Royce se déplaça le long de la ligne.
— Voici Matilde, qui fait partie de la résistance à la domination de l’ancien duc depuis presque le début. Elle est plus féroce qu’elle n’en a l’air.
— Vraiment ? dit son père en regardant Matilde. Je dirais que tu as déjà l’air assez féroce. Je serai heureux de me battre à tes côtés.
— Merci, Votre Majesté, dit Matilde, l’air ravie.
— Et toi ? dit son père, se tournant vers Neave.
— Neave, Votre Majesté, dit-elle, avec une note de respect à laquelle Royce ne s’attendait pas.
— Les Pictis méritent une meilleure place dans le royaume que ce que j’ai pu leur donner. Ils respectent la magie du monde d’une manière aujourd’hui oubliée. Si tu es ici, cela signifie-t-il que ta tribu se bat aux côtés de mon fils ?
— Oui, confirma Neave. Il a fait chanter la pierre de guérison. D’autres se joindront également à votre cause.
— On dirait que tu as préparé toute une armée, conclut le père de Royce.
Royce hocha la tête.
— Nous y travaillons. D’ici notre retour, j’espère que mes frères en auront rassemblé assez pour affronter le roi Carris. Mais il nous faut un symbole. Nous avons besoin du roi légitime. Nous avons besoin de toi.
— Je suis avec toi, promit son père. Il se dirigea vers le bateau. Mais nous avons encore un long chemin à parcourir et un dur combat à livrer une fois là-bas.
CHAPITRE SIX
Geneviève se faufila dans le château au petit matin, effrayée à chaque pas, sachant qu’elle prenait un risque simplement en déambulant dans les couloirs. Si Altfor réalisait qu’elle était ici, alors même l’enfant qu’elle portait ne saurait la protéger, mais il avait quitté leur chambre avant elle, et Geneviève avait deviné qu’il était parti rejoindre Moira.
— Je vais la tuer, dit Geneviève, bien qu’elle connût ses appréhensions à tuer qui que ce soit de sang-froid. Sa mésaventure avec Altfor lui avait bien prouvé, lorsqu’elle s’était trouvée incapable de le poignarder alors même qu’elle en avait eu l’occasion.
— Je trouverai quelque chose, se promit Geneviève, de la même façon qu’elle l’avait fait quand il s’agissait d’Altfor. Si elle ne pouvait pas le faire directement, elle aiderait à tous les faire tomber indirectement, puis elle veillerait à ce qu’ils soient exécutés pour leurs crimes. Ils le méritaient, ils méritaient bien pire encore.
Elle détestait davantage Moira, si c’était possible, qu’Altfor. Altfor n’avait jamais prétendu être son ami ; il l’avait trahi comme Geneviève s’était attendue qu’il la trahisse. Moira, quant à elle, avait connu la même situation qu’elle, mariée à un autre fils du duc et plongée dans un monde dont elle n’aurait jamais dû faire partie. Elle aurait dû être l’alliée de Geneviève, son amie. Au lieu de cela, elle s’était rapprochée d’Altfor, et avait trahi Geneviève. Elle avait fait bien pire quand elle avait livré Garet aux forces du roi.
Au moins Geneviève pourrait commencer à s’occuper de cela.
Elle continua d’avancer, se déplaçant en douceur d’une cachette à une autre, essayant de donner l’impression qu’elle vaquait à ses occupations, qu’elle partait pour des affaires légitimes. Il était inutile de se faufiler dans un bâtiment fortifié bientôt en temps de guerre, où trop de gens circulaient et où la crainte des espions était trop forte pour espérer passer inaperçue. Le mieux que Geneviève pouvait espérer, c’était de donner l’impression qu’elle ne fasse rien d’inhabituel.
Elle approchait des cellules, sachant que son trajet jusque-là avait été la partie la plus facile. Les gens ne se formaliseraient pas par sa présence partout ailleurs dans le donjon, et n’oseraient de toute façon pas interroger la noble épouse du nouvel ami du roi, mais Geneviève doutait que cela puisse fonctionner devant les portes des cellules.
Elle se tenait maintenant face à l’entrée, où un grand garde était assis sur un tabouret, les clés à la ceinture et une épée à la hanche. Geneviève devait trouver un moyen de l’éloigner de cette porte, et à ce moment-là, rien ne lui vint. Qu’est-ce qui pourrait bien faire bouger un homme à qui l’on avait ordonné de rester à son poste ?
La réponse était évidemment que rien n’y parviendrait. Il n’y avait aucun moyen subtil de le faire, aucun moyen de le distraire de son poste discrètement et de se glisser derrière lui. La seule option était la plus directe, et si elle la choisissait, ses intentions deviendraient évidentes. Elle n’aurait plus aucune chance de pouvoir rester dans ce château. Geneviève était-elle vraiment prête à tout abandonner et à fuir, alors qu’elle avait peut-être encore une chance d’en savoir plus afin d’aider à gagner cette guerre.
— Et qu’arrivera-t-il à Garet si je ne fais rien ? se murmura-t-elle.
Elle connaissait aussi la réponse à cette question. Elle avait vu ce que le roi était capable de faire subir à ses opposants, et ne doutait pas qu’il pensait ce qu’il avait dit au sujet de la torture. Elle devait faire sortir le frère de Royce, même si cela compromettait sa position actuelle.
Ce serait peut-être même à son avantage. Geneviève pourrait rejoindre les forces de Royce si elle ramenait Garet. Ce serait la preuve qu’elle était de leur côté, et Royce pourrait enfin comprendre qu’elle se souciait de leur sort.
— Rien ne m’est plus important, dit Geneviève à voix basse.
Elle s’avança alors vers le garde à la porte des oubliettes. Il la regarda avec la lenteur paresseuse d’un homme qui n’avait nullement l’intention de bouger s’il n’avait pas à le faire.
— Qu’est-ce que vous voulez ? demanda-t-il.
— Que voulez-vous ma Dame, le corrigea Geneviève en adoptant la voix la plus hautaine dont elle était capable. Qu’est-ce qui t’a fait croire que nous étions égaux ?
Il lui était assez facile de paraître suffisante : elle n’avait qu’à penser à la façon dont Altfor aurait agi. Cela suffit à élargir les yeux du garde sous l’effet de la peur, ou du moins de la surprise.
— Rien, ma Dame. Pardonnez-moi, ma Dame.
— Tais-toi et ouvre-moi la porte, dit Geneviève. Je viens voir un des prisonniers.
— Je suis désolé, ma Dame, dit le garde. Mais je ne dois laisser entrer personne pour voir les prisonniers. Pas sans la permission du…
— Du roi ? interrompit Geneviève. Elle arbora le sourire le plus méprisant possible. Le roi qui en ce moment même est le plus proche ami de mon mari ? Le roi avec qui j’ai parlé plus de fois la veille que tu ne le pourras de ton vivant ?
— Ma Dame, implora l’homme. Il se leva, mais sembla quand même hésiter.
— Je veux parler à l’un des prisonniers, dit Geneviève. Le nouveau, Garet, c’est tout. Je n’ai ni l’intention de me livrer à la torture, ni d’exiger que tu l’escortes à la porte pour le libérer. Je veux lui parler. Il me connaît et il m’en dira bien plus qu’à n’importe qui d’autre. Penses-tu que le roi voudra entendre que tu as fait obstacle à quelque chose visant à nous obtenir des informations ?
Geneviève pouvait voir la peur sur le visage de l’homme. Elle ressentit une sorte de pouvoir à son expression, et dans ce que de simples mots étaient capables d’accomplir. Il se hâta de s’approcher de la porte, de la déverrouiller à l’aide d’une clé, puis d’une autre, soulevant une lourde barre avant d’ouvrir la lourde porte pour révéler les profondeurs sombres qui s’y trouvaient. Il y avait une bougie sur un support près de la porte. Le gardien la souleva et l’offrit à Geneviève. Elle la prit, s’approchant de l’homme, assez près pour qu’elle puisse sentir son haleine fétide.
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