– Peut-être M. de Saint-Remy te répondra-t-il un jour ou l’autre.
– Je ne l’espère plus… Il y a si longtemps que je lui ai écrit!
– Il n’aura pas reçu ta lettre… Pourquoi ne lui écrirais-tu pas de nouveau? D’ici à Angers ce n’est pas si loin, nous aurions bien vite sa réponse.
– Ma pauvre enfant, tu sais combien cela m’a coûté déjà…
– Que risques-tu? Il est si bon malgré sa brusquerie! N’était-il pas un des plus vieux amis de mon père?… Et puis enfin il est notre parent…
– Mais il est pauvre lui-même; sa fortune est bien modeste… Peut-être ne nous répond-il pas pour s’éviter le chagrin de nous refuser.
– Mais s’il n’avait pas reçu ta lettre, maman?
– Et s’il l’a reçue, mon enfant… De deux choses l’une: ou il est lui-même dans une position trop gênée pour venir à notre secours… ou il ne ressent aucun intérêt pour nous: alors à quoi bon nous exposer à un refus ou à une humiliation?
– Allons, courage, maman, il nous reste encore un espoir… Peut-être ce matin nous rapportera-t-on une bonne réponse…
– De M. d’Orbigny?
– Sans doute… Cette lettre dont vous aviez fait autrefois le brouillon était si simple, si touchante… exposait si naturellement notre malheur, qu’il aura pitié de nous… Vraiment, je ne sais qui me dit que vous avez tort de désespérer de lui.
– Il a si peu de raisons de s’intéresser à nous! Il avait, il est vrai, autrefois connu ton père, et j’avais souvent entendu mon pauvre frère parler de M. d’Orbigny comme d’un homme avec lequel il avait eu de très-bonnes relations avant que celui-ci ne quittât Paris pour se retirer en Normandie avec sa jeune femme.
– C’est justement cela qui me fait espérer; il a une jeune femme, elle sera compatissante… Et puis, à la campagne, on peut faire tant de bien! Il vous prendrait, je suppose, pour femme de charge, moi je travaillerais à la lingerie… Puisque M. d’Orbigny est très-riche, dans une grande maison il y a toujours de l’emploi…
– Oui; mais nous avons si peu de droits à son intérêt!…
– Nous sommes si malheureuses!
– C’est un titre aux yeux des gens très-charitables, il est vrai.
– Espérons que M. d’Orbigny et sa femme le sont…
– Enfin, dans le cas où il ne faudrait rien attendre de lui, je surmonterais encore ma fausse honte, et j’écrirais à M mela duchesse de Lucenay.
– Cette dame dont M. de Saint-Remy nous parlait si souvent, dont il vantait sans cesse le bon cœur et la générosité?
– Oui, la fille du prince de Noirmont. Il l’a connue toute petite, et il la traitait presque comme son enfant… car il était intimement lié avec le prince. M mede Lucenay doit avoir de nombreuses connaissances, elle pourrait peut-être trouver à nous placer.
– Sans doute, maman; mais je comprends ta réserve, tu ne la connais pas du tout, tandis qu’au moins mon père et mon pauvre oncle connaissaient un peu M. d’Orbigny.
– Enfin, dans le cas où M mede Lucenay ne pourrait rien faire pour nous, j’aurais recours à une dernière ressource.
– Laquelle, maman?
– C’est une bien faible… une bien folle espérance, peut-être; mais pourquoi ne pas la tenter?… Le fils de M. de Saint-Remy est…
– M. de Saint-Remy a un fils? s’écria Claire en interrompant sa mère avec étonnement.
– Oui, mon enfant, il a un fils…
– Il n’en parlait jamais… il ne venait jamais à Angers…
– En effet, et pour des raisons que tu ne peux connaître, M. de Saint-Remy, ayant quitté Paris il y a quinze ans, n’a pas revu son fils depuis cette époque.
– Quinze ans sans voir son père… cela est-il possible, mon Dieu.
– Hélas! oui, tu le vois… Je te dirai que le fils de M. de Saint-Remy étant fort répandu dans le monde, et fort riche…
– Fort riche?… Et son père est pauvre?
– Toute la fortune de M. de Saint-Remy fils vient de sa mère…
– Mais il n’importe… comment laisse-t-il son père…?
– Son père n’aurait rien accepté de lui.
– Pourquoi cela?
– C’est encore une question à laquelle je ne puis répondre, ma chère enfant. Mais j’ai entendu dire par mon pauvre frère qu’on vantait beaucoup la générosité de ce jeune homme… Jeune et généreux, il doit être bon… Aussi, apprenant par moi que mon mari était l’ami intime de son père, peut-être voudra-t-il bien s’intéresser à nous pour tâcher de nous trouver de l’ouvrage ou de l’emploi… il a des relations si brillantes, si nombreuses, que cela lui sera facile…
– Et puis l’on saurait par lui peut-être si M. de Saint-Remy, son père, n’aurait pas quitté Angers avant que vous ne lui ayez écrit; cela expliquerait alors son silence.
– Je crois que M. de Saint-Remy, mon enfant, n’a conservé aucune relation. Enfin, c’est toujours à tenter…
– À moins que M. d’Orbigny ne vous réponde d’une manière favorable… et, je vous le répète, je ne sais pourquoi, malgré moi, j’ai de l’espoir.
– Mais voilà plusieurs jours que je lui ai écrit, mon enfant, lui exposant les causes de notre malheur, et rien… rien encore… Une lettre mise à la poste avant quatre heures du soir arrive le lendemain matin à la terre des Aubiers… Depuis cinq jours, nous pourrions avoir reçu sa réponse…
– Peut-être cherche-t-il, avant de t’écrire, de quelle manière il pourra nous être utile avant de nous répondre.
– Dieu t’entende, mon enfant!
– Cela me paraît tout simple, maman… S’il ne pouvait rien pour nous, il t’en aurait instruite tout de suite.
– À moins qu’il ne veuille rien faire…
– Ah! maman… est-ce possible? Dédaigner de nous répondre et nous laisser espérer quatre jours, huit jours, peut-être… car lorsqu’on est malheureux on espère toujours…
– Hélas! mon enfant, il y a quelquefois tant d’indifférence pour les maux que l’on ne connaît pas!
– Mais votre lettre…
– Ma lettre ne peut lui donner une idée de nos inquiétudes, de nos souffrances de chaque minute; ma lettre lui peindra-t-elle notre vie si malheureuse, nos humiliations de toutes sortes, notre existence dans cette affreuse maison, la frayeur que nous avons eue tout à l’heure encore?… Ma lettre lui peindra-t-elle enfin l’horrible avenir qui nous attend, si…? Mais, tiens… mon enfant, ne parlons pas de cela… Mon Dieu… tu trembles… tu as froid…
– Non, maman… ne fais pas attention; mais, dis-moi, supposons que tout nous manque, que le peu d’argent qui nous reste là, dans cette malle, soit dépensé… il serait donc possible que dans une ville riche comme Paris… nous mourussions toutes les deux de faim et de misère… faute d’ouvrage, et parce qu’un méchant homme t’a pris tout ce que tu avais?…
– Tais-toi, malheureuse enfant…
– Mais enfin, maman, cela est donc possible?…
– Hélas!…
– Mais Dieu, qui sait tout, qui peut tout, comment nous abandonne-t-il ainsi, lui que nous n’avons jamais offensé?
– Je t’en supplie, mon enfant, n’aie pas de ces idées désolantes… j’aime mieux encore te voir espérer, sans grande raison peut-être… Allons, rassure-moi au contraire par tes chères illusions; je ne suis que trop sujette au découragement… tu sais bien…
– Oui! oui! espérons… cela vaut mieux. Le neveu du portier va sans doute revenir aujourd’hui de la poste restante avec une lettre… Encore une course à payer sur votre petit trésor… et par ma faute… Si je n’avais pas été si faible hier et aujourd’hui, nous serions allées à la poste nous-mêmes, comme avant-hier… mais vous n’avez pas voulu me laisser seule ici en y allant vous-même.
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