Mon visage rougit.
Je ressentis un vif sentiment d’humiliation.
C’était la pure vérité
Que j’avais une propension à la prodigalité.
Mais le dentifrice ! la brosse !
Et en plus, c’était moi qui ramenais l’argent à la maison.
Évidemment, nous n’avons pas divorcé
Pour des choses aussi futiles.
Pour notre séparation nous avions des raisons
Bien plus graves et profondes.
26 septembre 2019
gloire arrêt silence lumière
Sur l’avenue de la Gloire
Qui traverse les quartiers résidentiels
À la périphérie de Saint-Pétersbourg
Il y avait un arrêt du bus N°116.
Derrière s’étendait un grand terrain vague
Ceint d’un mur de béton
À moitié écroulé
Sur lequel figurait un graffiti
En énormes lettres rouges :
«Gang d’Eltsine 4 4 Boris Eltsine (1931 – 2007) – homme politique russe, dirigeant de la Fédération de Russie de 1990 à 1999. Un des artisans de la dislocation de l’URSS à la fin 1991, perçue comme catastrophe nationale par de larges pans du peuple russe. Eltsine et ses gouvernements successifs faisaient souvent l’objet de haine populaire et de virulentes critiques de l’opposition parlementaire. Les députés du Parti communiste lui avaient notamment intenté un procès en vue de sa destitution, sans succès. Les « années Eltsine» sont restées dans la mémoire collective comme celles d’une paupérisation soudaine et brutale de toutes les classes sociales au profit d’un groupe émergeant d’oligarques et comme celles d’une humiliation sans précédent de la Russie.
au tribunal!»
Par un clair matin d’été
Je restais là en attendant le bus.
Il n’y avait personne autour —
Seulement silence et lumière.
27 septembre 2019
table papillon nuage poème
Depuis déjà quelque temps, j’écrivais
De la poésie rimée en langue russe.
Chaque jour, rentrant de l’école,
Je m’asseyais à mon bureau,
Sortais d’une pile de papier à lettres
Prévue à cet effet, une feuille
Et me mettais à composer un poème.
C’étaient les meilleurs moments
De ma jeune vie.
Rien ne pourrait être comparé
À l’état dans lequel j’étais plongé
Lors de cette création poétique.
Un soir au tout début de l’automne
Je ressentis une poussée d’inspiration
Particulièrement intense.
Une sorte d’envol musical
Se produisit en moi.
Je m’assis à la table, attrapai un crayon
Et presque sans ratures ni corrections
D’un trait j’écrivis un poème
A propos duquel
Je réalisai tout de suite :
C’est mon chef-d’œuvre, c’est
Le meilleur que j’ai écrit jusque-là.
À la maison, tout le monde dormait.
Je me faufilai dans la cuisine
Et dérobai une cigarette
Dans le tiroir de ma grand-mère.
Maintenant je suis un vrai poète
Comme Maïakovski 5 5 Vladimir Maïakovski (1893 – 1930) – poète russe résolument avant-gardiste et futuriste à ses débuts, il devient ardent partisan de la révolution socialiste de Lénine. Anti-bourgeois, il critique avec véhémence les vestiges de l’ancien régime dans la mentalité des citoyens, ainsi que la politique des puissances capitalistes. Pourtant, à la fin des années 1920, il vit une crise existentielle qui le conduit au suicide à l’âge de 36 ans. Staline toutefois parle de lui comme du « meilleur poète de l’époque », et ainsi Maïakovski devient pour les générations à venir le poète emblématique de la révolution. Son œuvre est abondamment étudiée à l’école.
ou Mandelstam 6 6 Ossip Mandelstam (1891 – 1938) – un des poètes russes les plus significatifs du 20 e siècle, il fait ses débuts au groupe « acméiste » des poètes pétersbourgeois. Langage poétique recherché, vaste horizon culturel, émotions vives et complexes de ses poèmes font de lui une figure de premier plan. Pourtant, après la révolution d’Octobre 1917, il est de plus en plus marginalisé. Dans les années 1930, ses opinions politiques subissent de brusques métamorphoses. De sa haine viscérale envers Staline, il passe à l’adhésion sans réserve au culte de la personnalité de ce dernier. Ce qui ne l’a pas sauvé : arrêté en 1938, il meurt quelques mois après, malade et fou, dans un camp de transit à Vladivostok. La poésie de Mandelstam, n’étant pas formellement interdite en URSS, restait tout de même quasiment inconnue en dehors des cercles universitaires et littéraires.
.
Je dois donc fumer comme eux le font
Sur les portraits accrochés
Au-dessus de mon bureau.
De retour dans ma chambre,
Je m’assis sur le rebord de la fenêtre,
Allumai la cigarette,
Exhalai un nuage de fumée.
J’étais un fumeur débutant
Et ma tête se mit à tourner.
Quoique, ce vertige était dû moins
À l’effet du tabac corsé
Qu’à mon incroyable réussite poétique :
Sous la lampe de bureau
Il y avait une feuille de papier ligné
Couverte d’écriture au crayon
– un miracle !
Un papillon nocturne tournoyait sous la lampe.
Je l’éteignis et je m’assis dans le noir
Sur le rebord de la fenêtre ouverte
Derrière laquelle bruissaient les arbres.
28 septembre 2019
omelette bougie suinter écheveau
Nous étions aux États-Unis,
Dans une petite ville près de Boston,
En visite chez mon copain de fac
Qui vivait seul dans sa maison.
Il était marié et avait une fille.
Mais sa femme est partie juste après le dîner.
Elle avait l’air étrangement heureuse,
Alors que mon ami paraissait plutôt triste.
Il racontait que sa fille était reçue
À l’une des universités que compte Boston.
Nous dormîmes dans sa chambre
Décorée avec des images aux couleurs pastel.
Une bougie sculptée à moitié consumée
Était perchée sur l’étagère.
Le lendemain matin, je me réveillai avant tous —
L’habitude de l’heure de Paris
Se faisait encore sentir.
Je descendis dans la cuisine
Et commençai à chercher
De quoi préparer le petit déjeuner.
Dans le réfrigérateur, je ne trouvai que
Du lait et des œufs
Et je décidai d’en faire une omelette.
Nous étions en novembre.
Je sortis sur le seuil de la maison.
Un écureuil sautillait dans le jardin,
Un écheveau d’oies passait dans le ciel.
La matinée était brumeuse.
Les couleurs vives de l’automne américain.
Mon omelette fut un succès :
Tendre, onctueuse et légère.
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