[5]«Emporté par son sujet, l’imagination égarée par huit ans de méditations continues sur un jour si horrible pour un croyant, Michel-Ange, élevé à la dignité de prédicateur, et ne songeant plus qu’à son salut, a voulu punir de la manière la plus frappante le vice alors le plus à la mode. L’horreur de ce supplice me semble arriver au vrai sublime du genre.» Stendhal, Histoire de la peinture en Italie.
[6]Le nom que j’ai l’honneur de porter, et que mon père, mon grand-père, mon grand-oncle et mon bisaïeul (l’un des hommes les plus érudits du dix-septième siècle) ont rendu célèbre par de beaux et de grands travaux pratiques et théoriques sur toutes les branches de l’art de guérir, m’interdirait la moindre attaque ou allusion irréfléchie à propos des médecins, lors même que la gravité du sujet que je traite et la juste et immense célébrité de l’école médicale française ne s’y opposeraient pas; dans la création du docteur Griffon j’ai seulement voulu personnifier un de ces hommes respectables d’ailleurs, mais qui peuvent se laisser quelquefois entraîner par la passion de l’art, des expériences, à de graves abus de pouvoir médical, s’il est permis de s’exprimer ainsi, oubliant qu’il est quelque chose encore de plus sacré que la science: l’humanité.
[7]Par une rencontre dont nous nous félicitons au nom de la vérité, ces lignes étaient sous presse depuis quelques jours, lorsqu’a paru dans le Siècle (6 août 1843) un article signé de plusieurs chirurgiens des hôpitaux de paris, où nous lisons les lignes suivantes:
«Les intrusions que nous déplorons (il s’agit de médecins ayant obtenu par faveur des salles dans les hôpitaux civils) doivent être encore examinées d’un autre point de vue, celui de la moralité. Un mot malheureux a été prononcé, le mot d’ essai . Des arrêtés, portant création de services donnés contre l’esprit et contre la lettre du règlement, disposent que cette création a pour objet d’autoriser telle personne à faire l’essai de sa méthode de traitement. Un pareil langage étonne à une époque comme la nôtre, où personne n’a le droit de considérer les malades pauvres comme une matière à essai de quelque genre que ce soit; et d’ailleurs, ces essais, combien de temps doivent-ils durer? sur combien de malades doivent-ils être tentés? Ne doivent-ils pas être constamment surveillés par une commission permanente, tenue d’en faire connaître les résultats? Il y aurait une incurie profonde à laisser non résolues de semblables questions. Puis, une fois lancé dans cette malheureuse carrière des essais, qui sait où l’on s’arrêtera? Toutes les prétendues méthodes nouvelles ne viendront-elles pas demander à leur tour de faire leurs preuves dans un service d’hôpital? et alors homœopathie, hydrosudopathie, magnétisme, machines à rompre les ankyloses, tout cela, soyez-en sûrs, réclamera son droit d’essai.»
Et plus loin:
«Des frais très-considérables ont été faits avec une utilité très-problématique pour ces services, véritables superfétations dans les hôpitaux, qui n’ont pas toujours le nécessaire. Ainsi, tandis que l’administration est réduite à économiser sur l’eau de Seiltz, sur les sirops nécessaires à la tisane des pauvres fiévreux, sur la charpie, et., etc., on a accordé en dépenses extraordinaires, pour frais d’appareils, des sommes trop considérables, eu égard au peu d’avantage qu’on en a retiré.»
[8]Ceci n’a rien d’exagéré; nous empruntons les passages suivants à un article du Constitutionnel (19 janvier 1836). Cet article intitulé: «Une visite d’hôpital», est signé Z., et nous savons que cette initiale cache le nom d’une de nos célébrités médicales, qui ne peut être accusée de partialité dans la question des hôpitaux civils.
«Lorsqu’un malade arrive à l’hôpital, on a soin d’inscrire aussitôt sur une pancarte le nom de l’arrivant, le numéro du lit, la désignation de la maladie, l’âge du malade, sa profession, sa demeure actuelle. Cette pancarte est ensuite appendue à l’une des extrémités du lit. Cette mesure ne laisse pas d’avoir de graves inconvénients pour ceux à qui des revers imprévus font temporairement partager le dernier refuge du pauvre. Croiriez-vous, par exemple, que ce fût là pour Gilbert, malade, une circonstance indifférente à sa guérison? J’ai vu des jeunes gens, j’ai vu des vieillards imprévoyants à qui cette divulgation de leur misère et de leur nom de famille inspirait une profonde tristesse.
«C’est une rude corvée pour un malade que le jour où on l’admet à l’hôpital. Jugez si le malade doit être fatigué dès le lendemain de son arrivée; dans l’espace de vingt-quatre heures, il s’est vu successivement interrogé: 1° par son propre médecin; 2° par les médecins du bureau d’administration; 3° par le chirurgien de garde; 4° par l’interne de la salle; 5° par le médecin sédentaire de l’hôpital; et enfin 6° le lendemain matin par le médecin en chef du service, ainsi que par dix ou vingt des élèves zélés et studieux qui suivent la clinique publique. Sans doute cela profite à l’expérience maintenant si précoce des jeunes médecins, autant qu’aux progrès de l’art; mais cela aggrave les maux ou retarde certainement la guérison du malade…
«Un de ces malheureux disait un jour:
«Je serais un accusé de cour d’assises, que je n’aurais pas eu en quinze jours plus d’interrogatoires; cinquante personnes, depuis hier, m’ont harcelé de questions presque toujours semblables. Je n’avais qu’une pleurésie en entrant ici; mais je crains bien que l’insatiable curiosité de tant de personnes ne me donne à la fin une fluxion de poitrine.
«Une femme me disait:
«On m’obsède à chaque instant, on veut connaître mon âge, mon tempérament, ma constitution, la couleur de mes cheveux, si j’ai la peau brune ou blanche, mon régime, mes habitudes, la santé de mes ascendants, les circonstances sous lesquelles je suis née, ma fortune, ma position, mes plus secrètes affections et le motif supposé de mes chagrins; on va jusqu’à scruter ma conduite, et jusqu’à épier des sentiments que je devrais soigneusement renfermer dans mon cœur et dont le soupçon me fait rougir. Et plus loin: – On frappe ma poitrine en vingt endroits et devant tout le monde; on y fait de vilaines marques d’encre pour indiquer apparemment le progrès des obstructions qui ont envahi mes entrailles. – Les médecins d’à présent, ajoutait cette femme, ressemblent à des inquisiteurs: on guérit maintenant comme on punissait jadis, et cela me chagrine.»
Plus loin, après avoir décrit les formalités de la visite, M. Z. ajoute:
«Le docteur ne fait qu’apparaître au lit des anciens malades qui sont en voie de guérison ou convalescents; mais, parvenu à un des lits occupés par des malades nouveaux ou en danger, il ne saurait en approcher qu’après avoir traversé la double haie d’étudiants conservant là patiemment depuis le matin leur poste d’observateurs vigilants. Quant au malade, il reste muet et silencieux au milieu de cette foule curieuse et attentive, et souvent la maladie s’aggrave en proportion de cette affluence, indiquant le danger et motivant toujours l’inquiétude. Tandis que le patient envisage le médecin avec cette émotion qui participe de la confiance et de l’anxiété, celui-ci porte circulairement sur les assistants un regard de recueillement et de circonspections, qui s’illumine soudain en arrivant au malade, dont le trouble intérieur est ainsi comblé.»
[9]À moins de circonstances très-urgentes, on ne pratique jamais de graves opérations chirurgicales avant que le malade soit acclimaté.
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