D’autre part je dois m’attendre à de scrupuleuses critiques de la part des intéressés directs, les Américains , dont la plupart des écrivains semblent prendre à tâche de réfuter les Européens ; comme si, par une fiction bizarre, ils s’établissaient les représentants et les vengeurs des indigènes, leurs prédécesseurs; sans compter le zèle presque fanatique que les loyaux anti-Gallicans mettent à décrier tout ce qui vient d’une nation de jacobins et d’athées; mais le temps qui nivelle tout, fera justice de la détractation comme de la flatterie; et parce que je n’ai pas eu la prétention d’être exempt d’erreur, il me restera du moins le mérite d’avoir attiré l’attention et provoqué de nouvelles lumières sur divers sujets auxquels l’on n’eût peut-être pas sitôt songé.
La table des matières va indiquer l’ordre que j’ai suivi, et les sujets que j’ai traités.
Je n’ai point adopté pour l’orthographe des noms anglais la méthode de la plupart des traducteurs, qui se contentent d’écrire les mots tels qu’ils les trouvent: les Anglais n’attribuant pas aux lettres les mêmes valeurs que nous, il en résulte une grande différence dans la prononciation d’un même mot tracé, ainsi le nom respectable de Washington , est prononcé par eux presque Oua-chinn-tonn : et ils ne nous comprennent pas quand nous le défigurons en Vazingueton 10. J’ai donc trouvé commode pour mes lecteurs de leur présenter la vraie prononciation francisée, sauf à renvoyer en note la manière d’écrire en anglais; ainsi j’ai dit Soskouâna , au lieu de Susque-hanna : grîne (vert), au lieu de green ; strît (rue), au lieu de street ; Ouait (blanc), au lieu de white , etc.—C’était la méthode de nos écrivains au commencement du siècle dernier; et je n’ai pas d’aversion pour les anciens us , quand il leur arrive d’être raisonnables.
Les cartes que j’ai jointes ne portent pas de grands détails sur l’état politique, parce que ce n’est pas de lui que j’ai traité; mais ils sont nombreux, soignés, et la plupart nouveaux sur l’état physique dont je me suis spécialement occupé.
TABLEAU DU CLIMAT ET DU SOL DES ÉTATS-UNIS
CHAPITRE PREMIER. Situation géographique des Etats-Unis, et superficie de leur territoire
POUR donner l’idée la plus simple de la situation géographique des États-Unis , je devrais dire que leur territoire occupe cette partie de l’Amérique du nord, qui a pour bornes, à l’orient, l’océan d’Afrique et d’Europe; au midi, la mer des Antilles et le golfe du Mexique; au couchant, le grand fleuve de la Louisiane 11; au nord enfin, celui du Canada, et les cinq grands lacs dont il tire ses eaux. Dans un temps où l’on reconnaît si bien l’avantage des limites naturelles , celles-ci sont tellement caractérisées, qu’il est difficile de croire qu’elles ne se réalisent pas tôt ou tard; mais la précision de l’état politique actuel veut que l’on en retranche, au midi, la presqu’île et le littoral des Florides; et au nord, le cours inférieur du Saint-Laurent depuis le lac Saint-François, ainsi que l’Acadie et le nouveau Brunswick, c’est-à-dire, presque toutes les anciennes possessions des Français dans le Canada inférieur.
Mesuré du nord au sud, ce vaste territoire comprend plus de 16 degrés de latitude, savoir: depuis le 31 eprécis, jusque vers le 47 elatitude nord. De l’est à l’ouest, il a plus de 25 degrés de longitude, ce qui semble produire une surface immense; mais parce que la côte atlantique fuit diagonalement du nord-est au sud-ouest, et parce que les cinq lacs du Canada rentrent par une grande courbe, jusqu’au 40 edegré de latitude, la superficie réelle se trouve diminuée de plus d’un tiers.
Le géographe Hutchins qui, le premier après la paix de l’indépendance (1783), essaya de calculer cette surface, l’estima un million de milles anglais carrés (environ 112,000 anciennes lieues carrées de France): en sorte que le territoire des États-Unis égalerait près de quatre fois l’étendue de la France, à l’époque de 1789; presque autant de fois l’étendue de l’Espagne et du Portugal réunis, et près de sept fois celle de la Grande-Bretagne, y compris l’Irlande. Les anglo-américains citent ces comparaisons avec complaisance, et leur amour-propre, qui aime à anticiper sur l’avenir, mesure déja les étrangers sur cette échelle de proportion: cependant, si l’on observe que sur ce vaste pays, il n’existe, en 1801 12, que 5,214,801 habitants, dont environ 880,000 esclaves noirs, c’est-à-dire, un sixième du tout; et que ces habitants y sont en grande partie disséminés, l’on sentira que cette étendue est, dans le temps présent, une véritable cause de faiblesse, et ne promet pas dans le temps à venir, d’être un moyen d’union; d’ailleurs Hutchins , qui n’a point connu les sources du Mississipi , et pas très-bien le nord de l’Ohio , 13a amplifié beaucoup de terrains, et les calculs de ce géographe, quoique homme estimable, et quoique suffisants à mon objet, n’ont point l’autorité péremptoire que ses successeurs lui attribuent par écho.
Maintenant, si nous comparons les États-Unis à notre hémisphère, sous le rapport des latitudes, nous trouvons que leurs parties méridionales, telles que la Géorgie et la Caroline , correspondent aux pays de Maroc et de la côte barbaresque, presque au rivage d’Égypte; et il est remarquable que l’embouchure du Mississipi coïncide en sens inverse à celle du Nil, l’une par les 29, l’autre par les 31 degrés de latitude, le Nil venant du sud, le Mississipi du nord, tous les deux avec des phénomènes de débordement, de richesse et de bonté presque semblables. L’analogie des pays américains se continue sur la Syrie , le centre de la Perse , le Tibet et le centre de la Chine . Savanah, Tripoli, Alexandrie, Gaza, Basra, Ispahan, Lahor, Nankin, sont à un degré près sous le même parallèle. Les parties du nord au contraire, telles que le Massachusets et le Newhampshire , correspondent au sud de la France, au centre de l’Italie, à la Turkie d’Europe, à la mer Noire, au centre de la Caspienne, aux déserts tartares et au nord de la Chine: Boston et Barcelone, Ajaccio, Rome, presque Constantinople et Derbend, ont aussi, à un degré près, la même latitude: de tels rapports indiquent de grandes diversités de climats; et en effet, les États-Unis cumulent les extrêmes de tous les pays que je viens de citer; seulement l’on y observe une gradation relative aux latitudes, et plus encore au niveau des terrains, dans laquelle certains caractères particuliers me font distinguer quatre nuances principales.
La première, celle du climat le plus froid, comprend les états dits de Nord-Est , ou Nouvelle-Angleterre , dont la limite physique est tracée par la côte méridionale de Rhode-Island et de Connecticut sur l’Océan; et dans l’intérieur du pays, par la chaîne montueuse qui verse les eaux de la Delaware et de la Susquehannah .
La seconde nuance, que j’appelle climat moyen, s’applique aux États du milieu, c’est-à-dire, au sud de New-York , 14à la Pensylvanie , au Maryland , jusqu’au fleuve Potomac , ou plus précisément, jusqu’à la rivière Patapsco .
La troisième, celle du climat chaud, comprend les états au sud , c’est-à-dire, le plat pays de la Virginie, des deux Carolines, de la Géorgie jusqu’à la Floride, où les gelées cessent d’être connues par le 29 ede latitude.
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