L’Océan resplendit sous sa vaste nuée.
L’onde, de son combat sans fin exténuée,
S’assoupit, et, laissant l’écueil se reposer,
Fait de toute la rive un immense baiser.
On dirait qu’en tous lieux, en même temps, la vie
Dissout le mal, le deuil, l’hiver, la nuit, l’envie,
Et que le mort couché dit au vivant debout:
Aime! et qu’une âme obscure, épanouie en tout,
Avance doucement sa bouche vers nos lèvres.
L’être, éteignant dans l’ombre et l’extase ses fièvres,
Ouvrant ses flancs, ses seins, ses yeux, ses cœurs épars,
Dans ses pores profonds reçoit de toutes parts
La pénétration de la sève sacrée.
La grande paix d’en haut vient comme une marée.
Le brin d’herbe palpite aux fentes du pavé;
Et l’âme a chaud. On sent que le nid est couvé.
L’infini semble plein d’un frisson de feuillée.
On croit être à cette heure où la terre éveillée
Entend le bruit que fait l’ouverture du jour,
Le premier pas du vent, du travail, de l’amour,
De l’homme, et le verrou de la porte sonore,
Et le hennissement du blanc cheval aurore.
Le moineau d’un coup d’aile, ainsi qu’un fol esprit,
Vient taquiner le flot monstrueux qui sourit;
L’air joue avec la mouche et l’écume avec l’aigle;
Le grave laboureur fait ses sillons et règle
La page où s’écrira le poëme des blés;
Des pêcheurs sont là-bas sous un pampre attablés;
L’horizon semble un rêve éblouissant où nage
L’écaille de la mer, la plume du nuage,
Car l’Océan est hydre et le nuage oiseau.
Une lueur, rayon vague, part du berceau
Qu’une femme balance au seuil d’une chaumière,
Dore les champs, les fleurs, l’onde et devient lumière
En touchant un tombeau qui dort près du clocher.
Le jour plonge au plus noir du gouffre, et va chercher
L’ombre, et la baise au front sous l’eau sombre et hagarde.
Tout est doux, calme, heureux, apaisé; Dieu regarde.
Marine-Terrace, juillet 1855.
Oh! par nos vils plaisirs, nos appétits, nos fanges,
Que de fois nous devons vous attrister, archanges!
C’est vraiment une chose amère de songer
Qu’en ce monde où l’esprit n’est qu’un morne étranger,
Où la volupté rit, jeune, et si décrépite!
Où dans les lits profonds l’aile d’en bas palpite,
Quand, pâmé, dans un nimbe ou bien dans un éclair,
On tend sa bouche ardente aux coupes de la chair
À l’heure où l’on s’enivre aux lèvres d’une femme,
De ce qu’on croit l’amour, de ce qu’on prend pour l’âme,
Sang du cœur, vin des sens âcre et délicieux,
On fait rougir là-haut quelque passant des cieux!
Juin 1855.
XII. Aux anges qui nous voient
– Passant, qu’es-tu? je te connais.
Mais, étant spectre, ombre et nuage,
Tu n’as plus de sexe ni d’âge.
– Je suis ta mère, et je venais!
– Et toi dont l’aile hésite et brille,
Dont l’œil est noyé de douceur,
Qu’es-tu, passant? – Je suis ta sœur.
– Et toi, qu’es-tu? – Je suis ta fille.
– Et toi, qu’es-tu, passant? – Je suis
Celle à qui tu disais: «Je t’aime!»
– Et toi? – Je suis ton âme même. –
Oh! cachez-moi, profondes nuits!
Juin 1855.
Ô mort! heure splendide! ô rayons mortuaires!
Avez-vous quelquefois soulevé des suaires?
Et, pendant qu’on pleurait, et qu’au chevet du lit,
Frères, amis, enfants, la mère qui pâlit,
Éperdus, sanglotaient dans le deuil qui les navre,
Avez-vous regardé sourire le cadavre?
Tout à l’heure il râlait, se tordait, étouffait;
Maintenant il rayonne. Abîme! qui donc fait
Cette lueur qu’a l’homme en entrant dans les ombres?
Qu’est-ce que le sépulcre? et d’où vient, penseurs sombres,
Cette sérénité formidable des morts?
C’est que le secret s’ouvre et que l’être est dehors;
C’est que l’âme – qui voit, puis brille, puis flamboie, –
Rit, et que le corps même a sa terrible joie.
La chair se dit: – Je vais être terre, et germer,
Et fleurir comme sève, et, comme fleur, aimer!
Je vais me rajeunir dans la jeunesse énorme
Du buisson, de l’eau vive, et du chêne, et de l’orme,
Et me répandre aux lacs, aux flots, aux monts, aux prés,
Aux rochers, aux splendeurs des grands couchants pourprés,
Aux ravins, aux halliers, aux brises de la nue,
Aux murmures profonds de la vie inconnue!
Je vais être oiseau, vent, cri des eaux, bruit des cieux,
Et palpitation du tout prodigieux! –
Tous ces atomes las, dont l’homme était le maître,
Sont joyeux d’être mis en liberté dans l’être,
De vivre, et de rentrer au gouffre qui leur plaît.
L’haleine, que la fièvre aigrissait et brûlait,
Va devenir parfum, et la voix harmonie;
Le sang va retourner à la veine infinie,
Et couler, ruisseau clair, aux champs où le bœuf roux
Mugit le soir avec l’herbe jusqu’aux genoux;
Les os ont déjà pris la majesté des marbres;
La chevelure sent le grand frisson des arbres,
Et songe aux cerfs errants, au lierre, aux nids chantants
Qui vont l’emplir du souffle adoré du printemps.
Et voyez le regard, qu’une ombre étrange voile,
Et qui, mystérieux, semble un lever d’étoile!
Oui, Dieu le veut, la mort, c’est l’ineffable chant
De l’âme et de la bête à la fin se lâchant;
C’est une double issue ouverte à l’être double.
Dieu disperse, à cette heure inexprimable et trouble,
Le corps dans l’univers et l’âme dans l’amour.
Une espèce d’azur que dore un vague jour,
L’air de l’éternité, puissant, calme, salubre,
Frémit et resplendit sous le linceul lugubre;
Et des plis du drap noir tombent tous nos ennuis.
La mort est bleue. Ô mort! ô paix! l’ombre des nuits,
Le roseau des étangs, le roc du monticule,
L’épanouissement sombre du crépuscule,
Le vent, souffle farouche ou providentiel,
L’air, la terre, le feu, l’eau, tout, même le ciel,
Se mêle à cette chair qui devient solennelle.
Un commencement d’astre éclôt dans la prunelle.
Au cimetière, août 1855.
Ô gouffre! l’âme plonge et rapporte le doute.
Nous entendons sur nous les heures, goutte à goutte,
Tomber comme l’eau sur les plombs;
L’homme est brumeux, le monde est noir, le ciel est sombre;
Les formes de la nuit vont et viennent dans l’ombre;
Et nous, pâles, nous contemplons.
Nous contemplons l’obscur, l’inconnu, l’invisible.
Nous sondons le réel, l’idéal, le possible,
L’être, spectre toujours présent.
Nous regardons trembler l’ombre indéterminée.
Nous sommes accoudés sur notre destinée,
L’œil fixe et l’esprit frémissant.
Nous épions des bruits dans ces vides funèbres;
Nous écoutons le souffle, errant dans les ténèbres,
Dont frissonne l’obscurité;
Et, par moments, perdus dans les nuits insondables,
Nous voyons s’éclairer de lueurs formidables
La vitre de l’éternité.
Marine-Terrace, septembre 1853.
XV. À celle qui est voilée
Tu me parles du fond d’un rêve
Comme une âme parle aux vivants.
Comme l’écume de la grève,
Ta robe flotte dans les vents.
Je suis l’algue des flots sans nombre,
Le captif du destin vainqueur;
Je suis celui que toute l’ombre
Couvre sans éteindre son cœur.
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