Жюльетта Бенцони - Suite italienne

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— Or çà, ma mie, fit-il avec un grand sourire, je viens vers vous en ambassadeur extraordinaire. Le vice-roi m’envoie mettre quelques grains de sagesse dans votre tête folle.

— Son Altesse est bien bonne, répondit Maria en riant, mais je me porte à merveille.

— Vous m’en voyez charmé, ma chère nièce, mais il se pourrait que cette belle mine qui vous va si bien et cet air de bonheur qui vous fait encore plus jolie ne durent pas aussi longtemps que vous le voudriez.

En dépit du beau soleil qui réchauffait la pièce, Maria ne put retenir un frisson. Sous les paroles aimables de son jeune oncle, elle avait senti poindre une menace.

— Que voulez-vous dire ?

— Que don Gesualdo est un imbécile, ce dont personne ici ne saurait douter, mais qu’il ne l’est pas au point que vous imaginez. Il n’est bruit, dans Naples, que de vos amours avec le comte d’Andria… et si ce bruit venait aux grandes oreilles de votre époux…

— Pourquoi voulez-vous qu’il sache ? Je prends toutes les précautions possibles et je me garde bien.

— On ne se garde jamais assez. Je sais que les époux sont en général les derniers informés, mais songez, Maria, que si votre époux, qui est vindicatif et cruel, apprenait son infortune, ni moi, ni votre père, ni même le vice-roi ne pourrions rien pour vous. Vous êtes sa femme et il a sur vous tous les droits.

Le ton sérieux d’Alfonso impressionnait Maria, mais quand il ajouta :

— Ne pourriez-vous… rompre ?

— Jamais ! s’écria-t-elle. J’aime Filippo, il m’aime, et rien ni personne ne pourra nous séparer. Sans lui, je n’ai plus de raisons de vivre.

— Tâchez qu’il ne vous donne pas de raisons de mourir. Soyez prudente, Maria, je vous en conjure.

— Je le serai, je vous promets. D’ailleurs, Filippo ne vient ici que lorsque don Gesualdo est à la chasse. Et vous savez que même le siège de Naples ne saurait détourner le prince de Venosa quand il traque le gibier. Je n’ai donc rien à craindre.

— Dieu vous entende, soupira Alfonso. Quant à moi, j’ai transmis le message. Votre tante Vittoria se soucie de vous et serait au désespoir qu’il vous arrivât malheur.

— Dites à ma belle tante que je l’aime… et que je me garderai.

Mais le soir même, dans les bras de Filippo, Maria oublia toutes ses belles résolutions de prudence. Gesualdo était parti chasser sur le Vésuve et la vie est si belle quand on s’aime ! À dix-sept ans, le danger paraît toujours illusoire.

Un mois plus tard, quand les lourdes chaleurs de l’été se firent plus supportables, don Gesualdo décida d’aller chasser dans ses terres romaines.

— Venez-vous avec moi ? demanda-t-il à sa femme.

— Souhaiteriez-vous ma présence ? s’étonna la jeune femme. Vous n’aimez guère m’emmener quand vous allez à Rome, cependant.

— En effet. Je crains pour vous la fatigue du voyage, mais si par hasard, cela vous tentait…

— Oh non, fit Maria en riant. Je n’y tiens vraiment pas. Il fait encore trop chaud et il y a trop de poussière sur les grands chemins.

— Restez donc, fît le prince en haussant les épaules. Je suis certain que vous saurez m’attendre sans impatience.

L’étrange tournure de cette phrase ne frappa pas Maria. La jeune femme n’avait qu’une hâte : voir son époux tourner les talons pour expédier Felicia chez Filippo. Quand don Gesualdo s’en allait à Rome, les deux amants avaient de longues journées et de belles nuits devant eux.

Le prince de Venosa et ses hommes n’avaient pas encore franchi les portes de Naples que la vieille nourrice galopait déjà sur le chemin du palais d’Andria. Une heure après, le jeune homme arrivait chez son amie.

La nuit de septembre était belle et douce. Dans la chambre de Maria, ouverte sur les parfums du jardin, aucun bruit ne se faisait entendre. La veilleuse d’huile parfumée, dans sa lampe dorée, éclairait le lit en désordre sur lequel reposaient les deux amants, épuisés de bonheur. Sur une petite table, des fruits, des flacons n’avaient pas été touchés… Au-dehors, sur la branche d’un grand pin, un rossignol chantait… Alentour, Naples dormait en attendant que le soleil lui rendît sa vie exubérante.

Nul n’entendit ouvrir une porte qui donnait directement sur le jardin. Nul ne vit une troupe de dix hommes, armés jusqu’aux dents et masqués, s’y glisser. Sur le sable des allées, les hommes ne faisaient aucun bruit. On eût dit un cortège d’ombres qui volaient, d’un massif à une statue… Ils atteignirent le palais. Aucun grincement de porte ne signala leur entrée.

Mais quelques instants plus tard, un cri rauque, vite éteint, éveilla Maria en sursaut. Elle se dressa sur son séant, secoua Filippo :

— Écoute !

Un gémissement, maintenant, puis la lourde chute d’un corps. Des bruits de pas… Le faible cri d’une voix expirante :

— Maria… Ma…

— C’est Felicia, s’écria la jeune femme… Mon Dieu !

Déjà Filippo sautait à bas du lit mais en même temps, la porte s’envolait plus qu’elle ne s’ouvrait et Don Gesualdo, à la tête de ses hommes, fonçait dans la chambre, l’épée à la main. Maria poussa un hurlement.

— Fuis, fuis, Filippo…

— Trop tard ! grogna le mari offensé. Il ne fuira plus jamais.

Sans permettre au jeune homme d’atteindre sa propre épée, il bondit sur le couple, l’épée haute. Un dernier réflexe d’amour jeta Filippo devant Maria pour lui faire un rempart de son corps. Mais déjà la dague du mari s’enfonçait dans la gorge de l’amant qui roula sur les marches du lit dans un flot de sang. Cette vue ne calma pas la fureur de don Gesualdo qui porta encore au cadavre trois coups d’épée.

— Et d’un, fit-il. À l’autre…

Son œil flambant de fureur cherchait maintenant la jeune femme. Il l’aperçut bientôt, à demi dissimulée dans les rideaux du lit auxquels elle s’accrochait désespérément. Lentement, avec un mauvais sourire, il marcha vers elle.

— Sois tranquille, garce, tu vas aller le rejoindre ton beau freluquet.

D’une brusque secousse, il arracha le rideau, jetant du même coup la jeune femme complètement nue au milieu de la chambre. Par les trous de leurs masques, les yeux des assassins brillaient comme des charbons… La malheureuse, éperdue, voulut fuir mais l’antichambre était barrée. Par la porte entrouverte elle aperçut le cadavre de Felicia, poignardée elle aussi, chercha refuge contre un mur où elle se plaqua.

— Tu as peur, hein ? grinça le prince. La mort te plaît moins que les bras de ton amant.

Il ajouta une injure ignoble puis, rapidement, de la pointe de son épée traça sur le ventre de Maria une croix sanglante. La jeune femme gémit de douleur.

— Par pitié… tuez-moi vite…

— Pourquoi, ironisa Gesualdo. Je ne suis pas pressé. Holà, vous autres, voyez donc la belle allure d’une épouse adultère.

— Tuez-moi, vous dis-je ! cria la jeune femme, vous voyez bien que votre vue me fait horreur.

Si elle avait espéré forcer sa colère à lui porter le coup fatal, Maria avait bien calculé. Avec un cri de rage, le prince bondit sur elle. L’épée jeta un éclair sinistre dans la lueur de la veilleuse puis s’enfonça tout entière dans le ventre déjà blessé.

— Jésus ! cria la jeune femme en s’écroulant aux pieds de son meurtrier.

Mais comme tout à l’heure pour Filippo, la fureur de Gesualdo n’était pas calmée par ce simple coup d’épée. Il en porta encore deux autres au corps étendu, abrégeant ainsi une agonie qui eût pu être longue. Le troisième coup atteignit le cœur et Maria roula auprès de Filippo, une mousse sanglante aux lèvres, les yeux grands ouverts sur l’éternité.

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