Eugène Sue - Les Mystères De Paris Tome III

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Voici un roman mythique, presque à l'égal du Comte de Monte-Cristo ou des Trois mousquetaires, un grand roman d'aventures, foisonnant, qui nous décrit un Paris mystérieux et inconnu, dévoilé dans ses recoins les plus secrets, un Paris exotique où les apaches de Paris remplacent ceux de l'Amérique.
Errant dans les rues sombres et dangereuses de la Cité, déguisé en ouvrier, le prince Rodolphe de Gérolstein sauve une jeune prostituée, Fleur-de-Marie, dite la Goualeuse, des brutalités d'un ouvrier, le Chourineur. Sans rancune contre son vainqueur, le Chourineur entraîne Rodolphe et Fleur-de-Marie dans un tripot, Au Lapin Blanc. Là, le Chourineur et Fleur-de-Marie content leur triste histoire à Rodolphe. Tous deux, livrés dès l'enfance à l'abandon et à la misère la plus atroce, malgré de bons instincts, sont tombés dans la dégradation: le meurtre pour le Chourineur, dans un moment de violence incontrôlée, la prostitution pour Fleur-de-Marie. Rodolphe se fait leur protecteur et entreprend de les régénérer en les arrachant à l'enfer du vice et de la misère où ils sont plongés…

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– Le cabriolet de monsieur le vicomte est avancé, vint dire M. Boyer.

– Qui a apporté cette lettre? lui demanda Florestan.

– Je l’ignore, monsieur le vicomte.

– Au fait, je le demanderai en bas.

– Mais dites-moi, il n’y a personne au rez-de-chaussée? ajouta le vicomte en regardant Boyer d’un air significatif.

– Il n’y a plus personne, monsieur le vicomte.

«Je ne m’étais pas trompé, pensa Florestan, Clotilde m’a attendu et s’en est allée.»

– Si monsieur le vicomte voulait avoir la bonté de m’accorder deux minutes, dit Boyer.

– Dites et dépêchez-vous.

– Edwards et moi nous avons appris que M. le duc de Montbrison désirait monter sa maison; si monsieur le vicomte voulait être assez bon pour lui proposer la sienne toute meublée, ainsi que son écurie toute montée… ce serait pour moi et pour Edwards une très-bonne occasion de nous défaire de tout, et pour monsieur le vicomte peut-être une bonne occasion de motiver cette vente.

– Mais vous avez pardieu raison, Boyer… pour moi-même je préfère cela… Je verrai Montbrison, je lui parlerai. Quelles sont vos conditions?

– Monsieur le vicomte comprend bien… que nous devons tâcher de profiter le plus possible de sa générosité.

– Et gagner sur votre marché; rien de plus simple! Voyons… le prix?

– Le tout, deux cent soixante mille francs… monsieur le vicomte.

– Vous gagnez là-dessus, vous et Edwards?…

– Environ quarante mille francs, monsieur le vicomte…

– C’est joli! Du reste, tant mieux; car, après tout, je suis content de vous… et si j’avais eu un testament à faire, je vous aurais laissé cette somme, à vous et à Edwards.

Et le vicomte sortit pour se rendre d’abord chez son créancier, puis chez M mede Lucenay qu’il ne soupçonnait pas d’avoir assisté à son entretien avec Badinot.

IX La perquisition

L’hôtel de Lucenay était une de ces royales habitations du faubourg Saint-Germain que le terrain perdu rendait si grandioses; une maison moderne tiendrait à l’aise dans la cage de l’escalier d’un de ces palais, et on bâtirait un quartier tout entier sur l’emplacement qu’ils occupent.

Vers les neuf heures du soir de ce même jour, les deux battants de l’énorme porte de cet hôtel s’ouvrirent devant un étincelant coupé qui, après avoir décrit une courbe savante dans la cour immense, s’arrêta devant un large perron abrité qui conduisait à une première antichambre.

Pendant que le piétinement de deux chevaux ardents et vigoureux retentissait sur le pavé sonore, un gigantesque valet de pied ouvrit la portière armoriée; un jeune homme descendit lestement de cette brillante voiture et monta non moins lestement les cinq ou six marches du perron.

Ce jeune homme était le vicomte de Saint-Remy.

En sortant de chez son créancier, qui, satisfait de l’engagement du père de Florestan, avait accordé le délai demandé et devait revenir toucher son argent à dix heures du soir, rue de Chaillot, M. de Saint-Remy s’était rendu chez M mede Lucenay pour la remercier du nouveau service qu’elle lui avait rendu; mais, n’ayant pas rencontré la duchesse le matin, il arrivait triomphant, certain de la trouver en prima sera, heure qu’elle lui réservait habituellement.

À l’empressement de deux valets de pied de l’antichambre qui coururent ouvrir la porte vitrée dès qu’ils reconnurent la voiture de Florestan, à l’air profondément respectueux avec lequel le reste de la livrée se leva spontanément sur le passage du vicomte; enfin à quelques nuances presque imperceptibles, on devinait le second, ou plutôt le véritable maître de la maison.

Lorsque M. le duc de Lucenay rentrait chez lui, son parapluie à la main et les pieds chaussés de socques démesurés (il détestait de sortir le jour en voiture), les mêmes évolutions domestiques se répétaient tout aussi respectueuses; cependant, aux yeux d’un observateur, il y avait une grande différence de physionomie entre l’accueil fait au mari et celui qu’on réservait à l’amant.

Le même empressement se manifesta dans le salon des valets de chambre lorsque Florestan y entra; à l’instant l’un d’eux le précéda pour aller l’annoncer à M mede Lucenay.

Jamais le vicomte n’avait été plus glorieux, ne s’était senti plus léger, plus sûr de lui, plus conquérant…

La victoire qu’il avait remportée le matin sur son père, la nouvelle preuve d’attachement de M mede Lucenay, la joie d’être sorti si miraculeusement d’une position terrible, sa renaissante confiance dans son étoile donnaient à sa jolie figure une expression d’audace et de bonne humeur qui la rendait plus séduisante encore; jamais enfin il ne s’était senti mieux.

Et il avait raison.

Jamais sa taille mince et flexible ne s’était dressée plus cavalière; jamais il n’avait porté le front et le regard plus haut; jamais son orgueil n’avait été plus délicieusement chatouillé par cette pensée:

«La très-grande dame, maîtresse de ce palais, est à moi, est à mes pieds… ce matin encore elle m’attendait chez moi…»

Florestan s’était livré à ces réflexions singulièrement vaniteuses en traversant trois ou quatre salons qui conduisaient à une petite pièce où la duchesse se tenait habituellement. Un dernier coup d’œil jeté sur une glace compléta l’excellente opinion que Florestan avait de soi-même.

Le valet de chambre ouvrit les deux battants de la porte du salon et annonça:

– M. le vicomte de Saint-Remy!

L’étonnement et l’indignation de la duchesse furent inexprimables.

Elle croyait que le comte n’avait pas caché à son fils qu’elle aussi avait tout entendu…

Nous l’avons dit: en apprenant combien Florestan était infâme, l’amour de M mede Lucenay, subitement éteint, s’était changé en un dédain glacial.

Nous l’avons dit encore: au milieu de ses légèretés, de ses erreurs, M mede Lucenay avait conservé purs et intacts des sentiments de droiture, d’honneur, de loyauté chevaleresque, d’une vigueur et d’une exigence toutes viriles; elle avait les qualités de ses défauts, les vertus de ses vices: traitant l’amour aussi cavalièrement qu’un homme le traite, elle poussait aussi loin, plus loin qu’un homme, le dévouement, la générosité, le courage, et surtout l’horreur de toute bassesse.

M mede Lucenay, devant aller le soir dans le monde, était, quoique sans diamants, habillée avec son goût et sa magnificence habituels; cette toilette splendide, le rouge vif qu’elle portait franchement, hardiment, en femme de cour, jusque sous les paupières, sa beauté surtout éclatante aux lumières, sa taille de déesse marchant sur les nues, rendaient plus frappant encore ce grand air que personne au monde ne possédait comme elle, et qu’elle poussait, s’il le fallait, jusqu’à une foudroyante insolence…

On connaît le caractère altier, déterminé de la duchesse: qu’on se figure donc sa physionomie, son regard, lorsque le vicomte s’avançant, pimpant, souriant et confiant, lui dit avec amour:

– Ma chère Clotilde… combien vous êtes bonne!… Combien vous…

Le vicomte ne put achever.

La duchesse était assise et n’avait pas bougé: mais son geste, son coup d’œil révélèrent un mépris à la fois si calme et si écrasant… que Florestan s’arrêta court…

Il ne put dire un mot ou faire un pas de plus.

Jamais de Lucenay ne s’était montrée à lui sous cet aspect. Il ne pouvait croire que ce fût la même femme qu’il avait toujours trouvée douce, tendre, passionnément soumise; car rien n’est plus humble, plus timide qu’une femme résolue, devant l’homme qu’elle aime et qui la domine.

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