« Caroline. Oh ! maman, sois tranquille, nous saurons bien nous en tirer, si Victor surtout veut me laisser faire.
Victor. Oui, cela ira à merveille pourvu que Caroline ne se mêle pas de faire sa Marie j’ordonne . »
(Victor Cholet,
La soirée , scène I, in
Petits proverbes dramatiques à l’usage des jeunes gens , 1837.)
Au XIX esiècle apparut faire sa demoiselle j’ordonne , appliquée à une petite fille qui veut tout régenter.
L’expression est au nombre de celles qui déclinent le très répandu prénom Marie pour dénoncer le trait dominant (moral ou physique) d’une femme : Marie-couche-toi-là (voir infra), Marie-bon-bec , « femme bavarde un peu forte en gueule », nous dit Alfred Delvau (1866). Charles Virmaître (1894) mentionne aussi Marie-sac-au-dos , « femme toujours prête », Marie-pique-rempart , « femme qui rôde la nuit sur les remparts, aux environs des postes de soldats ».
Méchant comme la gale, comme une teigne
« Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal »
(La Fontaine,
Les Animaux malades de la peste , fables, VII, I).
Être méchant (ou mauvais ) comme la gale , c’est être très méchant. Produite par un acarien (sarcopte) qui creuse des galeries dans la peau pour y déposer ses œufs, la gale est une maladie particulièrement contagieuse qui provoque d’insupportables démangeaisons. On comprend qu’elle soit qualifiée de mauvaise ou méchante et qu’elle soit, dans l’expression, le symbole de ce qu’il faut fuir. En l’occurrence, le mal est trois fois présent : chez celui qui en est atteint, chez celui qui l’attrape et dans la maladie elle-même. On dit aussi Mauvais comme une teigne , autre maladie très contagieuse, dermatose du cuir chevelu produite par des champignons microscopiques, à l’origine de pelades.
Ces expressions apparurent au XIX esiècle mais d’autres désignèrent dès le XVII esiècle ce (ou ceux) dont il faut éviter la compagnie : « Qui se sent galeux, qu’il se gratte » et « cela tient comme teigne » (Oudin, 1640).
« Entre les dents, boun’gen ! sais pas ce qu’a meloune »
(Jean-Henri Burgaud des Marets,
Fables et Contes en patois saintongeais , 1849).
En Vendée et dans les Charentes, on meloune quand on chantonne la bouche fermée. Il est probable que l’on imite ainsi le bourdonnement du … bourdon (le mot « bourdon » est d’ailleurs une onomatopée) que l’on appelle melon dans ces mêmes régions, peut-être parce qu’il cherche le miel ( mel en latin).
Melouner signifie aussi « grommeler, ronchonner ».
Mon frère avait cette habitude, pendant qu’il s’affairait à une occupation captivante, d’exprimer sa joie de vivre en melounant (chantonnant) toutes sortes d’airs qu’il improvisait plus ou moins. Cela avait le don d’énerver grand-mère qui se mettait elle aussi à melouner (ronchonner) : « As-tu bientôt fini de melouner ? »
En prendre plein les mirettes
« On en prend plein les mirettes ! » s’exclamait grand-mère pendant le bouquet d’un feu d’artifice ou au pied d’un sapin de Noël illuminé, mettant ainsi des mots sur notre émerveillement.
« Émerveillement » et mirettes ont d’ailleurs une étymologie commune, le latin mirus , « étonnant, merveilleux » que l’on retrouve dans le verbe mirari , « s’étonner, admirer » (à l’origine de « mirer ») et l’adjectif mirabilis, mirabilia qui a engendré « merveille ». Les mirettes sont donc les yeux, surtout quand ils permettent de s’émerveiller et manifestent admiration et/ou étonnement : « Il a fait de ces mirettes en découvrant son cadeau ! »
Le mot fut employé à partir de la fin du XIX esiècle dans « l’argot des voyous », pour Delvau (1866), celui « des voleurs », pour Virmaître (1894), souvent précédé de « belles » comme dans la chanson de Vincent Scotto :
« Or un soir qu’il sortait de l’atelier
Elle aborda l’ouvrier lui disant :
“Si l’on s’aimait
T’as de belles mirettes, tu m’plais.” »
(
La Vipère du trottoir , 1919).
Esnault (1965) mentionne l’expression « avoir du sommeil plein ses mirettes ».
En amoureux du bel argot, Pierre Perret utilise souvent le mot dans ses chansons, comme dans Marina : « Ils te prendraient pour la Sainte Vierge / Tes belles mirettes et tes vingt berges ».
Avoir du sang de navet (dans les veines)
Jugement définitif quand nous manquions de courage (pour descendre seuls à la cave, par exemple) ou de force (quand nous échouions, autre exemple, à desserrer le couvercle d’un bocal de confiture). Nous en concluions, incrédules, que les légumes avaient du sang (blanchâtre pour le navet) et qu’à la faveur de leur ingestion celui-ci passait dans nos veines. Autre conséquence, qui nous plaisait davantage car nous avions les navets en horreur, ne pas en manger nous empêchait ipso facto d’anémier plus avant notre bravoure et notre vigueur.
L’expression semble ne pas être apparue avant le début du XX esiècle.
Expliquant aussi la genèse de l’expression, d’autres connotations négatives associées au légume existent ou ont existé : œuvre d’art sans valeur ni intérêt (par analogie avec la fadeur du navet [9]), pet sonore (le navet provoque des flatulences), interjection signifiant « non ! », ces deux dernières acceptions étant répertoriées par Delvau (1866).
Avoir les nerfs en pelote
C’est la manifestation d’un agacement, d’une irritation extrême. Datée de 1901 (dans L’Argot au XX e siècle d’Aristide Bruant, à Colère ), l’expression se mettre les nerfs en pelote fait partie de toute une liste où le mot nerfs au pluriel est associé aux notions d’exaspération, d’excitation, etc. : taper sur les nerfs , « énerver, irriter », (1816, porter sur les nerfs dans L’Hermite de Guyane d’Étienne de Jouy), un paquet (ou une boule ) de nerfs , « personne très nerveuse », avoir les nerfs à fleur de peau , « être irritable », être sur les nerfs, « éprouver une grande tension nerveuse », autant d’états qui peuvent mener à la crise de nerfs (1825, dans la Physiologie du goût de Brillat-Savarin) au cours de laquelle on doit passer ses nerfs sur quelqu’un pour espérer retrouver son calme, etc.
Mener quelqu’un par le bout du nez
Grand-mère disait cela de certain fils ou gendre qui n’avait pas assez de caractère pour s’opposer aux volontés et caprices de sa femme : « Ce grand nigaud se laisse mener par le bout du nez ! »
Mener quelqu’un par le bout du nez , c’est, au sens figuré, le conduire sans effort là où on veut aller : pas besoin de l’attacher, juste le saisir par son appendice nasal !
L’expression existait déjà à la Renaissance sous une forme très proche, mener par le nez : « […] quand vous êtes tous ensemble, vous vous laissez mener par le nez à tels de qui chacun de vous à part ne voudrait pas prendre le conseil en ses privées affaires. » (Jacques Amyot, Caton le censeur , in traduction de Vies des hommes illustres de Plutarque, XV, 1559-65.)
Le bout du nez supplante le simple nez dès 1807 dans un compte-rendu de Il Podesta di Chioggia , opéra d’Orlandi : « Il est amoureux de Rosine, sa servante, qui se moque de lui et le mène comme un sot, par le bout du nez » ( Mémorial dramatique, ou Almanach théâtral, pour l’an 1807 ).
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