
Ils cassent le monde
En petits morceaux
Ils cassent le monde
À coups de marteau
Mais ça m'est égal
Ça m'est bien égal
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez
Il suffit que j'aime
Une plume bleue
Un chemin de sable
Un oiseau peureux
Il suffit que j'aime
Un brin d'herbe mince
Une goutte de rosée
Un grillon de bois
Ils peuvent casser le monde
En petits morceaux
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez
J'aurais toujours un peu d'air
Un petit filet de vie
Dans l'œil un peu de lumière
Et le vent dans les orties
Et même, et même
S'ils me mettent en prison
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez
Il suffit que j'aime
Cette pierre corrodée
Ces crochets de fer
Où s'attarde un peu de sang
Je l'aime, je l'aime
La planche usée de mon lit
La paillasse et le châlit
La poussière de soleil
J'aime le judas qui s'ouvre
Les hommes qui sont entrés
Qui s'avancent, qui m'emmènent
Retrouver la vie du monde
Et retrouver la couleur
J'aime ces deux longs montants
Ce couteau triangulaire
Ces messieurs vêtus de noir
C'est ma fête et je suis fier
Je l'aime, je l'aime
Ce panier rempli de son
Où je vais poser ma tête
Oh, je l'aime pour de bon
Il suffit que j'aime
Un petit brin d'herbe bleue
Une goutte de rosée
Un amour d'oiseau peureux
Ils cassent le monde
Avec leurs marteaux pesants
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez, mon cœur
Un de plus
Un sans raison
Mais puisque les autres
Se posent les questions des autres
Et leur répondent avec les mots des autres
Que faire d’autre
Que d’écrire, comme les autres
Et d’hésiter
De répéter
Et de chercher
De rechercher
De pas trouver
De s’emmerder
Et de se dire « Ça sert à rien »
Il vaudrait mieux gagner sa vie
Mais ma vie, je l’ai, moi, ma vie
J’ai pas besoin de la gagner
C’est pas un problème du tout
La seule chose qui en soit pas un
C’est tout le reste, les problèmes
Mais ils sont tous déjà posés
Ils se sont tous interrogés
Sur tous les plus petits sujets
Alors moi, hein, qu’est-ce qui me reste ?
Ils ont pris tous les mots commodes
Les beaux mots à faire du verbe
Les écumants, les chauds, les gros
Les cieux, les astres, les lanternes
Et ces brutes molles de vagues
Ragent, rongent les rochers rouges
C’est plein de ténèbres et de cris
C’est plein de sang et plein de sexe
Plein de ventouses et de rubis
Alors moi, hein, qu’est-ce qui me reste ?
Faut-il me demander sans bruit
Et sans écrire et sans dormir ?
Faut-il que je cherche pour moi
Sans le dire, même au concierge
Au nain qui court sous mon plancher
Au papaouteur dans ma poche
Ni au curé de mon tiroir ?
Faut-il, faut-il que je me sonde
Tout seul sans une sœur tourière
Qui vous empoigne la quéquette
Et vous larde comme un gendarme
D’une lance à la vaseline ?
Faut-il, faut-il que je me fourre
Une tige dans les naseaux
Contre une urémie du cerveau
Et que je voie couler mes mots ?
Ils se sont tous interrogés
Je n’ai plus droit à la parole
Ils ont pris tous les beaux luisants
Ils sont tous installés là-haut
Où c’est la place des poètes
Avec des lyres à pédale
Avec des lyres à vapeur
Avec des lyres à huit socs
Et des pégases à réacteurs
J’ai pas le plus petit sujet
J’ai plus que les mots les plus plats
Tous les mots cons, tous les mots laids
J’ai plus que me moi le la les
J’ai plus que du dont qui quoi qu’est-ce
Qu’est, elle et lui, qu’eux nous vous ni
Comment voulez-vous que je fasse
Un poème avec ces mots-là ?
Eh ben, tant pis, j’en ferai pas !
J’aimerais
Devenir un grand poète
Et les gens me mettraient
Plein de lauriers sur la tête
Mais voilà
Je n’ai pas
Assez de goût pour les livres
Et je songe trop à vivre
Et je pense trop aux gens
Pour être toujours content
De n’écrire que du vent
Donnez le si
Il pousse un if
Faites le tri
Il naît un arbre
Jouez au bridge, et le pont s'ouvre
Engloutissant les canons les soldats
Au fond, au fond affectionné
De la rivière rouge
Ah oui, les Anglais sont bien dangereux.
Un poète
C’est un être unique
À des tas d’exemplaires
Qui ne pense qu’en vers
Et n’écrit qu’en musique
Sur des sujets divers
Des rouges et des verts
Mais toujours magnifiques

Si les poètes étaient moins bêtes
Si les poètes étaient moins bêtes
Et s’ils étaient moins paresseux
ils rendraient tout le monde heureux
pour pouvoir s’occuper en paix
de leurs souffrances littéraires
ils construiraient des maisons jaunes
avec des grands jardins devant
et des arbres pleins de zoizeaux
de mirliflûtes et de lizeaux
des mésongres et des feuvertes
des plumuches, des picassiettes
et des petits corbeaux tout rouges
qui diraient la bonne aventure
il y aurait de grands jets d’eau
avec des lumières dedans
il y aurait deux cents poissons
depuis le croûsque au ramusson
de la libelle au pépamule
de l’orphie au rara curule
et de l’avoile au canisson
il y aurait de l’air tout neuf
parfumé de l’odeur des feuilles
on mangerait quand on voudrait
et l’on travaillerait sans hâte
à construire des escaliers
de formes encor jamais vues
avec des bois veinés de mauve
lisses comme elle sous les doigts
Mais les poètes sont trop bêtes
ils écrivent pour commencer
au lieu de s’mettre à travailler
et ça leur donne des remords
qu’ils conservent jusqu’à la mort
ravis d’avoir tellement souffert
on leur donne des grands discours
et on les oublie en un jour
mais s’ils étaient moins paresseux
on ne les oublierait qu’en deux.
Elle serait là, si lourde
Elle serait là, si lourde
Avec son ventre de fer
Et ses volants de laiton
Ses tubes d'eau et de fièvre
Elle courrait sur ses rails
Comme la mort à la guerre
Comme l'ombre dans les yeux
Il y a tant de travail
Tant et tant de coups de lime
Tant de peine et de douleurs
Tant de colère et d'ardeur
Et il y a tant d'années
Tant de visions entassées
De volonté ramassée
De blessures et d'orgueils
Métal arraché au sol
Martyrisé par la flamme
Plié, tourmenté, crevé
Tordu en forme de rêve
Il y a la sueur des âges
Enfermée dans cette cage
Dix et cent mille ans d'attente
Et de gaucherie vaincue
S'il restait
Un oiseau
Et une locomotive
Et moi seul dans le désert
Avec l'oiseau et le chose
Et si l'on disait choisis
Que ferais-je, que ferais-je
Il aurait un bec menu
Comme il sied aux conirostres
Deux boutons brillants aux yeux
Un petit ventre dodu
Je le tiendrais dans ma main
Et son cœur battrait si vite…
Tout autour, la fin du monde
En deux cent douze épisodes
Il aurait des plumes grises
Un peu de rouille au bréchet
Et ses fines pattes séches
Aiguilles gainées de peau
Allons, que garderez vous
Car il faut que tout périsse
Mais pour vos loyaux services
On vous laisse conserver
Un unique échantillon
Comotive ou zoizillon
Tout reprendre à son début
Tous ces lourds secrets perdus
Toute science abattue
Si je laisse la machine
Mais ses plumes sont si fines
Et son cœur battrait si vite
Que je garderais l'oiseau.
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