Le cocher du fiacre s’était endormi, le bourreau le secoua.
– Excusez, bourgeois, dit le cocher en se réveillant et en descendant pesamment de son siège; mais une nuit de mi-carême, c’est rude. Je venais justement de conduire aux Vendanges de Bourgogne une tapée de débardeurs et de débardeuses qui chantaient la mère Godichon, quand vous m’avez pris à l’heure.
– Allons, c’est bon. Suivez cette voiture, et… boulevard Saint-Jacques.
– Excusez, bourgeois… il y a une heure aux Vendanges, maintenant à la guillotine! Ça prouve que les courses se suivent et ne se ressemblent pas, comme dit c’t’autre.
Les deux voitures, précédées et suivies du piquet de gendarmerie, sortirent de la porte extérieure de Bicêtre et prirent au grand trot la route de Paris.
II Martial et le Chourineur
Nous avons présenté le tableau de la toilette des condamnés dans toute son effroyable vérité, parce qu’il nous semble qu’il ressort de cette peinture de puissants arguments.
Contre la peine de mort.
Contre la manière que cette peine est appliquée.
Contre l’effet qu’on en attend comme exemple donné aux populations.
Quoique dépouillé de cet appareil à la fois formidable et religieux dont devraient être au moins entourés tous les actes de suprême châtiment que la loi inflige au nom de la vindicte publique, la toilette est ce qu’il y a de plus terrifiant dans l’exécution de l’arrêt de mort, et c’est cela que l’on cache à la multitude.
Au contraire, en Espagne, par exemple, le condamné reste exposé pendant trois jours dans une chapelle ardente, son cercueil est continuellement sous ses yeux; les prêtres disent les prières des agonisants, les cloches de l’église tintent jour et nuit un glas funèbre [24].
On conçoit que cette espèce d’initiation à une mort prochaine puisse épouvanter les criminels les plus endurcis, et inspirer une terreur salutaire à la foule qui se presse aux grilles de la chapelle mortuaire.
Puis le jour du supplice est un jour de deuil public; les cloches de toutes les paroisses sonnent les trépassés; le condamné est lentement conduit à l’échafaud avec une pompe imposante, lugubre, son cercueil toujours porté devant lui; les prêtres, chantant les prières des morts, marchent à ses côtés; viennent ensuite les confréries religieuses, et enfin des frères quêteurs demandent à la foule de quoi dire des messes pour le repos de l’âme du supplicié… Jamais la foule ne reste sourde à cet appel…
Sans doute, tout cela est épouvantable, mais cela est logique, mais cela est imposant, mais cela montre que l’on ne retranche pas de ce monde une créature de Dieu pleine de vie et de force comme on égorge un bœuf, mais cela donne à penser à la multitude, qui juge toujours du crime par la grandeur de la peine… que l’homicide est un forfait bien abominable, puisque son châtiment ébranle, attriste, émeut toute une ville.
Encore une fois, ce redoutable spectacle peut faire naître de graves réflexions, inspirer un utile effroi… et ce qu’il y a de barbare dans ce sacrifice humain est au moins couvert par la terrible majesté de son exécution.
Mais, nous le demandons, les choses se passant exactement comme nous les avons rapportées (et quelquefois même moins gravement), de quel exemple cela peut-il être?
De grand matin on prend le condamné, on le garrotte, on le jette dans une voiture fermée, le postillon fouette, touche à l’échafaud, la bascule joue, et une tête tombe dans un panier… au milieu des railleries atroces de ce qu’il y a de plus corrompu dans la populace!…
Encore une fois, dans cette exécution rapide et furtive, où est l’exemple? où est l’épouvante?…
Et puis, comme l’exécution a lieu pour ainsi dire à huis clos, dans un endroit parfaitement écarté, avec une précipitation sournoise, toute la ville ignore cet acte sanglant et solennel, rien ne lui annonce que ce jour-là on «tue un homme»… les théâtres rient et chantent… la foule bourdonne insoucieuse et bruyante…
Au point de vue de la société, de la religion, de l’humanité, c’est pourtant quelque chose qui doit importer à tous que cet homicide juridique commis au nom de l’intérêt de tous…
Enfin, disons-le encore, disons-le toujours, voici le glaive, mais où est la couronne? À côté de la punition, montrez la récompense; alors seulement la leçon sera complète et féconde… Si, le lendemain de ce jour de deuil et de mort, le peuple, qui a vu la veille le sang d’un grand criminel rougir l’échafaud, voyait rémunérer et exalter un grand homme de bien, il redouterait d’autant plus le supplice du premier qu’il ambitionnerait davantage le triomphe du second; la terreur empêche à peine le crime, jamais elle n’inspire la vertu.
Considère-t-on l’effet de la peine de mort sur les condamnés eux-mêmes?
Ou ils la bravent avec un cynisme audacieux…
Ou ils la subissent inanimés, à demi morts d’épouvante…
Ou ils offrent leur tête avec un repentir profond et sincère…
Or, la peine est insuffisante pour ceux qui la narguent…
Inutile pour ceux qui sont déjà morts moralement…
Exagérée pour ceux qui se repentent avec sincérité.
Répétons-le: la société ne tue le meurtrier ni pour le faire souffrir, ni pour lui infliger la loi du talion… Elle le tue pour le mettre dans l’impossibilité de nuire… elle le tue pour que l’exemple de sa punition serve de frein aux meurtriers à venir.
Nous croyons, nous, que la peine est trop barbare, et qu’elle n’épouvante pas assez…
Nous croyons, nous, que dans quelques crimes, tels que le parricide, ou autres forfaits qualifiés, l’ aveuglement et un isolement perpétuel mettraient un condamné dans l’impossibilité de nuire, et le puniraient d’une manière mille fois plus redoutable, tout en lui laissant le temps du repentir et de la rédemption.
Si l’on doutait de cette assertion, nous rappellerions beaucoup de faits constatant l’horreur invincible des criminels endurcis pour l’isolement. Ne sait-on pas que quelques-uns ont commis des meurtres pour être condamnés à mort, préférant ce supplice à une cellule?… Quelle serait donc leur terreur, lorsque l’ aveuglement, joint à l’isolement, ôterait au condamné l’espoir de s’évader, espoir qu’il conserve et qu’il réalise quelquefois même en cellule et chargé de fers?
Et à ce propos, nous pensons aussi que l’abolition des condamnations capitales sera peut-être une des conséquences forcées de l’isolement pénitentiaire: l’effroi que cet isolement inspire à la génération qui peuple à cette heure les prisons et les bagnes étant tel que beaucoup d’entre ces incurables préféreront encourir le dernier supplice que l’emprisonnement cellulaire, alors il faudra sans doute supprimer la peine de mort pour leur enlever cette dernière et épouvantable alternative.
Avant de poursuivre notre récit, disons quelques mots des relations récemment établies entre le Chourineur et Martial.
Une fois Germain sorti de prison, le Chourineur prouva facilement qu’il s’était volé lui-même, avoua au juge d’instruction le but de cette singulière mystification, et fut mis en liberté après avoir été justement et sévèrement admonesté par ce magistrat.
N’ayant pas alors retrouvé Fleur-de-Marie, et voulant récompenser de ce nouvel acte de dévouement le Chourineur, auquel il devait déjà la vie, Rodolphe, pour combler les vœux de son rude protégé, l’avait logé à l’hôtel de la rue Plumet, lui promettant de l’emmener à sa suite lorsqu’il retournerait en Allemagne. Nous l’avons dit, le Chourineur éprouvait pour Rodolphe l’attachement aveugle, obstiné du chien pour son maître. Demeurer sous le même toit que le prince, le voir quelquefois, attendre avec patience une nouvelle occasion de se sacrifier à lui ou aux siens, là se bornaient l’ambition et le bonheur du Chourineur, qui préférait mille fois cette condition à l’argent et à la ferme en Algérie que Rodolphe avait mis à sa disposition.
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