Dès 1640, Antoine Oudin nous fournit une expression approchante : « Ce n’est qu’un cul et une chemise. Ils sont toujours ensemble ; ils ont de grandes intelligences » et Fleury de Bellingen, en 1656, en emploie une autre : « […] elle a ajouté que c’estoient deux culs dans une chemise ; c’est à dire deux intimes et parfaits amis, qui semblaient avoir un même esprit, un même sentiment, et une même inclination » ( L’Étymologie ou Explication des proverbes françois , XXVIII).
Le jour de la cuti était un jour de larmes, le scarificateur étant pour la plupart des écoliers un instrument de sacrificateur. C’était le médecin scolaire qui pratiquait naguère la cuti (abréviation de « cutiréaction », du latin cutis , « peau »).
Une réaction négative prouvait que le bacille de la tuberculose ne nous avait jamais rendu visite. On devait alors se préparer à une autre journée de pleurs : celle où on nous injecterait le vaccin contre la tuberculose (le fameux B.C.G., sigle pour bacille Calmette Guérin, du nom des inventeurs de cette inhumaine torture). Si la réaction était positive (rougeur et durcissement de la peau), cela voulait dire que l’on avait été en contact avec le microbe et que, ouf ! on était immunisé par la bienheureuse entremise d’une primo-infection naturelle. On disait alors que l’on avait viré sa cuti . L’expression ne tarda pas à prendre un sens figuré et, dans les années 1950, l’on se mit à dire de celui qui changeait de mode, d’opinion, de conviction, notamment dans le domaine politique, qu’il avait viré sa cuti : « L’intellectuel de gauche avait, selon l’expression des militaires d’Algérie, “viré sa cuti” » (Pierre Miquel, La IV e République, Hommes et pouvoirs , Bordas, 1972).
Le soir du 14 juillet, après la retraite aux flambeaux, l’exclamation ne cessait de fuser (c’est le cas de le dire) pendant le feu d’artifice tiré sur la plage de Fouras et grand-mère n’était pas en reste : « Oh, la belle verte ! Oh la belle bleue ! Oh la belle éloise ! » Ces cris d’admiration saluaient les gerbes illuminant le ciel car, en Saintonge (comme en Vendée, en Angoumois et en Poitou), une éloise (prononcez éloèze ) est un « éclair ».
Le mot est attesté en vieux français, notamment chez Montaigne pour qui notre vie « n’est qu’une éloise dans le cours d’une nuit éternelle » ( Essais , livre second, chapitre XII, 1582). Dans Origines de la langue française , le grammairien Gilles Ménage (1613–1692) prend cette citation pour illustrer le mot éloise dont il dit : « C’est un vieux mot qui signifie éclair, et dont on use encore à présent en quelques provinces de France, et particulièrement en Poitou […] Il vient d’ elucia qui a été fait d’ elucere , “luire, briller” en latin. Existe aussi cet autre régionalisme, éloiser , “faire des éclairs” ».
Se regarder en chiens de faïence
C’est ainsi que nous nous toisions, mon frère et moi, quand l’un avait fait une crasse à l’autre. « Avez-vous fini de vous regarder en chiens de faïence ? » demandait grand-mère.
Les chiens de faïence , je connaissais. Parmi de nombreux autres bibelots (maman parlait d’ acqueries , mot charentais désignant de « vieux objets sans valeur », des « nids à poussière »), deux dogues semblaient se défier du regard, face à face, immobiles, sur le buffet des grands-parents. Je n’appris que bien plus tard d’où venait la faïence dont ils étaient faits.
On a d’abord dit terre de Fayence (1532), puis Faenze (1589), Faiance (1642) et enfin faïence (fin XVII esiècle) pour désigner cette célèbre céramique originaire de Faenza. Cette petite ville italienne de la région d’Émilie possède d’ailleurs un musée international de la céramique. La fabrication de vaisselle de céramique qui remonte au XII esiècle y est toujours un artisanat florissant.
La gauche (je ne parle pas de politique !) a toujours eu mauvaise réputation. Est-ce parce que le mot est, selon certaines hypothèses, issu du verbe gauchir , lui-même dérivé, via l’ancien français guenchir, ganchir , « faire des détours », du francique ° wenkjan , « vaciller » ? Toujours est-il que le côté en question, même au-delà le mot qui le désigne, est frappé d’anathème depuis l’Antiquité.
Les augures romains étaient investis du pouvoir de comprendre l’attitude des dieux à l’égard de Rome et de prédire l’avenir en interprétant divers signes dont le vol des oiseaux (le latin auspicum , « observation des oiseaux » a d’ailleurs donné le français « auspices », dont on sait qu’ils peuvent être bons ou mauvais comme l’ augure peut être favorable ou non). La science divinatoire des augures leur permettait donc de conseiller sénateurs et magistrats. Si, par exemple, un vol d’oiseaux venait de la gauche, le présage était défavorable, d’où le sens de « sinistre », issu du latin sinistra , « main gauche ». L’augure était bon si le vol surgissait de la dextre (= droite). « Gauche » se substitua au français senestre, « côté gauche » (également dérivé de sinistra ) quand « dextre » fut remplacé par « droit(e) ».
Gauche, sinistre ? Mêmes connotations. Comment après cela s’étonner que se lever du pied gauche soit associé à la mauvaise humeur et que la journée en soit mal engagée ?
« Bien sûr nous eûmes des orages… » Quel couple peut se vanter de n’en avoir jamais eus ? Orage ou brouille passagère, le résultat se traduit bien souvent par une soupe à la grimace , l’image étant celle d’un repas pris en face d’un visage revêche : celui de votre conjoint dont la moue renfrognée traduit l’inimitié. L’expression ne semble pas remonter au-delà du XX esiècle et l’idée de repas en a progressivement disparu, celle d’accueil hostile étant seule conservée.
Une autre, un peu plus ancienne, nous parle de « soupe aux larmes » mais, plus que de l’hostilité, c’est de la tristesse qu’elle exprime : « Londres est maintenant détestable, poursuivit Reggie avec un grand sérieux. Je n’aime pas, vous savez… La guerre… Partout à Londres, c’est comme une soupe aux larmes » (Francis Carco, Les Innocents , 1916).
Ajoutons que celui qui mange la soupe à la grimace doit aussi souvent « dormir à l’hôtel du cul tourné » (voir infra), la guéguerre conjugale étant ainsi pleinement consommée.
Toujours dans le registre de la mauvaise humeur, citons avoir l’air grimaud , expression aujourd’hui plutôt sarthoise mais issue du vieux français : « Voilà donc pourquoi Almanzine vous paroissoit avoir l’air grimaud, et les yeux loup-garou ! » (Alain-René Lesage, Achmet et Almanzine , I, IV, 1728). Grimaud est encore attesté chez Littré (1872-77) où l’adjectif est ainsi défini : « Qui est d’humeur chagrine, maussade. »
L’étymologie de grimaud est le francique ° grima , « masque ». Entre autres significations aujourd’hui tombées dans l’oubli, Littré nous précise que grimaud est l’un des noms vulgaires de la chouette.
C’est le surnom que grand-mère donnait à toutes les femmes qui font marcher leur monde (et plus particulièrement leur mari) à la baguette, qui aiment commander :
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