Жюльетта Бенцони - Suite italienne

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Quand on était à Venosa, Maria sentait le désespoir s’emparer d’elle. Elle n’avait d’autre distraction que regarder l’immense paysage ou se rendre à l’abbaye de la Trinité pour entendre les offices. Le fait que le poète Horace eût vu le jour à Venosa lui était tout à fait indifférent, alors qu’il transportait d’admiration sa tante, la vice-reine Vittoria, éprise de poésie.

À Naples, évidemment, la vie de cour lui permettait quelques distractions mais assez peu et presque toutes d’origine religieuse. L’étiquette sévère de la cour espagnole et les longs bras de l’Inquisition y entretenaient une atmosphère assez peu réjouissante. Et Maria trouvait sa vie si dépourvue de joie qu’elle en était venue à accompagner de temps en temps son époux à la chasse. Du moins, au milieu des bois, n’était-on pas contraint à d’interminables prières et était-il possible d’échanger parfois quelques mots avec des hommes plus jeunes que son époux.

C’est à l’une de ces chasses que la jolie princesse devait rencontrer son destin.

Il avait vingt-cinq ans, il se nommait Filippo, comte d’Andria, et ses terres des Pouilles n’étaient pas très éloignées de celles de Venosa. Invité par ce dernier, il vint participer à une chasse au loup… et tomba amoureux de Maria dès le premier coup d’œil. Ce soir-là, après avoir suivi la chasse toute la journée, la jeune femme, vêtue de satin rose, faisait les honneurs du sévère château. Dans les hautes salles dont les murs de pierre s’habillaient d’antiques tapisseries, sa silhouette fine et claire évoquait une fleur et le jeune comte ne résista pas à tant de grâce. Quand vint le moment de se quitter, il laissa ses lèvres se poser plus longtemps qu’il n’aurait fallu sur la main qu’on lui tendait.

— J’ai regret, Madame, de devoir repartir dès demain.

— Quoi ? si tôt ? Ne deviez-vous pas demeurer encore quelque temps parmi nous ?

— J’aurais dû, en effet, mais mon seigneur le vice-roi me rappelle et je dois regagner Naples au plus tôt. Cependant, peut-être y viendrez-vous bientôt. Les fêtes de la victoire…

En effet, quinze jours plus tôt, l’empereur Charles-Quint avait battu à Pavie le roi de France, François Ier. Le roi-chevalier était prisonnier de son ennemi. C’étaient là des nouvelles que le vice-roi de Naples, qui avait pris une part vigoureuse à la bataille, se devait de fêter convenablement. Maria n’eut guère de peine à faire comprendre à son époux que l’on devrait regagner Naples. N’ayant pas pris part à la bataille, il entendait qu’on le vît à la cour féliciter Avalos…

Les fêtes du vice-roi, qui pourtant rompaient agréablement la monotonie de la vie, passèrent presque inaperçues de Maria. Elle était bien trop prise par la merveilleuse aventure qui lui arrivait : elle aimait et elle était aimée. Le doute n’était plus possible.

Désormais, chaque matin, quand elle se rendait à l’église pour entendre la messe, suivie de Felicia, une ombre vêtue d’un grand manteau s’embusquait derrière un pilier et cette ombre, c’était le beau Filippo. Jamais Maria n’avait suivi le service divin avec autant de distraction. Sous son voile, elle tournait continuellement les yeux vers le bienheureux pilier… On échangeait quelques mots à la sortie, quand l’eau bénite permettait aux doigts tremblants de se joindre et Filippo employait ces brefs instants de façon fort éloquente. Il implorait, il suppliait Maria de lui accorder une entrevue dans un lieu un peu moins public, mais la jeune femme n’osait pas lui dire de venir chez elle. Son mari ne l’aimait pas, mais cela ne l’empêchait pas d’être jaloux… S’il allait se douter qu’elle aimait ailleurs ?…

Filippo changea alors de tactique et s’arrangea pour rencontrer Felicia. La vieille nourrice n’avait aucun scrupule concernant don Gesualdo. Tout ce qu’elle voulait, c’était que Maria fût heureuse et nul ne lui semblait remplir les conditions requises pour assurer ce bonheur plus que le jeune comte. Un matin, elle vint seule à l’église. Filippo, quittant aussitôt son coin, vint s’agenouiller près d’elle.

— Elle est malade ?

— Légèrement souffrante. Des vapeurs… rien, autant dire. J’ai voulu venir seule.

— Qu’avez-vous à me dire ?

— Que le seigneur don Gesualdo part tout à l’heure pour aller chasser dans ses terres des monts Albains… et qu’il y a au palais une petite porte de côté dont j’ai la clef dans mon aumônière.

Le cœur de Filippo s’arrêta de battre, mais ses yeux brillèrent dans l’ombre fraîche du sanctuaire.

— Est-ce que… dona Maria n’accompagne point son époux ?

— Je vous ai dit qu’elle était souffrante, fit la nourrice avec un sourire. Le voyage ne lui vaudrait rien. Et puis, quand il s’en va dans ses domaines romains, monseigneur n’aime guère l’emmener. Que pensez-vous de tout ce que je viens de vous dire ?

— Que cette nuit, quand l’ombre sera totale, j’irai ouvrir cette petite porte… où vous m’attendrez.

La nuit venue, en effet, Filippo d’Andria se glissa dans le palais Venosa. Felicia l’attendait derrière la petite porte et, vivement, le fit monter jusqu’à la chambre où Maria, le cœur battant, l’attendait. Quand elle eut introduit le jeune homme, la vieille nourrice referma soigneusement la porte derrière lui et alla s’installer sur un banc, dans l’antichambre, pour égrener plus commodément son chapelet.

Lorsque, peu avant l’aube, Filippo quitta le palais, il laissait derrière lui une jeune femme aussi transportée de bonheur qu’il l’était lui-même. Durant toute cette nuit, Maria avait découvert que l’amour et les pénibles expériences vécues aux mains de son époux n’avaient absolument rien de commun.

Dès lors, chaque fois que don Gesualdo partait pour la chasse, ce qui lui arrivait toujours aussi fréquemment, Felicia courait prévenir le jeune comte et les deux amants passaient l’un auprès de l’autre des heures fort douces dont ni l’un ni l’autre ne se lassait. Jamais Filippo n’avait aimé comme il aimait Maria. Pour la jeune femme, c’était une passion folle qu’elle éprouvait. Quand le mari s’absentait pour plusieurs jours, et ce n’était pas rare tant était grande son ardeur cynégétique, les deux jeunes gens demeuraient jours et nuits enfermés ensemble, tandis que Felicia faisait le guet. Ces jours-là, pour la valetaille du palais, Maria était réputée souffrante et nul ne devait s’aventurer aux alentours de la chambre où elle reposait. C’était Felicia et Felicia seule qui s’occupait d’elle, lui montait ses repas et lui donnait les soins que nécessitait « son état ».

Cela dura six mois. Six mois de bonheur absolu, de passion folle, au cours desquels les deux amants ne respirèrent que l’un par l’autre. Mais Naples, comme toutes les autres villes du monde, était peuplée d’yeux qui savaient voir et de langues agiles. Bientôt, don Gesualdo fut à peu près le seul dans la vice-royauté à ignorer son infortune. Quand il partait à la chasse, les voisins souriaient. On chuchotait que, du chasseur ou du gibier, nul ne savait lequel était le mieux encorné. On chuchotait même tellement, qu’un matin, la princesse reçut la visite de son jeune oncle, Alfonso d’Avalos, marquis del Vasto. C’était un fort beau jeune homme, fort élégant, et l’arbitre incontesté des élégances napolitaines. Maria l’aimait beaucoup et Alfonso le lui rendait bien.

Il commença par l’embrasser à plusieurs reprises, lui fit compliment de sa mine et de sa toilette, puis s’installa dans un vaste fauteuil couvert de tapisserie, en prenant bien soin de ne pas froisser son merveilleux pourpoint de soie feuille morte brodée d’or.

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