« Et s’ils ne te plaisent pas, tu m’empêcheras de les voir ? » son frère redevient sérieux.
« S’ils te plaisent à toi, je suis sûre qu’ils seront biens » s’hasarde la jeune fille, en espérant que ce sera vraiment le cas.
« Okay. J’y penserai » .
Keira essaie de se détendre. Elle donnera une chance à ses types, et s’ils ne valent pas grand chose elle réfléchira à comment les éloigner. Ou à comment faire ouvrir les yeux à son frère. Mais, elle ne veut pas qu’il pense qu’il est indigne de confiance. Peut-être qu’elle devrait aussi connaître un de ses camarades de classe...
« Comment ça se passe ? » Josh interrompt ses pensées.
« Quoi ? À la maison ? »
« Non, toi. Comment ça va pour toi ? »
Keira le regarde. Bizarre, elle ne le lui demande pas d’habitude. D’habitude, elle évite la question car ça la rend nerveuse.
« Tout va bien » répondit-il rapidement, s’introduisant dans l’allée.
Broken Street. Route abîmée. Quelle ironie. Elle déteste cette adresse et elle déteste ce quartier. Un des pires de la ville. Loin de la mer. Et de son ancienne vie.
Chaque fois qu’elle rentre, elle doit faire face au taudis qu’ils ont pris en location : la véranda est en train de s’écrouler, et elle, elle n’arrive pas à économiser l’argent nécessaire pour la remettre en état.
« Alors, chef, qu’est-ce qu’on mange aujourd’hui ? » Josh récupère son sac et descend de la voiture.
« Un sandwich ? »
« Pff » son frère rejoint la porte. « Je devrai te faire une liste de courses pour quand viendront mes amis » .
« Ok, mais que ce soit un menu simple, parce que … » Keira s’arrête net et observe une Camaro bleu effectuer un dérapage dans le virage du pâté de maisons et se diriger droit vers eux.
« Regarde cet idiot… » commence Josh.
« Va à l’intérieur » ordonne Keira.
« Eh ? »
« Josh, va à l’intérieur et ferme à clé » .
« Qu’est-ce qui se passe ? Tu le connais ? »
La Camaro freine d’un coup sec à environ trois centimètres des jambes de Keira, qui ne prend pas la peine de se décaler car elle est encore trop occupée à parler à son frère :
« Je t’ai dit d’aller à l’intérieur ! » répète-t-elle, haussant le ton pour que Josh obéisse enfin. Il entre dans la maison, ferme à double tour et se met à la fenêtre juste à côté : un mec énorme, grand et blême, habillé tout en noir, descend de la voiture. Il porte un long manteau en cuir et une paire de rangers à la pointe en métal.
« Enfin, je t’ai trouvée » il ferme la porte d’un coup sec et prend Keira par le bras. « Tu pensais peut-être pouvoir m’échapper indéfiniment ? »
« Qu’est-ce que tu veux, Evan ? » .
Elle déteste être touchée, surtout par ce genre de porc.
« Ce que je veux depuis toujours, trésor » le type la plaque contre la voiture et passe sa main sous son top en dentelle. « Je te veux toi et ton corps, et je veux te voir allongée sous moi, sur le siège arrière » .
Keira retire sa main avec une telle violence qu’elle la griffe, et maudit cette soirée, dans un pub, où elle était si ivre et inconsciente au point de permettre à cet idiot de s’approcher.
« Nous deux c’est terminé. N’essaie plus de me retrouver » .
Elle tente de se libérer de lui pour clore la question et s’en aller, mais il l’en empêche : il attrappe ses épaules, l’adossant sur le côté de la voiture, et sort un couteau de son manteau.
« Maintenant, on va faire un tour, tu verras tu changeras d’avis » il la tient fermement et sort la lame, lui pointant entre les seins. « Et ne fais pas d’histoires sinon je risque de perdre patience » .
Keira se mord les lèvres : quelle belle discussion.
Josh, qui a observé toute la scène, écarquille les yeux à la vue du couteau, réouvre la porte et se met à hurler : « Laisse ma soeur tranquille ! Laisse-la tranquille ! »
« Josh, retourne tout de suite dans la maison, bon Dieu ! » s’exclame Keira en retour.
« Oh, quelle scène émouvante, le fiston qui veut jouer les héros » Evan ricane et saisit Keira au cou. « Tu ne veux pas que je règle son compte à ton gentil petit frère, pas vrai ? » demande-t-il.
Keira jette un coup d’oeil à Josh : il est sur le pas de la porte, une main agrippée à la poignée, pris entre l’envie d’intervenir pour l’aider et la peur qui se lit sur ses grands yeux clairs.
Merde.
Ça ne doit pas arriver maintenant, pas devant lui. Il ne doit pas assister à des scènes comme ça.
Si elle était seule, elle aurait tenté n’importe quelle manoeuvre, mais avec son frère au milieu, elle ne veut prendre aucun risque. Rien qu’à l’idée qu’Evan puisse lui faire du mal, elle frémit de rage.
« Non, c’est vrai. Il n’a rien à voir avec tout ça » répondit-elle.
« Bien. Alors, monte et n’essaie pas de me baiser » lui tenant toujours le bras, Evan la conduit vers l’autre côté du véhicule. Il ouvre la portière côté passager.
« Keira, où tu vas ? ! » la voix grinçante et angoissée de Josk parvient jusqu’à elle.
« Ne t’en fais pas, je reviens tout de suite. Toi, mange et fais tes devoirs » Keira maintient un ton catégorique dans sa voix.
« Tu ne... Tu ne peux pas aller avec lui... »
« J’en ai pas pour longtemps. Sois tranquille, okay ? »
Evan la pousse à l’intérieur et referme la portière. Puis, le couteau pointé en direction de Josh, en guise d’avertissement, il passe devant le capot et prend place au volant.
La Camaro démarre et part en trombe, faisant vrombir le moteur.
Depuis le rétroviseur, Keira voit Josh courir dans la rue et les regarder disparaître au loin.
Bien. Au moins, maintenant, ça se joue entre eux deux.
Elle lorgne Evan du coin de l’oeil : il conduit vite et a toujours le couteau dans sa main.
Elle respire à fond. Elle a vu pire. Elle sortira aussi de cette situation absurde. Car, comme le dit sa mère, tout n’est qu’un concours de circonstances : un petit geste, au moment opportun, peut tout changer. De plus, bien qu’effrayant et enclin au sadisme, Evan reste toujours un crétin. Un détail qui a son importance quand tu dois t’en libérer.
Keira se tourne et cette fois, elle le regarde sans se cacher : il a les doigts blancs à force de serrer le volant, et ses narines se dilatent à chaque respiration. Il est nerveux et prêt à exploser. Elle doit faire baisser la pression.
Elle change de ton, elle s’adoucit : « C’est bon, peut-être que tu as raison. J’admets t’avoir menti » .
« Sur quoi ? »
« Je t’ai dis que je ne voulais plus te voir, mais tu sais que ce n’est pas la vérité » .
« Ah, donc ça t’amuse de te faire poursuivre dans toute cette putain de ville ? » Evan la foudroie du regard et fait une embardée dans le virage.
« Oh, ça me plaît beaucoup quand tu me poursuis » le provoque-t-elle.
« Ne joue pas à la conne » .
« Tu as été méchant avec moi la dernière fois. Je devais savoir si tu tenais vraiment à moi » .
Elle doit se forcer pour cracher cette ineptie sans montrer le profond dégoût qu’elle éprouve. La dernière fois qu’ils se sont vus, Evan était saoul au point de demander une fellation dans les toilettes crasseuses d’une station-service et, après s’être vu refusé une telle pratique, il lui a donné un coup de poing dans le ventre. Keira l’a laissé au beau milieu de l’aire de stationnement et n’a plus jamais répondu à ses appels.
Mais l’indifférence, maintenant elle s’en rend compte, n’a pas été une solution suffisante.
« Ce ne sont que des conneries ! Je t’ai envoyé une centaine de messages pour te demander pardon, tu ne les as pas lus ? » Evan donne un coup de poing sur le volant.
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