Federico Montuschi - Deux. Impair

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Il opta alors pour une intervention radicale, éteignant la radio juste avant le refrain.

Un geste d’une violence inouïe, pour un fan de rock comme lui, qui autrefois, alors qu’il était à l’université, était allé jusqu’à téléphoner à la radio nationale pour se plaindre du DJ qui avait coupé, en dépit du bon sens, Sultans of Swing juste avant le solo final.

Le silence soudain dans le bureau eut l’effet espéré, attirant l’attention du Slave, qui émergea depuis le dessous de la table en étirant son dos, le modem toujours à la main.

« Alors ? Tu ne l’as pas encore ramené ce truc ? », attaqua Castillo, accrochant son imperméable vert sur le porte-manteau placé à côté de l’entrée.

« Bonjour inspecteur, bon retour ! », répondit en souriant le Slave, lui tendant une main que l’inspecteur serra avec sa vigueur habituelle accompagnée d’un sourire affable qu’il réservait à ses amis.

« Pour mon retour, un petit quiz s’impose, mon garçon ».

Prenant une pause parfaite portant la situation à son paroxysme, Castillo s’arrêta un instant, sans détacher son regard de son interlocuteur et scanda d’une voix rauque les vers d’un morceau qui lui procurait toujours énormément d’émotions.

Take your time

Hurry up

The choice is yours

Don’t be late

Take a rest

As a friend

As an old memoria.

Le Slave mit une seconde à reconnaître le titre.

« Inspecteur, c’est trop facile ! Come as you are , Nirvana.

— Je sais que c’est facile, mais je ne voulais pas te gâcher mon retour avec des choses trop compliquées...tu imagines que j’écoutais cette chanson quand Conchita était enceinte de Carmen et chaque fois que je l’entends, les poils se dressent sur mes bras ! Ah, ma fille ! Maintenant, laisse-moi lire le journal, et toi, pendant ce temps, tu essaies de réparer ce foutu modem, ok ?

— D’accord inspecteur, d’accord ».

Le Slave se remit au travail, s’accroupissant sous la table de l’ordinateur avec un semblant de sourire sur les lèvres, se rendant compte à quel point le retour de l’inspecteur le rendait heureux ; peu après, il se remit à écouter Radio Reloj, qui passait de la bonne musique rock sans interruption, comme aimait le souligner Castillo.

Mais ce matin-là, le D.J. fit une exception, coupant brusquement l’extase de Slash dans la version live de Knocking on Heavens Door .

« Nous interrompons la programmation, chers auditeurs, pour vous communiquer malheureusement une information tragique. Le curé de Burgos, le père Juan, a été retrouvé mort ce matin, Calle del Tesoro , suite à une chute depuis le balcon de l’appartement dans lequel il vivait. Il n’existe pour le moment aucun élément pour évaluer avec précision le déroulé des événements. Nous vous tiendrons informés en temps réel, comme toujours ». La reprise immédiate du morceau donna à l’inspecteur un frisson glacé qui parcourut son dos comme une secousse électrique.

Il posa la tête sur le dossier de son fauteuil de bureau et fixa son regard sur les gros nuages dans le ciel, qui annonçaient d’ici peu de nouvelles averses.

Il lâcha quelques jurons intérieurement.

« Le Slave, allons immédiatement voir ce qu’il s’est passé, j’ai envie de bouger et de méditer un peu sur ce suicide », déclara-t-il, enfilant son imperméable et saisissant sur le porte-manteau le seul parapluie restant.

« S’il s’agit vraiment d'un suicide », pensa-t-il, dubitatif.

Ils traversèrent la Plaza Allende d'un pas rapide, Castillo devant, le Slave, un mètre derrière lui, avançant péniblement.

Il marchait en boitant imperceptiblement ; ce détail n’avait pas échappé à Castillo, fin observateur, et il s’était à plusieurs reprises promis de lui demander quelle en était la cause, mais qui sait pourquoi il ne l’avait jamais fait.

Et dans ce cas-là également, ses pensées s’étaient immédiatement orientées vers la nouvelle concernant le Père Juan, laissant la démarche boiteuse de son ami au second plan.

Castillo était une vieille connaissance du prêtre, avec lequel il avait partagé ses années d’études universitaires à San José et, bien qu’ils aient ensuite suivi des parcours différents, pratiquement opposés, une estime réciproque était restée entre les deux hommes, ce qui amenait l’inspecteur à définir le Père Juan comme son ami dans le monde clérical.

C’était un prêtre atypique, avec une épaisse chevelure bouclée en perpétuel désordre et une barbe mal entretenue.

Il s’habillait de façon moderne, souvent avec un jean et des bottes, à tel point que beaucoup de gens avaient du mal à croire qu’il était vraiment un religieux, mais c’est peut-être précisément pour cela qu’il était devenu dans le village un point de référence incontournable pour tous, catholiques ou non.

Ses qualités d’orateurs étaient reconnues et les sermons dominicaux constituaient un rendez-vous important pour la communauté, quelles que soient les croyances des fidèles.

Castillo et le Slave arrivèrent au parking de la Calle Arenal en quelques minutes, qui ne furent pas suffisantes pour leur éviter les premières gouttes de pluie.

« C...conduis, s'il te plait, j’ai b...besoin de réfléchir », dit l’inspecteur, laissant les clés de l’Alfa au Slave et relevant le col de son imperméable pour se protéger des premières rafales de vent qui commençaient à balayer les rues.

Le Slave prit les clés au vol et sans dire un mot alluma le moteur.

Les rues étaient presque désertes et, pendant le court trajet les conduisant vers le quartier populaire de la Calle del Tesoro , ils restèrent absorbés par leurs pensées.

Ils arrivèrent en moins d'un quart d’heure, garèrent l’Alfa près du trottoir devant le logement du prêtre et descendirent de la voiture.

Castillo lança un rapide coup d'œil panoramique aux environs.

L’appartement du Père Juan faisait partie d’un immeuble de logements sociaux assez classiques des quartiers populaires : cinq étages de murs rougeâtres presque entièrement barbouillés par des graffeurs improvisés ; de nombreuses vitres brisées ; des paraboles accrochées aux balcons, parfois avec du scotch ; et le volume des télévisions bien au-dessus des règles implicites de bon voisinage.

Depuis de nombreuses fenêtres, s'agitaient tels des étendards fatigués des vêtements de toute sorte, étendus négligemment à l’air libre.

Castillo ne put éviter de penser que le Père Juan aimait de toute évidence vivre au contact de ces gens.

Les cris joyeux des enfants qui jouaient dans la cour intérieure alternaient avec les hurlements presque hargneux des mères qui les cherchaient, en vain, pour qu’ils rentrent et se protègent de la pluie.

Au sol, sur le trottoir, une tâche de sang séché était restée que les services environnementaux de Burgos n’avaient pas encore nettoyée.

Ils comptaient probablement sur l’averse de l’après-midi.

« Un j...joli saut, il n’y a pas à dire », dit Castillo, se tournant vers le Slave, qui était resté sur le trottoir, le regard tourné vers le parapet inférieur du balcon du troisième étage avec le journal local posé en guise de visière sur le front, pour éviter les gouttes dans les yeux.

Le Slave ne prononça pas un mot.

Il savait qu’il devait répondre à l’inspecteur uniquement dans le cas d’une demande précise, qui ne tarda pas à arriver.

« Qu’en p...penses-tu ?

— Le suicide d’une personne que tout le monde aimait. Pauvre Père Juan. Qui sait ce qui lui est passé par la tête », répondit le jeune homme, en secouant la tête et en se rendant compte immédiatement de la banalité de cette affirmation.

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