Puisse jamais savoir ce que c’est qu’être honnête ?
Outre qu’il est assez ennuyeux, que je croi,
D’avoir toute sa vie une bête avec soi,
Pensez-vous le bien prendre, et que sur votre idée
La sûreté d’un front puisse être bien fondée ?
Une femme d’esprit peut trahir son devoir ;
Mais il faut, pour le moins, qu’elle ose le vouloir :
Et la stupide au sien peut manquer d’ordinaire,
Sans en avoir l’envie et sans penser le faire.
ARNOLPHE
A ce bel argument, à ce discours profond,
Ce que Pantagruel à Panurge répond :
Pressez-moi de me joindre à femme autre que sotte,
Prêchez, patrocinez 1jusqu’à la Pentecôte ;
Vous serez ébahi, quand vous serez au bout,
Que vous ne m’aurez rien persuadé du tout.
1
Patrociner , est le mot latin patrocinari , francisé par Rabelais. Il signifie plaider.
CHRYSALDE
Je ne vous dis plus mot.
ARNOLPHE
Chacun a sa méthode.
En femme, comme en tout, je veux suivre ma mode :
Je me vois riche assez pour pouvoir, que je croi,
Choisir une moitié qui tienne tout de moi,
Et de qui la soumise et pleine dépendance
N’ait à me reprocher aucun bien ni naissance.
Un air doux et posé, parmi d’autres enfants,
M’inspira de l’amour pour elle dès quatre ans.
Sa mère se trouvant de pauvreté pressée,
De la lui demander il me vint en pensée ;
Et la bonne paysanne, apprenant mon désir,
A s’ôter cette charge eut beaucoup de plaisir.
Dans un petit couvent, loin de toute pratique 1,
Je la fis élever selon ma politique ;
C’est-à-dire, ordonnant quels soins on emploieroit
Pour la rendre idiote autant qu’il se pourroit.
Dieu merci, le succès a suivi mon attente ;
Et, grande, je l’ai vue à tel point innocente,
Que j’ai béni le ciel d’avoir trouvé mon fait,
Pour me faire une femme au gré de mon souhait.
Je l’ai donc retirée, et comme ma demeure
A cent sortes de gens est ouverte à toute heure,
Je l’ai mise à l’écart, comme il faut tout prévoir,
Dans cette autre maison où nul ne me vient voir ;
Et, pour ne point gâter sa bonté naturelle,
Je n’y tiens que des gens tout aussi simples qu’elle.
Vous me direz : Pourquoi cette narration ?
C’est pour vous rendre instruit de ma précaution.
Le résultat de tout est qu’en ami fidèle
Ce soir je vous invite à souper avec elle ;
Je veux que vous puissiez un peu l’examiner,
Et voir si de mon choix on me doit condamner.
1
Pratique fréquentation, commerce.
CHRYSALDE
J’y consens.
ARNOLPHE
Vous pourrez, dans cette conférence,
Juger de sa personne et de son innocence.
CHRYSALDE
Pour cet article-là, ce que vous m’avez dit
Ne peut...
ARNOLPHE
La vérité passe encor mon récit.
Dans ses simplicités à tous coups je l’admire,
Et parfois elle en dit dont je pâme de rire.
L’autre jour (pourroit-on se le persuader ?)
Elle étoit fort en peine, et me vint demander,
Avec une innocence à nulle autre pareille,
Si les enfants qu’on fait se faisoient par l’oreille.
CHRYSALDE
Je me réjouis fort, seigneur Arnolphe...
ARNOLPHE
Bon !
Me voulez-vous toujours appeler de ce nom ?
CHRYSALDE
Ah ! malgré que j’en aie, il me vient à la bouche,
Et jamais je ne songe à monsieur de la Souche.
Qui diable vous a fait aussi vous aviser,
A quarante-deux ans, de vous débaptiser,
Et d’un vieux tronc pourri de votre métairie
Vous faire dans le monde un nom de seigneurie ?
ARNOLPHE
Outre que la maison par ce nom se connoît,
La Souche plus qu’Arnolphe à mes oreilles plaît 1.
1
Saint Arnolphe fut longtemps regardé comme le patron des maris trompés.
CHRYSALDE
Quel abus de quitter le vrai nom de ses pères,
Pour en vouloir prendre un bâti sur des chimères !
De la plupart des gens c’est la démangeaison ;
Et, sans vous embrasser dans la comparaison,
Je sais un paysan qu’on appelait Gros-Pierre.
Qui, n’ayant pour tout bien qu’un seul quartier de terre,
Y fit tout alentour faire un fossé bourbeux,
Et de monsieur de l’Isle en prit le nom pompeux.
ARNOLPHE
Vous pourriez vous passer d’exemples de la sorte.
Mais enfin de la Souche est le nom que je porte :
J’y vois de la raison, j’y trouve des appas ;
Et m’appeler de l’autre est ne m’obliger pas.
CHRYSALDE
Cependant la plupart ont peine à s’y soumettre,
Et je vois même encor des adresses de lettre...
ARNOLPHE
Je le souffre aisément de qui n’est pas instruit ;
Mais vous...
CHRYSALDE
Soit : là-dessus nous n’aurons point de bruit ;
Et je prendrai le soin d’accoutumer ma bouche
A ne plus vous nommer que monsieur de la Souche.
ARNOLPHE
Adieu. Je frappe ici pour donner le bonjour,
Et dire seulement que je suis de retour.
CHRYSALDE, à part, en s’en allant.
Ma foi, je le tiens fou de toutes les manières.
ARNOLPHE
Il est un peu blessé sur certaines matières.
Chose étrange, de voir comme avec passion
Un chacun est chaussé de son opinion !
(Il frappe à sa porte.)
Holà !
SCÈNE II. — ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE, dans la maison .
ALAIN
Qui heurte !
ARNOLPHE
Ouvrez.
(A part.)
On aura, que je pense,
Grande joie à me voir après dix jours d’absence.
ALAIN
Qui va là ?
ARNOLPHE
Moi.
ALAIN
Georgette !
GEORGETTE
Eh bien ?
ALAIN
Ouvre là-bas.
GEORGETTE
Vas-y, toi.
ALAIN
Vas-y, toi.
GEORGETTE
Ma foi, je n’irai pas.
ALAIN
Je n’irai pas aussi.
ARNOLPHE
Belle cérémonie
Pour me laisser dehors ! Holà ! ho ! je vous prie.
GEORGETTE
Qui frappe ?
ARNOLPHE
Votre maître.
GEORGETTE
Alain !
ALAIN
Quoi ?
GEORGETTE
C’est monsieur.
Ouvre vite.
ALAIN
Ouvre, toi.
GEORGETTE
Je souffle notre feu.
ALAIN
J’empêche, peur du chat, que mon moineau ne sorte.
ARNOLPHE
Quiconque de vous deux n’ouvrira pas la porte
N’aura point à manger de plus de quatre jours.
Ah !
GEORGETTE
Par quelle raison y venir, quand j’y cours ?
ALAIN
Pourquoi plutôt que moi ? Le plaisant stratagème !
GEORGETTE
Ote-toi donc de là !
ALAIN
Non, ôte-toi toi-même.
GEORGETTE
Je veux ouvrir la porte.
ALAIN
Et je veux l’ouvrir, moi.
GEORGETTE
Tu ne l’ouvriras pas.
ALAIN
Ni toi non plus.
GEORGETTE
Ni toi.
ARNOLPHE
Il faut que j’aie ici l’âme bien patiente !
ALAIN, en entrant.
Au moins c’est moi, monsieur.
GEORGETTE, en entrant.
Je suis votre servante,
C’est moi.
ALAIN
Sans le respect de monsieur que voilà,
Je te... .
ARNOLPHE, recevant un coup d’Alain.
Peste !
ALAIN
Pardon.
ARNOLPHE
Voyez ce lourdaud-là !
ALAIN
Mais elle aussi, monsieur...
ARNOLPHE
Que tous deux on se taise.
Songez à me répondre, et laissons la fadaise.
Eh bien, Alain, comment se porte-t-on ici ?
ALAIN
Monsieur, nous nous...
(Arnolphe ôte le chapeau de dessus la tête d’Alain.)
Monsieur, nous nous por...
(Arnolphe l’ôte encore.)
Dieu merci,
Nous nous...
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