19 septembre 2019
plis feuilles froid campagne
En Sibérie la fin de l’automne tombe en octobre.
Il neige souvent le jour de mon anniversaire.
Ce n’est pas encore de la neige permanente,
Elle fondra.
Mais aujourd’hui les plis des feuilles mortes
Sont remplis de cristaux blancs.
Je marche sur les feuilles.
Elles craquent sous mes bottes en caoutchouc,
Et je réfléchis distraitement
Qui de mes camarades de classe
Viendra me rendre visite ce soir,
Et puis je pense
Comme il doit faire bon par ce temps
D’être à la campagne.
Je n’ai jamais vécu dans un vrai village.
Je me l’imagine
D’après les poèmes de Sergueï Essenine 2 2 Sergueï Essenine (1895 – 1925) – poète russe, chantre de la vie rurale. Sa poésie au lyrisme sublime et aux métaphores osées est largement connue et appréciée même en dehors des milieux littéraires ; elle fait partie des programmes scolaires en Russie. Son destin fut tragique : ayant sombré dans l’alcoolisme et sévèrement critiqué dans la presse, Sergueï Essenine se suicida à l’âge de trente ans.
Ou les nouvelles de Vassili Choukchine 3 3 Vassili Choukchine (1929 – 1974) – écrivain, acteur et réalisateur de cinéma russe, originaire d’un petit village en Sibérie occidentale. Outre ses remarquables réalisations cinématographiques, il est connu comme l’auteur de nombreux récits et nouvelles décrivant la vie des paysans sibériens dans les années 1950 et 60, l’exode rural, l’adaptation difficile à l’existence dans une grande ville. Ses œuvres sont imprégnées d’une profonde humanité et présentent un large panneau de personnages et situations. Vassili Choukchine jouit d’un véritable culte en Russie, et plus particulièrement en Sibérie.
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Mais j’aimerais tellement qu’il y ait un village
Avec ses huttes, ses clôtures,
Avec l’or des bouleaux et des trembles
Sur les berges d’une rivière ou d’un étang
Un jour neigeux d’octobre.
Ce serait ma fête secrète.
20 septembre 2019
crépuscule cœur froid argent
Ce fut un crépuscule d’hiver.
Mon cœur bondissait de joie :
Natacha, la fille dont j’étais amoureux,
S’était inscrite aux cours de tennis.
Les cours se passaient le soir
Et elle m’avait autorisé à la raccompagner
Jusqu’à l’entrée de son immeuble.
Je vins en avance et je l’attendis dans le froid.
Lors de cette attente, je ne voyais rien autour de moi,
Fixant la porte du gymnase.
Mais quand enfin elle sortit,
Tout devint d’un coup argenté :
Et les monceaux de neige
Et les réverbères
Et la légère vapeur de son souffle
Et le motif brodé de ses mitaines en laine
Avec lesquelles elle protégeait le visage
De telle façon qu’on ne pouvait voir
Que ses yeux
Avec des cils noirs bordés d’argent.
21 septembre 2019
mains ciel lacet pleuvoir
Début de l’automne.
Les mains de ma fille de trois ans sont froides.
Le ciel est bleu, même s’il vient de pleuvoir avec force :
En Sibérie le temps change brusquement.
Je renoue le lacet de la petite bottine de ma fille.
Je n’ai encore aucune idée de ce que me réserve l’avenir.
22 septembre 2019
peinture vestibule libellule voix
J’étais sorti de l’hôpital psychiatrique
Au milieu de l’hiver sibérien
Avec ses gelées impitoyables.
J’avais vingt ans.
Mon histoire était un mélange
D’éléments divers : mon incapacité
À faire face aux problèmes de l’âge adulte,
Dépression et surmenage au travail.
S’y rajoutaient certaines circonstances politiques
De cette époque difficile.
Après m’avoir libéré, on m’enjoignit
De me présenter au dispensaire de la ville
Afin de recevoir
Une assistance médicale supplémentaire.
Le vestibule du dispensaire était décoré
D’une peinture murale : lac aux libellules.
La couleur du lac était verte, apaisante.
La tension nerveuse m’abandonna peu à peu.
La jeune femme médecin au cabinet
Feuilleta mon dossier médical
Et fronça ses sourcils noirs.
« Je ne comprends pas, dit-elle
D’une voix mélodique et grave,
Pourquoi vous ont-ils prescrit tout cela,
Ces médicaments puissants aux effets incertains ?
J’ai pourtant l’impression
Que vous êtes un jeune homme
Parfaitement normal. Vous souffrez juste
De surmenage et de stress.
Tout ce dont vous avez besoin
C’est d’une bonne psychothérapie.
Voici les coordonnées du thérapeute à l’université.
Allez le voir. »
Je remerciai la jeune femme
Et descendis dans le hall aux libellules.
Ce furent les premières paroles
D’humanité et de compassion
Qui m’eussent été adressées
Depuis si longtemps.
23 septembre 2019
insectes porte étang d’où
Au centre de loisirs
La porte du sauna donnait directement
Sur la jetée en planches de bois
D’où l’on pouvait sauter tout nu
Dans l’eau fraîche de l’étang.
Seuls les insectes pouvaient voir
La beauté d’un jeune corps.
Mais sommes-nous en mesure d’imaginer
Ce que voient les insectes
Et ce qu’est pour eux la beauté ?
Le sauna était de type finlandais :
Vapeur sèche et température qui pouvait atteindre
Jusqu’à cent quatre-vingts degrés.
Une vraie fournaise.
Avant d’y entrer
J’enlevai tous mes vêtements.
Une seule chose que je ne voulus pas ôter :
Ma croix de baptême en aluminium,
Suspendue à mon cou par un cordon.
Je m’assis sur le banc du sauna.
Le thermomètre indiquait cent quarante.
Quand je me levais pour courir me jeter dans l’étang,
La croix en métal se balança
Puis se colla du côté gauche de ma poitrine
Laissant une brûlure.
24 septembre 2019
brosse chuchoter visage vérité
Lors de mon premier mariage
Ma femme
(Nous étions tous les deux très jeunes)
Me chuchota un jour à l’oreille
Que je pourrais mettre
Moins de dentifrice sur ma brosse à dents.
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