“ Pourquoi, ma Dame ? Que lui as-tu fait ? ” demanda Nadira en se penchant vers l’avant et en lui prenant les mains.
“ Il existe un motif pour lequel une femme doit être traitée de la sorte ? ” Nadira donc laissa la prise, en entendant la réponse qui ressemblait presque à un reproche.
“ J’appartenais à ibn Meklāti, déjà seigneur de Catane, avec lequel j’étais mariée, mais Mohammed lui prit la vie et lui vola sa femme.
Et comme ci l’infamie d’être mariée au meurtrier de mon premier mari ne suffisait pas, Mohammed voulu m’offrir ce cadeau de me tailler les poignets avec l’objectif de m’épuiser. En plus, vous savez comment mon frère a été fait esclave de Qā’id de ses propres mains…. Pour cela Mohammed ne manquait pas de me rappeler mon état de plèbe. ”
“ Tu appartiens encore au Qā’id de Catane, ma Dame ? ” demanda Ghadda.
“ Il me demanda de le pardonner quand il eut cuvé son vin du soir précédent…. Vu que Mohammed fait partie de ceux qui boivent et se donnent aux excès pour ensuite se plaindre et se repentir le jour suivant. Moi, je lui demandai dans tous les cas de pouvoir me rendre chez mon frère et il me le permis… mais si le jeune domestique ne m’avait pas sauvée, aujourd’hui je ne serais pas ici à bavarder avec vous, mes chères sœurs. ”
“ Ne crains tu pas en retournant vers lui ? ”
“ Non, je ne retournerais pas, j’ai la certitude de ne plus revoir mes enfants… mais je ne retournerais pas ! ”
“ Sois courageuse ! ” s’exclama Ghadda.
“ Je ne suis pas courageuse, je suis seulement la sœur du Qā’id de Qasr Yanna. Si j’avais été une des femmes de ce village, je serais sûrement re-tournée comme une brave femme. ”
“ Et ton frère ne te renverra pas ? ” intervint Jala, surprise par le fait que Maimuna espérait que son frère puisse l’appuyer dans ce comporte-ment qu’il lui semblait indécent.
“ Ali me la juré. ”
Il y eut un moment de silence, comme si l’air était chargé de préoccupations pour le geste de la femme.
“ Nadira, ma sœur, ton frère a raison de ne t’accorder à personne. Tu as vu mes poignets ? Tu as vu ce que l’on risque quand on finit dans les bras de celui qui n’est pas l’homme juste ? Et puis, tu mérites beaucoup…. beaucoup plus de ce qui pourrait t’arriver en restant au Rabaḍ. Les hommes communs ne te méritent pas, ma fille. ”
“ Qui pourrait s’intéresser à une fille du peuple ? ”
“ Même un illustre Qā’id!” répliqua d’une rapidité inattendue Maimuna, comme si elle attendait depuis le début de pouvoir donner cette réponse.
Nadira rit modestement, et dit :
“ Il n’y a plus beaucoup de qā’id importants en Sicile, à l’exception de ton mari, ton frère et… ”
Elle n’avait pas encore terminé de parler qu’elle pris étrangement conscience : Maimuna était là pour elle au nom de son frère. Elle éprouva une telle anxiété, peur et une tension telle qu’elle ne parvint plus à parler.
“ Nadira, ma chérie, qu’est-ce qui te trouble ? ” lui demanda Maimuna, en lui caressant la joue.
Jala, au contraire, ayant compris avant sa fille à quoi elle faisait allusion, était hors d’elle.
“ Nadira, on dirait que les compliments de Maimuna te dérangent. ” reprocha la mère.
“ Pourquoi es-tu là ? ” demanda au contraire la jeune fille, en déglutissant.
“ Pour comprendre si ce qui se dit sur Nadira du Rabaḍ est vrai. Cela te dérange ? ”
“ Non ! ” répondit la jeune fille, en laissant apparaître un sourire nerveux.
Maimuna et son frère, s’étaient accordés, si le jugement de la jeune fille avait été positif, cette dernière aurait dû servir la nourriture aux hommes dans l’autre pièce, et surtout au Qā’id, de ses mains propres.
“ Tu penses que le Qā’id de Qasr Yanna vient au Rabaḍ sans motif ? Nadira, Ali serait immensément heureux si tu le servais personnellement ” Non sans quelques réticences ou parce qu’elle n’était pas d’accord avec la proposition, mais pour l’importance du geste, Nadira se couvrit le vi-sage, pris des mains d’une domestique des pâtisseries à base de moutarde mélangée au miel et les porta dans la pièce où les hommes discutaient.
Le Qā’id interrompit son discours dès qu’il vit Nadira avancer vers lui ; c’était le signal, la jeune fille avait passé brillamment le test de Maimuna.
Umar resta perplexe, toutefois il compris immédiatement la raison inhérente à la vue de son seigneur.
Quand Nadira s’agenouilla près du Qā’id et poussa de sa main la nour-riture vers sa bouche, l’autre lui bloqua délicatement le poignet – si fort qu’elle craint avoir fait une erreur – il la fixa intensément les yeux grands ouverts et commença à réciter :
“ Connais-tu les sources d’eau vive et pure de la couleur du saphir ?
Où l’on peut voir sa propre âme réfléchir.
Où les hérons se désaltèrent et les jeunes filles découvrent leurs cheveux.
Connais-tu, oh ma Grande, les frontières de ton règne ?
Connais-tu cette mer bouleversante de merveilles ?
Si profonde et riche de poissons aux nageoires en écailles.
Si turquoise et bleue et azure, où les filets se rassemblent.
Connais-tu, oh favori du Suprême, les frontières de la Sicile ?
Connais-tu ce ciel d’une incomparable beauté et innocence ?
D’où ruissellent les pluies de la saison des figues primitives et des melons.
Grâce auquel se rafraîchissent les hibiscus, les fleurs d’orangers et les roses.
Connais-tu, oh mon Seigneur, le ciel de Nadira, les frontières de ses yeux ? ”
Deux larmes allèrent se cacher derrière le voile du niqab 23 23 Niqab : voile qui couvre entièrement le corps et le visage de la femme, ne laissant que les yeux découverts.
et descendirent sur le visage de Nadira. Elle ne parvenait pas à s’expliquer com-ment il était possible que la gloire de ses yeux dépassait les frontières du Rabaḍ et était même arrivée aux oreilles du Qā’id.
“ As-tu déjà entendu ces paroles, ma chère ? ” demanda Ali, même s’il savait déjà que la réponse aurait été négative.
“ Non, mon Seigneur. Mais Nadira à qui tu les as dédiées doit avoir de la chance. ”
Le Qā’id sourit, en étant positivement frappé per la modestie de la jeune fille.
“ Cet été j’ai accordé audience à un poète itinérant qui cherchait une cour, un nommé Mus’ab, il m’offrit durant deux mois ses dons de poète. Un jour il m’exalta les louanges d’une fleur d’une telle beauté que je finis par le supplier afin qu’il me dise de qui il s’agissait. Cette fleur avait un nom : Nadira ; elle habitait au Rabaḍ et était la sœur du ‘āmil. Les verts que j’ai récité, ma chère, je les ai uniquement appris par cœur…. la ré-compense pour le génie est seulement pour le poète Mus’ab, mais la ré-compense pour la beauté de ces paroles est pour toi. Toutefois, si j’avais vu tes yeux avant d’entendre ces paroles, j’aurais peut-être puni Mus’ab pour sa présomption à vouloir décrire l’indescriptible. Allah a fait de toi une femme inégalable et inexplicable, ma chère ! J’ai attendu un mois, toute la durée du Ramadan 24 24 Ramadan : neuvième mois du calendrier islamique et un des quatre moments sacrés de l’an-née. Selon la règle islamique durant ce mois le jeûne et l’abstinence doivent être respectés du le-ver au coucher du soleil. Il rappelle la période où l’Ange Gabriel aurait révélé le Coran au Prophète Mahomet. Les mois du calendrier islamique étant lunaires, il n’a pas de position fixe dans le calendrier grégorien.
, avant de pouvoir connaître ” le ciel de Nadi-ra, la frontière de ses yeux ”, même si maintenant je me rends compte que cette frontière n’existe pas. ”
Читать дальше