Donatien Sade - Historiettes, Contes Et Fabliaux

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Historiettes, Contes Et Fabliaux: краткое содержание, описание и аннотация

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Il y a un an que me promenant, comme je viens de vous le dire, avec ma femme de chambre qui se nomme Julie, dans une allée obscure des Tuileries, où je me croyais plus seule que sur la terrasse, et où il me semblait que je respirais un air plus pur, six jeunes étourdis nous abordent, et nous font voir par l’indignité de leurs propos, qu’ils nous prennent l’une et l’autre pour ce qu’on appelle des filles. Horriblement embarrassée d’une telle scène, et ne sachant comment échapper, j’allais chercher mon salut dans la fuite, lorsqu’un jeune homme que j’étais dans l’usage de voir très souvent promener seul à peu près aux mêmes heures que moi, et dont l’extérieur n’annonçait rien que d’honnête, vint à passer comme j’étais dans ce cruel embarras.

– Monsieur, m’écriai-je en l’appelant à moi, je n’ai pas l’honneur d’être connue de vous, mais nous nous rencontrons ici presque tous les matins; ce que vous avez pu voir de moi doit vous avoir convaincu, je me flatte, que je ne suis pas une fille à aventure; je vous demande avec instance de me donner la main pour me ramener chez moi et de me délivrer de ces bandits.

M. de…, vous me permettrez de taire son nom, trop de raisons m’y engagent, accourt aussitôt, il écarte les polissons qui m’entourent, les convainc de leur erreur par l’air de politesse et de respect dont il m’aborde, prend mon bras, et me sort aussitôt du jardin.

– Mademoiselle, me dit-il un peu avant que d’être à notre porte, je crois prudent de vous quitter ici; si je vous conduis jusque chez vous, il faudra en dire le sujet; peut-être naîtra-t-il de là une défense de vous promener seule davantage; cachez donc ce qui vient d’arriver, et continuez de venir comme vous faites dans cette même allée, puisque ça vous amuse et que vos parents vous le permettent. Je ne manquerai pas un seul jour de m’y rendre et vous m’y trouverez toujours prêt à perdre la vie, s’il le faut, pour m’opposer à ce qu’on trouble votre tranquillité.

Une telle précaution, une offre si obligeante, tout cela me fit jeter les yeux sur ce jeune homme, avec un peu plus d’intérêt que je n’avais imaginé de le faire jusqu’alors; le trouvant de deux ou trois ans plus âgé que moi et d’une figure charmante, je rougis en le remerciant, et les traits enflammés de ce dieu séduisant qui fait mon malheur aujourd’hui pénétrèrent jusqu’à mon cœur, avant que j’eusse le temps de m’y opposer. Nous nous séparâmes, mais je crus voir à la manière dont M. de… me quittait, que j’avais fait sur lui la même impression qu’il venait de produire en moi. Je rentrai chez mon père, je me gardai bien de rien dire et revins le lendemain dans la même allée, conduite par un sentiment plus fort que moi, qui m’eût fait braver tous les dangers qui eussent pu s’y rencontrer… que dis-je, qui peut-être me les eût fait désirer, pour avoir le plaisir d’en être délivrée par le même homme… Je vous peins mon âme, monsieur, peut-être avec trop de naïveté, mais vous m’avez promis de l’indulgence et chaque nouveau trait de mon histoire va vous faire voir si j’en ai besoin; ce n’est pas la seule imprudence que vous me verrez faire, ce ne sera pas la seule fois où j’aurai besoin de votre pitié.

M. de… parut dans l’allée six minutes après moi, et m’abordant dès qu’il me vit:

– Oserai-je vous demander, mademoiselle, me dit-il, si l’aventure d’hier n’a fait aucun bruit, et si vous n’en avez éprouvé nulle peine?

Je l’assurai que non, je lui dis que j’avais profité de ses conseils, que je l’en remerciais et que je me flattais que rien ne dérangerait le plaisir que je prenais à venir ainsi respirer le matin.

– Si vous y trouvez quelques charmes, mademoiselle, reprit M. de… avec le ton le plus honnête, ceux qui ont le bonheur de vous y rencontrer en éprouvent de plus vifs sans doute, et si j’ai pris la liberté de vous conseiller hier de ne rien hasarder de ce qui pourrait déranger vos promenades, en vérité vous ne m’en devez point de reconnaissance: j’ose vous assurer, mademoiselle, que j’ai moins travaillé pour vous que pour moi.

Et ses regards, en disant cela, se tournaient vers les miens avec tant d’expression… oh monsieur, fallait-il que ce fût à cet homme si doux que je dusse un jour mes malheurs! Je répondis honnêtement à son propos, la conversation s’engagea, nous fîmes deux tours ensemble et M. de… ne me quitta point sans me conjurer de lui apprendre à qui il était assez heureux pour avoir rendu service la veille; je ne crus pas devoir le lui cacher, il me dit de même qui il était et nous nous séparâmes. Pendant près d’un mois, monsieur, nous n’avons cessé de nous voir ainsi presque tous les jours, et ce mois, comme vous l’imaginez aisément ne se passa point sans que nous ne nous fussions avoué l’un à l’autre les sentiments que nous éprouvions, et sans que nous ne nous fussions juré de les ressentir sans cesse.

Enfin M. de… me supplia de lui permettre de me voir dans un endroit moins gêné qu’un jardin public.

– Je n’ose me présenter chez M. votre père, belle Émilie, me dit-il; n’ayant jamais eu l’honneur de le connaître, il soupçonnerait bientôt le motif qui m’attirerait chez lui, et au lieu que cette démarche dût étayer nos projets, peut-être leur nuirait-elle beaucoup; mais si réellement vous êtes assez bonne, assez compatissante pour ne vouloir pas me laisser mourir du chagrin de ne plus me voir accorder ce que j’ose exiger de vous, je vous indiquerai des moyens.

Je refusai d’abord de les entendre, et fus bientôt assez faible pour les lui demander. Ces moyens, monsieur, étaient de nous voir trois fois la semaine chez une Mme Berceil, marchande de modes rue des Arcis, de la prudence et de l’honnêteté de laquelle M. de… me répondait comme de sa mère même.

– Puisqu’on vous permet de voir Mme votre tante qui demeure, m’avez-vous dit, assez près de là, il faudra faire semblant d’aller chez cette tante, lui faire effectivement de courtes visites, et venir passer le reste du temps que vous lui auriez donné chez la femme que je vous indique; votre tante interrogée répondra qu’elle vous reçoit effectivement au jour où vous aurez dit que vous allez la voir, il ne s’agit donc plus que de mesurer le temps des visites, et c’est ce que vous pouvez être bien sûre qu’on ne s’avisera jamais de faire, dès qu’on a de la confiance en vous.

Je ne vous dirai point, monsieur, tout ce que j’objectai à M. de… pour le détourner de ce projet et pour lui en faire sentir les inconvénients; à quoi servirait-il que je vous fisse part de mes résistances, puisque je finis par succomber? Je promis à M. de… tout ce qu’il voulut, vingt louis qu’il donna à Julie sans que je le susse mirent cette fille entièrement dans ses intérêts, et je ne travaillai plus qu’à ma perte. Pour la rendre encore plus complète, pour m’enivrer plus longtemps et plus à loisir du doux poison qui coulait sur mon cœur, je fis une fausse confidence à ma tante, je lui dis qu’une jeune dame de mes amies (à qui j’avais donné le mot et qui devait répondre en conséquence) voulait bien avoir pour moi la bonté de me conduire trois fois la semaine dans sa loge aux Français, que je n’osais pas en faire part à mon père de peur qu’il ne s’y opposât, mais que je dirais que je venais chez elle, et que je la suppliais de le certifier; après un peu de peine, ma tante ne put résister à mes instances, nous convînmes que Julie viendrait à ma place, et qu’en revenant du spectacle je la prendrais en passant pour rentrer ensemble à la maison. J’embrassai mille fois ma tante: fatal aveuglement des passions, je la remerciais de ce qu’elle se prêtait à ma perte, de ce qu’elle ouvrait la porte aux égarements qui allaient me mettre aux bords du tombeau!

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