— Je l’étais, mais certaines nouvelles ont la vertu de vous rejeter brutalement dans la pire réalité !
Néanmoins, Aldo attrapa la serviette que lui lançait son ami, s’étrilla, puis, drapé dans un peignoir de bain, regagna sa chambre où Zaccharia apportait déjà le café réclamé ; il en ingurgita une tasse avant d’allumer enfin une cigarette dont il huma la première bouffée avec délice :
— Dieu, que ça fait du bien ! Et maintenant causons. D’abord, qu’est-ce qui nous vaut ta visite impromptue, et deux : qu’est-ce que cette histoire de vol du Sancy ?
— Celle-ci découle de celle-là. On a bel et bien volé, à Hever Castle et presque sous le nez des Astor, le Sancy qui était le précieux trésor de la maîtresse de maison, et je viens te chercher pour, sinon te mettre à l’abri, au moins te permettre de respirer parce que c’est toi que les Astor accusent.
— Je sais ! C’est d’autant plus idiot que je n’ai jamais mis les pieds chez eux !
— Pourtant ils jurent que tu y étais et même qu’ils t’ont offert l’hospitalité en tant que gendre de leur ami Moritz Kledermann. Après ton départ, ils ont découvert que tu avais emporté un souvenir ! Mais si j’ai bien compris, tu étais réellement dans le coin, ce soir-là ?
— À une vingtaine de kilomètres du manoir d’un de mes plus anciens correspondants... qui non seulement n’était pas chez lui mais ne m’avait jamais appelé, selon son majordome. Furieux et de plus mal fichu à cause de leur sacré climat, je n’ai plus pensé qu’à rentrer chez moi pour réintégrer mon lit !
— Et tu as couché où ?
— Nulle part. Rentré à Heathrow, j’ai trouvé un avion pour Le Bourget, d’où j’ai pris un autre avion pour Milan et où j’ai eu aussitôt un train pour ici !
— Tu es devenu fou ou quoi ? lâcha Adalbert, éberlué. Pourquoi n’as-tu pas filé tout droit chez Tante Amélie ?
— Justement parce que je me sentais patraque ! Pour rien au monde, je n’aurais voulu la contaminer ! Elle n’est pas jeune, tu sais ?
— Elle l’est plus que toi, en tout cas. Et si tu veux...
— Plus tard, le sermon ! Comment se fait-il que tu sois venu aussi vite ?
— Oh, c’est simple ! C’est Langlois qui m’envoie ! Remarque que, de toute façon, j’aurais rappliqué...
— Langlois ? Le grand patron de la PJ ?
— Tu en connais un autre ?
— Non, mais j’avoue ne plus comprendre grand-chose. Un vol sensationnel, un joyau historique, un « voleur bien connu et apprécié jusqu’à présent » et le patron des flics français qui t’expédie pour avertir... et même mettre à l’abri ledit voleur ? Alors qu’en Angleterre le Chief Superintendant Warren a dû lâcher toutes ses troupes ? Ça n’a pas de sens !
— Et pourtant ça en a un !
— Explique ! fit Aldo en allumant une seconde cigarette.
— J’y viens ! Ni Warren et encore moins Langlois ne croient à ta culpabilité. Ils te connaissent trop ! Alors Warren a commencé par boucher les courants d’air en appelant Langlois. Il a eu juste le temps d’alerter la PJ avant d’être hospitalisé...
— Qu’est-ce qu’il a ?
— Je ne sais pas exactement, mais ce doit être assez sérieux pour qu’on le remplace jusqu’à nouvel ordre. Il se méfie comme de la peste de son remplaçant, si j’ai bien compris. Étant donné les personnalités visées, on a décidé de tenir l’affaire secrète afin de ne pas alerter tous les coureurs de joyaux historiques répartis à travers le monde. Et Langlois m’a chargé de te planquer jusqu’à ce que l’on retrouve ton beau-père et qu’il t’emmène lui-même chez les Astor pour les obliger à réviser leur jugement et qu’ils reconnaissent formellement avoir fait erreur sur la personne !
— Eh bien, la voilà, la solution ! D’ailleurs, Lisa doit être en train d’appeler son père. Là-dessus, il vient me chercher et m’emmène à Hever, où l’on me fait des excuses et tout rentre dans l’ordre...
— Il n’y a qu’un inconvénient mais de taille : Kledermann est en Amérique du Sud à la recherche de je ne sais quelles émeraudes, sans doute du côté de Manaus... La première réaction de Langlois a été d’appeler son secrétaire à Zurich.
— Qu’est-ce qu’il peut bien faire là-bas ? Il y a des mines en effet, mais il ne s’intéresse qu’aux joyaux historiques !
— Cela dépend peut-être de la dimension de l’objet ? Quoi qu’il en soit, on le cherche... discrètement parce que la disparition d’un financier de son envergure, cela fait désordre... et peut susciter pas mal de vagues...
— Tu veux dire que c’est une histoire de fous ! grogna Aldo qui commençait à s’habiller. Le mieux selon moi ne serait-il pas que j’aille à Hever, avec toi par exemple ?
— Ben voyons !...
— ... et toutes les justifications possibles. Ils seront bien obligés d’admettre qu’ils se sont trompés !
— D’après Langlois, ils sont quelques-uns dans le coin qui t’ont vu et pour qui ton identité ne fait aucun doute !
— À Allerton Park où je me croyais attendu mais pas à Hever !
— Une vraie malchance que tu te sois rendu sur place ce soir-là !
— Une malchance ? J’en viens à me demander si je ne suis pas la victime d’un coup monté, mais par qui ?
— C’est ce qu’il va falloir découvrir. À propos : la redoutable Ava serait ici ? Qu’est-ce qu’elle vient faire ?
— Récupérer le Sancy. Elle a appris le vol et, persuadée que j’en étais l’auteur et que le diamant était chez moi, elle venait tout bêtement le réclamer. Avec l’intention de le payer d’ailleurs. Tu te souviens qu’à Pontarlier je lui ai promis un diamant pour la remercier. Elle a cru que j’avais pensé qu’il était plus simple de cambrioler Hever Castle et elle venait discrètement le chercher. Enfin, ce qu’elle croit être discrètement !
Adalbert se mit à rire, ce qui détendit légèrement l’atmosphère :
— Tu es certain qu’elle avait l’intention de le payer ?
— Elle a sorti un carnet de chèques et un stylo !
— Quel prix ?
— On ne l’a même pas évoqué étant donné que je ne suis pour rien dans cette affaire !
— On croirait que tu ne la connais pas ! Dix contre un que son stylo aurait craché ou que son carnet n’avait plus de chèques, ou alors, connaissant ta façon de te le procurer, elle serait repartie avec le joyau en promettant de t’envoyer le paiement le soir même...
— Et je n’en aurais jamais vu la couleur ? Tu pourrais bien avoir raison. À présent, quelle est la mission dont Langlois t’a chargé ?
— Te ramener en France : tu reprends le pseudonyme de Michel Morlière tandis que je redeviens Lucien Lombard, et la paire de journalistes bien connue va rechercher le Sancy... et un personnage qui doit te ressembler suffisamment pour tromper ceux qui ne sont pas tes intimes !
— Ça ne tient pas debout ! Si l’on considère son rang, personne n’aurait l’idée de mettre en doute sa parole si...
— Tu ne crois pas que tu en demandes un peu trop ? Tu devrais lui être dégoulinant de reconnaissance de m’avoir expédié et il faut encore que tu cherches la petite bête ? Fais ce qu’on te dit pour une fois ! Et n’aie aucun souci pour cette maison et ce qu’elle renferme. La France et l’Italie s’entendent assez bien en ce moment, et ce n’est pas le cas pour l’Italie et l’Angleterre ! Envoie Lisa rejoindre les enfants chez sa grand-mère !
— Et tu penses que c’est une vie de couple, ça ? Depuis que nous sommes mariés, Lisa a dû passer autant de temps chez la comtesse Valérie qu’à mes côtés. Ça frise le ridicule, oui !
— Ce n’est pas mon avis. Cela fait de vous d’éternels jeunes mariés... et ne me dis pas que vos revoirs manquent de charme ?
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