Louise Fusil - Souvenirs d'une actrice (1/3)

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Louise Fusil

Souvenirs d'une actrice (1/3)

SOUVENIRS D'UNE ACTRICE

dédiés aux
ARTISTES DU THÉÂTRE FRANÇAIS

C'est au souvenir de mon grand-père, Liard Fleury, que je dus la bienveillance de la Comédie-Française dans ma jeunesse; il vivait encore lors de mes premiers essais au Théâtre Richelieu, en 1791.

Si l'on a conservé quelques souvenirs de moi dans les arts, ce ne peut être de cette époque, où j'ai dû passer inaperçue au milieu des grands acteurs qui occupaient la scène; mais je suis assez fière d'avoir pris mon vol à l'abri du leur, pour vouloir le rappeler. L'intérêt qu'ils m'ont témoigné, leurs conseils surtout, m'auraient sans doute permis de remplir une longue et honorable carrière parmi eux, si le sort n'en eût décidé autrement.

Ce fut avec un vif regret que je quittai la comédie pour reprendre le chant; mais toujours accueillie avec amitié par les artistes, j'ai vu se succéder trois générations de talents.

Lorsque j'arrivai à Dresde après les désastres de la guerre de Russie, j'y retrouvai la Comédie-Française, qui m'accueillit avec cette hospitalité qui distingue les artistes; c'est avec eux que je revins en France.

Ce fut au Théâtre-Français que je fis débuter, comme mon élève, cette jeune orpheline, Nadèje, que j'avais eu le bonheur de sauver au milieu des glaces de Vilna!

Je ne veux point rappeler ici de trop douloureux souvenirs!..

C'est à ce titre que je crois pouvoir placer ce faible ouvrage sous l'égide de la Comédie-Française. Elle y trouvera des faits ignorés ou peu connus, dont je puis garantir l'exactitude; mais ce qu'elle y trouvera surtout, c'est l'expression de ma reconnaissance pour le bienveillant intérêt que la Comédie-Française m'a témoigné dans tous les temps.

LOUISE FUSIL, née Fleury .

INTRODUCTION

Ce ne sont point des Mémoires que je veux publier, mais seulement des Souvenirs écrits à différentes époques, sous l'impression du moment, et dans un âge où ils ont dû se graver dans mon esprit en traits ineffaçables; ils se rapportent aux arts, à la littérature du temps; ils se rattachent à des noms célèbres, aux grands événements des époques, et les époques ont eu entre elles des couleurs bien différentes.

Le temps dont je parle est déjà loin de nous. J'avais pris l'habitude, depuis que je commençais à prendre garde à ce qui se passait autour de moi, et lorsque je me trouvais dans des circonstances en dehors de la vie ordinaire, de retracer, dans une espèce de journal, les choses qui m'avaient le plus frappée, habitude que j'ai toujours conservée dans mes voyages, dans les pays étrangers, mais surtout en Russie, où j'écrivais à la lueur de l'incendie de Moscou sans savoir si ces détails parviendraient jamais à ma famille. On est bien aise de revoir plus lard ce qui aurait pu échapper à notre mémoire. Il arrive presque toujours aussi que notre manière d'envisager les choses lorsque nous les écrivons diffère beaucoup lorsque nous venons à les relire. L'âge, les circonstances changées, font voir sous un jour bien différent ce que la vivacité de notre imagination nous avait peint sous des couleurs trop brillantes ou trop sombres.

C'est en lisant l' Histoire de la Révolution par M. Thiers que ces années 1791, 12, 13 et 14 retracèrent à mon esprit une foule d'anecdotes, la plupart oubliées ou peu connues des historiens, qui d'ailleurs dédaignent de s'en occuper. Cet ouvrage me reportait aux jours de ma jeunesse et faisait passer devant moi cette galerie de mouvants tableaux où je revoyais des hommes que j'avais connus, ceux que j'avais pleurés, ceux qui m'avaient fait mourir de frayeur. À mesure que j'avançais dans cette lecture, je rattachais à chaque personnage un fait que je retrouvais dans mon journal. Tout ce qui a rapport à ce temps, où chaque circonstance était un événement dont les détails ajoutés aux faits sérieux seront un jour les chroniques de notre époque, est intéressant à connaître et mérite d'être recueilli.

J'ai passé les plus belles années de ma vie au milieu des orages de la Révolution. En ma qualité de femme, je n'ai jamais manifesté d'opinion; mais j'ai toujours été du parti des opprimés, et je me suis souvent exposée pour les servir. J'ai eu de bonne heure un esprit assez observateur. Ma jeunesse, la gaîté de mon caractère me présentèrent le côté comique des choses. Je me moquais également de l'exagération des royalistes et de celle des républicains, qui se croyaient des Spartiates et des Romains. Il faut convenir que j'étais bien placée pour cela entre mon père et mon mari. Celui qui a dit que «les femmes adoptent toujours l'opinion de ceux qu'elles aiment » s'est étrangement trompé. J'étais opposée à l'un comme à l'autre. Ils se sont compromis tous deux. Je les voyais courir à l'échafaud par un chemin opposé qui devait les réunir, et ils auraient infailliblement péri sans le 9 thermidor.

Je tiens surtout à convaincre ceux qui me liront que tous ces événements qui prennent la couleur de la circonstance où je me trouvais ne signifient rien pour mon opinion particulière. Mes relations me permettaient de voir le comte de Tilly, Cazalès, J. – M. Chénier, Rivarol, Fabre d'Églantine, les Girondins et les Royalistes.

Quelques personnes m'ont dit depuis: «Mais votre mari était républicain et vous voyiez habituellement des royalistes! votre père était royaliste, et vous étiez liée avec des républicains! Pourquoi cela?» Parce que, moi, je suis une femme, que je suivais le cours des habitudes de ma famille, que j'aime d'ailleurs le talent et l'esprit partout où je les rencontre, que j'avais des amis dans les deux camps, qu'il y avait des malheureux sous chaque bannière, et comme une bonne soeur de charité, j'aurais voulu guérir toutes les blessures et consoler toutes les afflictions.

Je m'inquiétais peu de la politique; mais je lisais les Actes des apôtres , journal très en vogue alors, et les quolibets qu'il lançait sur le parti opposé m'amusaient infiniment. Nous n'en étions pas encore au temps où, lorsqu'on coupait la tête aux femmes, il fallait au moins qu'elles s'informassent pourquoi , comme l'a dit madame de Staël à Napoléon.

Quelle destinée plus bizarre que la mienne? Élevée dans une ville de province, je devais y passer une vie tranquille et calme. La révolution change tout à coup mon existence, me jette au milieu d'un monde nouveau, et dans un âge où l'on ne comprend pas encore le monde. Je tenais à des artistes célèbres en tout genre; à Fleury, par mon grand'père, dont le père était cousin-germain, et à madame Saint-Huberty, nièce de ma grand'mère. De semblables affinités sont des titres de noblesse parmi les artistes; protégée par eux, je devins une chanteuse assez distinguée. Mais la Révolution me fit peur, je crus la fuir en Belgique où je retrouvai des troubles d'une autre nature. Une dame anglaise m'emmène en Ecosse; la crainte de compromettre ma famille dans ces temps malheureux, me fait quitter la patrie d'Ossian et les grottes de Fingal pour rentrer en France. J'y trouve le 10 août et le 2 septembre. Je vais à Lille; on fait le siège de cette ville; à Boulogne-sur-Mer, je suis arrêtée par Joseph Lebon. Je reviens à Paris où d'autres événements m'attendaient.

Enfin, en 1806, je pars pour la Russie. J'y passe huit années dans un calme qui m'était inconnu depuis bien long-temps. Mais quel affreux réveil! à ce calme devait succéder la plus affreuse tempête. J'y échappe par un de ces miracles incompréhensibles; mais condamnée sans doute à marcher sans cesse contre le vent (comme ce marchand hollandais dont on nous raconte l'histoire), je suis forcée, pour quitter ce pays, de traverser les lacs glacés de la Suède. J'y rencontre de nouveaux dangers; je trouve les armées ennemies en Prusse. Je reviens enfin à Paris; et après avoir vu les Français en Russie, je vois les Russes en France.

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