« Eh bien, je dirais que ce serait une accusation plutôt osée à l’encontre de quelqu’un. Surtout dans une ville comme celle-ci, concernant une fille qui vient juste de perdre ses deux parents. »
Jeremy soupira et haussa les épaules. Son attitude nonchalante énervait Kate mais elle fit de son mieux pour rester professionnelle.
« Je vous l’ai déjà dit… Je ne sais rien concernant cette famille. »
« Tu mens, » dit Kate. « Et il faut que tu saches une chose. Tu peux continuer à mentir, mais c’est une petite ville, ne l’oublie pas. Je pourrai facilement savoir si tu m’as menti. Et si c’est le cas, alors on va commencer à creuser sur votre petit trafic de drogues. Peut-être que nous retrouverons certains des clients dont ton frère a écrit le nom sur le petit cahier noir en-dessous de son lit. Peut-être qu’on leur dira que c’est toi qui nous as dit où se trouvait le cahier. »
Les yeux de Jeremy s’écarquillèrent à ces mots et il commença à gigoter sur sa chaise. Kate se dit qu’elles devraient peut-être aussi interroger son frère. Elle se demanda lequel des deux craquerait le premier, une fois mis sous pression.
Mais apparemment, elle n’allait pas devoir en passer par là. Elle put pratiquement voir le moment où Jeremy Branch décida que sa propre survie était plus importante que tout.
« OK, je la connais. Mais on ne sortait pas officiellement ensemble. On se voyait juste de temps en temps. »
« Alors, c’était essentiellement une relation sexuelle ? »
« Oui. Et rien de plus. »
« Ça ne te dérangeait pas qu’elle n’ait que quinze ans ? »
« Un peu. Je me suis dit que j’arrêterais de la voir le jour où j’aurais mes dix-huit ans. Pour éviter d’avoir des problèmes, vous voyez ? »
« À quand remonte la dernière fois où tu l’as vue ? » demanda DeMarco.
« Il y a environ une semaine. »
« Elle est venue chez toi ? »
« Oui. On avait ce genre de plan entre nous. Quand elle avait envie de me voir, elle m’envoyait un message et j’allais la chercher sur Waterlick Road. Elle disait à ses parents qu’elle allait chez une amie et j’allais la chercher pour la ramener chez moi. »
« Ça durait depuis combien de temps ? » demanda Kate.
« Quatre ou cinq mois. Écoutez… je sais que ça peut paraître dégueulasse, mais je ne la connais vraiment pas bien du tout. C’était juste sexuel. C’est tout. J’étais son premier mec… et elle était un peu curieuse, vous voyez ? Elle n’était pas non plus du genre accro au sexe, mais on se voyait souvent. »
« Je pensais que tu avais dit qu’elle était affectueuse avec la plupart des types, » dit DeMarco.
Il se contenta de hausser les épaules. C’était visiblement un mensonge qu’il avait dit pour garder la face.
« Et ses parents ? » demanda Kate. « Qu’est-ce que tu peux nous dire à leur sujet ? »
« Rien. Je savais qui était son père. C’est une petite ville, vous savez. Tout le monde se connaît. Et elle disait toujours en blaguant que si son père apprenait qu’on bai… qu’on avait des relations sexuelles, » dit-il, ne trouvant apparemment pas approprié d’utiliser un autre terme devant deux femmes, « il me tuerait. »
« Et tu la croyais ? »
« Je ne sais pas. Mais j’imagine. En tant que mec, on n’a jamais vraiment envie de penser que le père de la fille avec qui on couche pourrait l’apprendre. Je ne savais pas quoi penser au sujet de ses parents. Elle les détestait. Elle les haïssait vraiment, vous savez ? »
« Ah bon ? »
« De la manière dont elle parlait d’eux, oui, je pense bien. Si je peux… »
Il s’interrompit et eut l’air de réfléchir à quelque chose. Puis il regarda Kate et DeMarco comme s’il essayait de savoir jusqu’où il pouvait aller.
« À quoi tu penses ? » demanda Kate.
« Écoutez, je sais que c’est nul d’avoir couché avec elle au moins une vingtaine de fois et de ne pas la connaître plus que ça. Mais j’ai toujours trouvé que c’était bizarre la manière dont elle parlait de ses parents. »
« C’est-à-dire ? »
Avant qu’il n’ait eu le temps de répondre, on frappa à la porte. Le shérif Barnes l’ouvrit et passa la tête dans l’embrasure. Il y eut un bref échange de regards entre Barnes et Jeremy. Kate comprit que ce n’était probablement pas la première fois que Jeremy se retrouvait dans cette salle d’interrogatoire.
« Jeremy Branch ? » dit-il. « Qu’est-ce qu’il fout là ? »
« Tu lui dis ou on s’en charge ? » demanda DeMarco. Elle laissa quelques secondes à Jeremy pour répondre mais comme il restait silencieux, elle mit Barnes au courant de la situation. « Il couchait avec Mercy Fuller… et la dernière fois date de la semaine dernière. Il vient juste de nous dire combien il trouvait étrange que Mercy parle de manière aussi négative au sujet de ses parents. Combien elle les haïssait. »
« Tu couchais avec elle ? » demanda Barnes. « Mais… tu as quel âge ? »
« Dix-sept ans. Je n’aurai dix-huit ans que le mois prochain. »
« Vas-y, continue, » dit Kate, en revenant sur le sujet. « Raconte-nous le genre de choses que Mercy disait au sujet de ses parents. »
« Elle disait qu’ils ne la laissaient jamais rien faire. Qu’ils ne lui faisaient pas confiance. Elle en voulait particulièrement à sa mère. À au moins deux ou trois reprises, elle a dit un truc du genre ‘j’ai juste envie de la tuer, cette connasse.’ Elle détestait sa mère. »
« Est-ce qu’elle t’a parlé de la relation que ses parents avaient entre eux ? » demanda Kate.
« Non. Elle parlait rarement d’eux. Elle crachait son venin pendant un moment, s’énervait un peu, et c’était généralement à ce moment-là qu’on couchait ensemble. Je… je ne sais pas. Je n’ai jamais pensé qu’elle finirait vraiment par le faire. »
« Faire quoi ? » demanda Barnes.
Jeremy leva les yeux vers eux, comme s’ils n’avaient rien compris de ce qu’il venait de leur dire. « Sérieusement ? Écoutez… comme je vous l’ai dit. Elle avait l’air un peu ingénue, à part le fait d’être un peu nympho, mais si vous cherchez l’assassin de ses parents… c’est elle que vous devez trouver. Je peux vous garantir que Mercy a tué ses parents avant de quitter la ville. »
Jusque-là, personne ne s’était encore assis sur la chaise qui se trouvait en face de Jeremy. Kate, DeMarco et Barnes étaient restés debout. Mais au moment où Jeremy fit cette accusation, le shérif Barnes s’avança lentement vers la chaise et s’assit en face de l’adolescent. Il y avait un mélange de tristesse et de colère dans ses yeux au moment où il pointa un doigt accusateur en direction de Jeremy.
« Je suis shérif dans cette ville depuis seize ans. Je connaissais bien Wendy et Alvin Fuller. Et d’après ce que je sais, Mercy Fuller était une jeune fille bien. Certainement pas une petite merdeuse comme toi. Alors si tu tiens à faire une telle accusation, il vaudrait mieux pour toi que tu aies de quoi l’étayer. »
Jeremy hocha la tête, visiblement très effrayé. « Oui, j’ai de vraies raisons de le penser. »
Barnes croisa les bras, s’appuya contre le dossier de la chaise et un léger rictus se dessina sur ses lèvres. Quand Jeremy se mit à parler, il le fit sans quitter Barnes des yeux. Il avait l’air d’avoir peur que Barnes se jette à tout moment à son cou pour l’étrangler.
« Ça faisait peut-être trois ou quatre semaines qu’on se voyait quand elle mentionna pour la première fois l’idée de s’enfuir de chez elle. Elle m’a demandé si je viendrais avec elle. Elle voulait aller en Caroline du Nord. Je me suis un peu moqué d’elle parce que je ne voyais pas à quoi ça servait de fuguer pour aller si peu loin. En plus, je ne l’aimais pas de cette façon-là. Mon frère blaguait tout le temps sur le fait que les filles avaient tendance à être obsédées par le premier garçon avec lequel elles couchaient. Et je pense que c’était son cas. En tout cas, il était hors de question que je fugue avec elle. Mais la manière dont elle en parlait… il était clair qu’elle l’envisageait vraiment. »
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