Жюльетта Бенцони - Suite italienne
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Sautant à cheval avec une petite escorte, il gagna Rome et fit irruption plutôt qu’il ne se présenta devant Alexandre VI.
Stupéfait, celui-ci s’entendit signifier d’une voix impérieuse l’ordre de remettre en liberté immédiate la comtesse de Forli, prisonnière du roi de France et indûment détenue par l’Église. Le pape n’eut même pas la possibilité de discuter.
— Au cas où Votre Sainteté n’accepterait pas, ajouta le capitaine, qu’elle sache bien que mes troupes se trouvent actuellement à Viterbe et qu’avant une semaine, si j’en donne l’ordre, mes canons seront braqués sur Rome !
Peu désireux de s’attirer une aussi mauvaise affaire, le pape accorda la libération de la captive, qu’Yves d’Allègre alla lui-même chercher dans sa prison. Mais ce fut une femme aux cheveux blancs, complètement épuisée, qu’il ramena à la lumière du jour. Alors, lui qui avait rêvé de la ramener en France, il écouta sa prière et la fit conduire auprès de ses enfants, à Florence.
Elle y vécut huit années encore, dans la belle villa di Castello, se consacrant tout entière à l’éducation du petit Jean, son dernier fils qu’elle aimait plus que les autres parce qu’elle se reconnaissait en lui, jusqu’à ce 28 mai 1509 où s’éteignit enfin, pour entrer dans la légende, celle qui avait été la glorieuse dame de Forli.
Carafa (NAPLES)
Le drame de Soriano
Au soir du 1er janvier 1559, Rome apprit une nouvelle incroyable : le pape Paul IV exilait ses trois neveux, ses favoris, ceux qui avaient pu jusque-là mettre la ville en coupe réglée sans craindre la moindre représaille. Tout d’abord, personne ne voulut croire à l’événement, mais il fallut bien se rendre à l’évidence : trois jours plus tard, les trois frères : Juan Carafa, duc de Soriano et de Palliano, Carlos, cardinal Carafa, légat de Bologne et chef du Sacré Collège, et Antonio, marquis de Montebello, quittaient Rome avec armes et bagages pour se retirer dans leurs terres.
Que s’était-il donc passé ? Comment ces hommes, hier tout-puissants, en étaient-ils venus là ? En vérité, il avait fallu peu de chose : un souper, une bagarre, une courtisane et enfin, le rapport d’un moine franciscain, Fra Bartolomeo, confesseur du Saint-Père.
Ces Carafa avaient apporté de Naples, leur pays d’origine, un sang bouillant, fortement mâtiné d’espagnol, et qui les portait aux pires excès. Mais le Saint-Père, dont la vie austère et les mœurs rigides n’étaient un secret pour personne, ne pouvait même concevoir que des hommes de sa famille pussent avoir une conduite différente de la sienne. Aussi sa surprise n’avait-elle eu d’égal que son chagrin, lorsque le père Bartolomeo, son confesseur, lui avait appris la scène du palais Lanfranchi.
Quelques jours plus tôt, le secrétaire du duc de Soriano, Lanfranchi, avait donné un grand festin où étaient conviés les principaux seigneurs de Rome, et les plus belles courtisanes.
C’est à cause de l’une d’elles, la Martuccia, qu’une violente querelle avait éclaté entre le cardinal Carlos et l’un des officiers de son frère le duc. On avait vu le prélat, en habit séculier, mettre l’épée à la main pour arracher la fille au jeune homme, un certain Marcello Capecci, Napolitain lui aussi et de sang non moins bouillant que l’impétueux cardinal. On avait pu séparer les furieux, mais le scandale avait été énorme en dépit des efforts du duc de Soriano pour l’étouffer.
En effet, cruel et violent, mais tenant particulièrement à la dignité de son entourage, le duc avait fait arrêter Lanfranchi et Capecci, mais avait dû les relâcher à cause du bruit énorme que cela faisait au palais de son frère. Un bruit tel qu’il était parvenu jusqu’aux oreilles de Fra Bartolomeo.
— Très Saint-Père, dit celui-ci à Paul IV, la mesure est comble. Si Votre Sainteté n’agit pas contre ses neveux, on dira dans toute l’Europe qu’elle leur montre vraiment trop d’indulgence. Passe encore pour les soupers, les chasses, le luxe écrasant, mais qu’un cardinal se batte pour une courtisane, cela ne se peut concevoir !
— Je ne le sais que trop, mon frère ! Et si je n’ai pas sévi sur l’heure c’est parce qu’il m’en coûte de frapper ceux qui, jusqu’ici, avaient toute mon affection. Mais vous avez raison : il faut un exemple.
Voilà pourquoi, trois jours plus tard, le duc, sa femme et sa maison prenaient le chemin du vieux château de Soriano, tandis que le marquis Antonio, qui n’était cependant pour rien dans l’affaire, regagnait Montebello, et que le principal coupable s’en allait réfléchir à Civita Lavinia, au milieu d’insalubres marais. Ce jour-là, le Saint-Père demeura toute la journée en prière dans la chapelle Sixtine, implorant Dieu de vouloir bien pardonner à sa famille coupable et à lui-même dont la trop grande indulgence avait permis ces excès.
— Faites-vous oublier, leur avait-il recommandé en les quittant. Malheureusement, les événements à venir allaient dépasser de beaucoup ses craintes et noyer sa famille dans un bain de sang.
L’antique forteresse de Soriano, bâtie au XIIe siècle par les Orsini, n’avait rien de réjouissant, et lorsqu’elle laissait errer son regard sur le morne paysage d’alentour, la duchesse Violante ne pouvait se retenir de soupirer. Qu’ils étaient loin son beau palais romain, l’élégance de sa chambre, le faste de ses réceptions ! Ici, elle n’avait trouvé que des murs nus, des cheminées qui tiraient mal, des courants d’air et de grossiers paysans. Mais elle avait trop d’orgueil pour se plaindre. Née Violante de Cardona, antique famille espagnole qui avait donné à Naples plus d’un vice-roi, elle était cuirassée par le sentiment de son rang. C’était cet orgueil de caste qui l’avait toujours empêchée de succomber aux nombreuses prières d’amour que faisait naître sa beauté. Une duchesse de Soriano ne pouvait déchoir jusqu’à prendre un amant.
— Pourtant, Madame, disait sa confidente, Diana, votre vie est si sombre, si sévère. Le duc vous trompe et vous lui demeurez immuablement fidèle. N’avez-vous donc point de cœur ? Un cœur a besoin d’aimer.
— Le sentiment de l’honneur me tient lieu d’amour, Diana, répliquait Violante en fronçant ses épais sourcils noirs. Et je n’aime pas que tu entames ce sujet. Qu’ai-je à faire de l’amour ?
— Ce que toute femme en fait, Madame.
— C’est donc que je ne suis pas une femme, concluait la duchesse avec un rire un tout petit peu trop nerveux.
— J’en sais pourtant qui meurent d’amour pour vous sans oser le dire.
— Et tu meurs d’envie de me dire qui. Non, ma chère, je ne veux rien entendre. Ceux qui osent lever les yeux sur moi sont des impudents et des présomptueux.
Diana finissait par se taire, mais n’en pensait pas moins. Pour elle, la duchesse jouait un personnage qu’elle ne pourrait assumer toute sa vie. Elle-même, Diana Brancaccio, après avoir connu nombre d’aventures, brûlait d’une dévorante passion pour le beau Domitiano Fornari, écuyer du marquis de Montebello. Or le mariage qu’elle espérait était impossible, Fornari étant de trop basse naissance pour elle. Antonio Carafa, dont elle était cousine, ne voulait pas entendre parler d’une union avec son écuyer pour une femme de sa famille. Et Diana se désespérait, ne voyant aucun moyen de forcer d’aussi puissantes volontés, quand un soir, elle surprit un entretien qui lui donna beaucoup à penser…
Ce soir-là, la duchesse Violante fit appeler Marcello Capecci, ce gentilhomme napolitain qui avait provoqué malgré lui l’exil de la famille, sans autre but d’ailleurs que de lui donner un ordre très banal.
Il était bien rare que la duchesse se trouvât seule avec l’un de ses serviteurs. Il y avait toujours autour d’elle force dames, demoiselles et seigneurs. Mais dans cet exil de Soriano, le service était forcément restreint. Ceux qui n’ont en vue que leur propre fortune en s’attachant à un prince ne se soucient guère de le suivre dans la disgrâce… Toujours est-il que Violante était seule quand le gentilhomme se présenta chez elle.
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