn! je ne me tais pas, à moins que les Prytanes ne délibèrent sur la paix.
LE HÉRAUT
Les Envoyés revenant d'auprès du Roi!
DIKÆOPOLIS
De quel roi? J'en ai assez des Envoyés, des paons et des fanfaronnades.
LE HÉRAUT
Silence!
DIKÆOPOLIS
Ah! ah! par Ekbatana, quel équipage!
UN DES ENVOYÉS
Vous nous avez députés vers le Grand Roi, avec une solde de deux drakhmes par jour, sous l'arkhontat d'Euthyménès.
DIKÆOPOLIS
Hélas! nos drakhmes!
L'ENVOYÉ
Certes, nous avons peiné le long des plaines du Kaystros, errants, couchant sous la tente, mollement étendus sur des chariots couverts, mourant de fatigue.
DIKÆOPOLIS
Et moi, j'étais donc bien à l'aise, couché sur la paille, le long du rempart?
L'ENVOYÉ
Bien reçus, on nous forçait à boire, dans des coupes de cristal et d'or, un vin pur et délicieux.
DIKÆOPOLIS
O cité de Kranaos, sens-tu bien la moquerie de tes Envoyés?
L'ENVOYÉ
Les Barbares ne regardent comme des hommes que ceux qui peuvent le plus manger et boire.
DIKÆOPOLIS
Et nous, les prostitués et les débauchés aux complaisances infectes.
L'ENVOYÉ
Au bout de quatre ans, nous arrivons au palais du Roi; mais il était allé à la selle, suivi de son armée, et il chia huit mois dans les monts d'or.
DIKÆOPOLIS
Et combien de temps mit-il à fermer son derrière?
L'ENVOYÉ
Toute la pleine lune; puis il revint chez lui. Il nous reçut alors, et il nous servit des bœufs entiers, sortant du four.
DIKÆOPOLIS
Et qui a jamais vu des bœufs cuits au four? Quelles bourdes!
L'ENVOYÉ
Mais, de par Zeus! il nous fit servir un oiseau trois fois plus gros que Kléonymos, et dont le nom était «le hâbleur».
DIKÆOPOLIS
Est-ce donc pour tes hâbleries que tu touchais deux drakhmes?
L'ENVOYÉ
Et maintenant nous vous annonçons Pseudartabas, l'œil du Roi.
DIKÆOPOLIS
Puisse un corbeau te crever le tien d'un coup de bec, toi, l'Envoyé!
LE HÉRAUT
L'œil du Roi!
DIKÆOPOLIS
Par Hèraklès! Au nom des dieux, dis donc, l'homme, ton œil est fait comme un trou de navire! Est-ce que, doublant le cap, tu regardes par où entrer en rade? Tu as une courroie qui retient ton œil par en bas.
L'ENVOYÉ
Allons, toi, dis ce que le Roi t'a chargé d'annoncer aux Athéniens, Pseudartabas.
PSEUDARTABAS
Iartaman exarxas apissona satra.
L'ENVOYÉ
Avez-vous compris ce qu'il dit?
DIKÆOPOLIS
Par Apollôn! je ne comprends pas.
L'ENVOYÉ
Il dit que le Roi vous enverra de l'or. Allons, toi, prononce plus haut et plus clairement le mot or.
PSEUDARTABAS
Tu n'auras pas d'or, Ionien au derrière élargi; non.
DIKÆOPOLIS
Oh! le maudit homme! C'est on ne peut plus clair.
L'ENVOYÉ
Que dit-il?
DIKÆOPOLIS
Il dit que les Ioniens ont le derrière élargi, s'ils comptent sur l'or des Barbares.
L'ENVOYÉ
Mais non, il parle de larges médimnes d'or.
DIKÆOPOLIS
Quels médimnes? Tu es un grand hâbleur. Mais va-t'en: à moi tout seul, je vais les mettre à l'épreuve. ( A Pseudartabas. ) Voyons, toi, réponds clairement à l'homme qui te parle; autrement je te baigne dans un bain de teinture de Sardes. Le Grand Roi nous enverra-t-il de l'or? ( Pseudartabas fait signe que non. ) Alors nous sommes dupés par les Envoyés. ( Pseudartabas fait signe que oui. ) Mais ces gens-là font des signes à la façon hellénique; il n'y a pas de raison pour qu'ils ne soient pas d'ici. Des deux eunuques, j'en reconnais un: c'est Klisthénès, le fils de Sibyrtios. Oh! son chaud derrière est épilé. Comment, singe que tu es, avec la barbe dont tu t'es affublé, viens-tu nous jouer un rôle d'eunuque? Et l'autre, n'est-ce pas Stratôn?
LE HÉRAUT
Silence! Assis! Le Conseil invite l'œil du Roi à se rendre au Prytanéion.
DIKÆOPOLIS
N'y a-t-il pas là de quoi se pendre? Après cela dois-je donc me morfondre ici? Jamais la porte ne se ferme au nez des étrangers. Mais je vais faire quelque chose de hardi et de grand. Où donc est Amphithéos?
AMPHITHÉOS
Me voici!
DIKÆOPOLIS
Prends-moi ces huit drakhmes, et fais une trêve avec les Lakédæmoniens pour moi seul, mes enfants et ma femme. Vous autres, envoyez des députations, et ouvrez la bouche aux espérances.
LE HÉRAUT
Place à Théoros qui revient de chez Sitalkès.
THÉOROS
Me voici!
DIKÆOPOLIS
Encore un hâbleur appelé par la voix du Héraut.
THÉOROS
Nous ne serions pas restés longtemps en Thrakè…
DIKÆOPOLIS
Non, de par Zeus! si tu n'avais touché un gros salaire.
THÉOROS
S'il n'avait neigé sur toute la Thrakè, et si les fleuves n'eussent gelé vers le temps même où Théognis faisait ici jouer ses drames. Dans ce même temps je buvais avec Sitalkès. En vérité, il est passionné pour Athènes; c'est pour nous un amant véritable, au point qu'il a écrit sur les murs: «Charmants Athéniens!» Son fils, que nous avons fait Athénien, brûlait de manger des andouilles aux Apatouries, et conjurait son père de venir au secours de sa nouvelle patrie. Celui-ci jura sur une coupe de venir à notre secours avec une armée si nombreuse, que les Athéniens s'écrieraient: «Quelle nuée de sauterelles!»
DIKÆOPOLIS
Que je meure de male mort, si je crois un mot de ce que tu dis, hormis tes sauterelles!
THÉOROS
Et maintenant il vous envoie la peuplade la plus belliqueuse de la Thrakè.
DIKÆOPOLIS
Voilà, au moins, qui est clair.
LE HÉRAUT
Paraissez, Thrakiens que Théoros amène.
DIKÆOPOLIS
Quel est ce fléau?
THÉOROS
L'armée des Odomantes.
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