En descendant l’escalier à pas comptés, la jeune fille s’intégra sans même en avoir conscience à la joie générale et quand Thomas apparut enfin à l’entrée entre son père et sa tante accrochée à son bras, ce fut sans hésitation qu’elle alla à sa rencontre les deux mains tendues.
— Enfin vous voilà ! dit-elle gaiement. Vous n’imaginez pas comme je suis heureuse de vous voir !
Il s’inclina pour prendre les mains offertes qu’il baisa l’une après l’autre sous l’œil ravi de la famille. Son regard bleu étincelait de joie :
— Et moi donc ! Être accueilli par ce beau sourire dans cette maison dont je sais qu’elle vous a adoptée est un vrai bonheur !
— Plus tard les bavardages ! Brama le baron qui reniflait une larme discrète. Va te changer ! Tu sens la sueur et l’écurie ! On passera à table ensuite !
— Ce que vous pouvez être agaçant, Hubert ! Morigéna sa sœur. Laissez-leur le temps de se dire bonjour !
— Je croyais que c’était déjà fait ? De surcroît, il ne va pas repartir tout de suite ! Tu nous restes un moment, mon garçon ?
— Deux jours, père.
— Pas plus ?
— Malheureusement non ! Encore en suis-je redevable à Monsieur de Sainte-Foy ! Le Roi bouge beaucoup en ce moment. Les chevau-légers aussi !
— Il a vraiment besoin d’un régiment pour courir sur les traces de sa belle ?
— Tout de même pas ! fit Thomas en riant, mais nous sommes quotidiennement en manœuvre au cas où...
— Où nous aurions la guerre. Tu le penses, toi ?
— A mon tour de dire : plus tard les bavardages ! Intervint Clarisse. Ce garçon a besoin de se rafraîchir et nous avons faim ! Assena-t-elle en passant son bras sous celui de Lorenza.
Ces deux jours défilèrent comme dans un rêve et Lorenza en goûta chaque instant. Le château n’engendrait guère la mélancolie en temps normal mais, avec Thomas, tout semblait s’épanouir et l’on n’y rencontrait que des visages souriants. Comment ne pas être à l’unisson ? A son égard, il était d’un naturel parfait, comme si elle avait appartenu à la famille depuis sa naissance. Il ne cherchait pas à s’isoler avec elle. Pas davantage à lui faire la cour. Et s’ils firent ensemble une promenade à cheval, ce fut au galop, une course née d’un défi qu’il eut la galanterie de lui laisser gagner. Ce qu’elle lui reprocha vertement.
En vérité, elle se sentait bien auprès de lui et, retirée aux heures de sommeil, elle s’interrogeait sur ce qu’elle éprouverait lors de son départ. Du regret sans aucun doute ! Alors pourquoi ne pas lui confier sa vie à demi brisée ? Pourquoi ne pas s’intégrer définitivement à cette famille qui lui avait ouvert les bras et où elle se plaisait tant... et plus encore quand elle était auprès de lui ?
L’envie de retourner à Florence l’avait quittée. Pour y trouver quoi ? Même le jardin des Murate avait perdu de son charme étouffé sous les roses que le baron Hubert faisait foisonner un peu partout. Il en était fou et ne cessait de rechercher de nouvelles espèces, se livrant à une alchimie compliquée pour laquelle, peu à peu, elle-même se passionnait. Pourquoi, enfin, ne pas rendre une part de la joie de vivre qu’on lui avait restituée ? Et la rendre pleinement : avec son cœur et avec son corps ! Elle ne marchanderait pas sachant que la venue d’un enfant les comblerait tous de bonheur ! Ce serait sans erreur possible la meilleure façon d’effacer le douloureux souvenir qu’elle portait en elle.
Aussi, le soir précédant le départ du jeune homme, elle lui proposa de faire quelques pas le long de l’étang. La nuit était tiède, constellée d’étoiles, romantique à souhait. Ils marchèrent plusieurs minutes côte à côte sans se parler. Thomas partait à l’aube. Il ne fallait pas gâcher cet instant mais les circonlocutions n’étaient pas dans la nature de Lorenza. C’est pourquoi elle dit sans préambule :
— Souhaitez-vous toujours faire de moi votre femme, Thomas ?
— Vous n’avez pas changé ? Alors moi non plus ! répondit-il d’une voix calme mais que l’émotion enrouait.
Ils s’étaient immobilisés l’un en face de l’autre et se turent. Ils se regardèrent un instant sans rien dire comme s’ils hésitaient au bord des mots mais, cette fois, ce fut lui qui rompit le silence :
— Je vous aime plus que jamais ! murmura-t-il. Assez pour respecter...
— Non, l’interrompit-elle en lui posant un doigt sur la bouche. Ce serait avilissant pour tous les deux. Au soir du mariage, je serai à vous tout entière, sans arrière-pensée, sans regret et, je crois, avec bonheur !
— Lorenza !... En vérité ?
— Prenez-moi dans vos bras, Thomas, serrez-les très fort... et ne les ouvrez plus jamais !
— Tant que je vivrai, Lorenza ! Tant que je...
Leur premier baiser étouffa le dernier mot...
Ce fut la veille du mariage que la lettre arriva portée par un messager à cheval qui la lança à un valet avant de repartir. Elle était adressée à donna Lorenza Davanzati et ne contenait que deux courtes phrases ainsi qu’un dessin reproduisant minutieusement la dague au lys rouge :
« Si tu l’épouses, il mourra comme les autres ! Tu seras à moi ou à personne ! »
Frappée au cœur mais sans un cri, elle s’écroula...
Saint-Mandé, janvier 2010
[1] Les Emmurés
[2] Le palais porte toujours le nom de son constructeur mort en exil en 1445, bien que celui-ci n’ait réalisé que le rez-de-chaussée. Le grand-duc Cosme l’avait achevé en lui adjoignant les jardins Boboli. Une légende tenace disait d’ailleurs que Luca Pitti était enterré dans les fondations et que le palais portait malheur.
[3] Le fonctionnaire chargé de la police.
[4] Quai de l’Arno.
[5]. Paris vaut bien une messe
[6] Santa Maria dei Fiori, la cathédrale de Florence
[7] Le maire, en quelque sorte.
[8] C’est Catherine de Médicis qui avait inventé la selle d’amazone afin de pouvoir montrer ses jambes.
[9] On appelait ainsi le Grand Ecuyer.
[10] Jacques I er, fils de Marie Stuart, dont Elizabeth I refit son successeur à condition qu’il abjure le catholicisme.
[11] En fait c’est au ras du sol, sur le pont de Montereau, qu’il se fit occire. La tour existe toujours.
[12] Quelques années plus tard, en 1628, elle deviendra le théâtre de l’hôtel de Bourgogne, l’un des deux ancêtres de la Comédie- Française, où l’on jouera Racine pour la première fois.
[13] Marguerite de Valois, première épouse d’Henri IV dont le mariage avait été cassé par le pape, était revenue habiter Paris en 1605.
[14] Et pourtant, devenu duc de Chevreuse il épousait, quelque vingt ans plus tard, celle qui en était l’incarnation. Voir du même auteur Marie des intrigues.
[15] Mort en bas âge.
[16] La municipalité de Paris se composait alors du prévôt des marchands et de quatre échevins. Jusqu’ a la Révolution, la capitale a vécu presque continuellement sous un régime d’exception : sans maire.
[17] Il n’en reste que la bibliothèque de l’Arsenal, l’ensemble étant occupé par une partie de la caserne des Célestins et le boulevard Morland.
[18] Philippe Erlanger, L’Etrange Mort d’Henri IV.
[19] Diane de France, fille légitimée d’Henri II et de Filippa Duco, une belle Piémontaise qu’il avait plus ou moins violée !
[20] Rasé par le prince de Condé dans le but d’agrandir son domaine de Chantilly.
[21] Une serre à l’époque.