Donatien Sade - Historiettes, Contes Et Fabliaux
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Mme de Sernenval ne répondait rien à cela, parce qu’en fait l’argument était sans réponse, mais elle pleurait, ressource commune des femmes faibles, séduites, ou fausses, et son mari n’osait pas pousser plus loin la leçon.
Les choses étaient en cet état lorsqu’un ancien ami de Sernenval, un nommé Desportes, arriva de Nancy pour le voir et conclure en même temps quelques affaires qu’il avait dans la capitale. Desportes était un bon vivant, de l’âge à peu près de son ami et ne haïssait aucun des plaisirs dont la nature bienfaisante a permis à l’homme de faire usage pour oublier les maux dont elle l’accable; il ne résiste point à l’offre que lui fait Sernenval d’un logement chez lui, se réjouit du plaisir de le voir, et s’étonne en même temps de la sévérité de sa femme qui, du moment qu’elle sait cet étranger dans la maison, refuse absolument de paraître et ne descend plus même aux repas. Desportes croit qu’il gêne, il veut se loger ailleurs, Sernenval l’en empêche, et lui avoue enfin tous les ridicules de sa tendre épouse.
– Pardonnons-lui, disait le mari crédule, elle rachète ces torts par tant de vertus qu’elle a obtenu mon indulgence, et j’ose te demander la tienne.
– A la bonne heure, répond Desportes, dès qu’il n’y a rien de personnel pour moi, je lui passe tout, et les défauts de la femme de celui que j’aime ne seront jamais à mes yeux que des qualités respectables.
Sernenval embrasse son ami et l’on ne s’occupe plus que de plaisirs.
Si la stupidité de deux ou trois ganaches qui depuis cinquante ans régissent à Paris la partie des filles publiques et nommément celle d’un fripon espagnol qui gagnait le règne dernier cent mille écus par an à l’espèce d’inquisition dont on va parler, si le plat rigorisme de ces gens-là n’avait pas bêtement imaginé qu’une des plus célèbres manières de mener l’État, un des ressorts les plus sûrs du gouvernement, une des bases enfin de la vertu, était d’ordonner à ces créatures de rendre un compte exact de la partie de leur corps que fête le mieux l’individu qui les courtise, qu’entre un homme qui regarde un téton par exemple, ou un qui considère une chute de reins, il y a décidément la même différence qu’entre un honnête homme et un coquin, et que celui qui est tombé dans l’un ou l’autre de ces cas (c’est suivant la mode) doit nécessairement être le plus grand ennemi de l’État, sans ces méprisables platitudes, dis-je, il est certain que deux louables bourgeois dont l’un a une femme bigote, et dont l’autre est célibataire, pourraient aller passer très légitimement une heure ou deux chez ces demoiselles-là; mais ces absurdes infamies glaçant le plaisir des citoyens, il ne vint pas à l’esprit de Sernenval de faire seulement soupçonner à Desportes ce genre de dissipation. Celui-ci s’en apercevant et ne se doutant pas des motifs, demanda à son ami pourquoi, lui ayant déjà proposé tous les plaisirs de la capitale, il ne lui avait point parlé de celui-là? Sernenval objecte la stupide inquisition, Desportes en plaisante, et nonobstant les listes de m., les rapports de commissaires, les dépositions d’exempts et toutes les autres branches de friponnerie établies par le chef sur cette partie des plaisirs du manant de Lutèce, il dit à son ami qu’il voulait absolument souper avec des catins.
– Écoute, répondit Sernenval, j’y consens, je te servirai même d’introducteur pour preuve de ma façon philosophique de penser sur cette matière, mais par une délicatesse que j’espère que tu ne blâmeras point, par les sentiments que je dois enfin à ma femme et qu’il n’est pas en moi de vaincre, tu permettras que je ne partage point tes plaisirs, je te les procurerai et en resterai là.
Desportes persifle un instant son ami, mais le voyant décidé à ne point se laisser entamer sur cet objet consent à tout, et l’on part.
La célèbre S. J. fut la prêtresse au temple de laquelle Sernenval imagina de faire sacrifier son ami.
– C’est une femme sûre qu’il nous faut, dit Sernenval, une femme honnête; cet ami pour lequel j’implore vos soins n’est que pour un instant à Paris, il ne voudrait pas rapporter un mauvais présent dans sa province et vous y perdre de réputation; dites-nous franchement si vous avez ce qu’il lui faut et ce que vous désirez pour lui en procurer la jouissance.
– Écoutez, reprit la S. J., je vois bien à qui j’ai l’honneur de m’adresser, ce n’est pas des gens comme vous que je trompe, je vais donc vous parler en honnête femme et mes procédés vous prouveront que je le suis. J’ai votre affaire, il ne s’agit que d’y mettre le prix, c’est une femme charmante, une créature qui vous ravira dès que vous l’entendrez… c’est enfin ce que nous appelons un morceau de prêtre, et vous savez que ces gens-là étant mes meilleures pratiques, je ne leur donne pas ce que j’ai de plus mauvais… Il y a trois jours que M. l’évêque de M. m’en donna vingt louis, l’archevêque de R. lui en fit gagner cinquante hier et ce matin encore elle m’en valut trente du coadjuteur de… Je vous l’offre pour dix et cela en vérité, messieurs, pour mériter l’honneur de votre estime, mais il faut être exact au jour et à l’heure, elle est en puissance de mari, et d’un mari jaloux qui n’a des yeux que pour elle; ne pouvant jouir que d’instants dérobés, il ne faut donc pas manquer d’une minute ceux dont nous serons convenus…
Desportes marchanda un peu, jamais catin ne se paya dix louis dans toute la Lorraine, plus il cherchait à diminuer, plus on lui vantait la marchandise, bref il convint et le jour suivant, dix heures précises du matin, fut l’heure choisie pour le rendez-vous. Sernenval ne voulant point être de moitié dans cette partie, il n’était plus question d’un souper, moyennant quoi l’on avait pris ce moment de Desportes, bien aise d’expédier cette affaire-là de bonne heure pour pouvoir vaquer le reste du jour à d’autres devoirs plus essentiels à remplir. L’heure sonne, nos deux amis arrivent chez leur charmante entremetteuse, un boudoir où ne règne qu’un jour sombre et voluptueux, renferme la déesse où Desportes va sacrifier.
– Heureux enfant de l’amour, lui dit Sernenval en le poussant dans le sanctuaire, vole dans les bras voluptueux que l’on étend vers toi, et viens seulement après me rendre compte de tes plaisirs; je me réjouirai de ton bonheur, et ma joie sera d’autant plus pure que je n’en serai nullement jaloux.
Notre catéchumène s’introduit, trois heures entières suffisent à peine à son hommage, il revient enfin assurer son ami que de ses jours il ne vit rien de pareil et que la mère même des amours ne lui aurait pas donné tant de plaisirs.
– Elle est donc délicieuse, dit Sernenval à demi enflammé.
– Délicieuse? ah je ne trouverais pas d’expression qui puisse te rendre ce qu’elle est, et dans cet instant-ci même où l’illusion doit être anéantie, je sens qu’il n’est aucun pinceau qui puisse peindre les torrents des délices dans lesquelles elle m’a plongé. Elle joint aux grâces qu’elle a reçues de la nature, un art si sensuel à les faire valoir, elle sait mettre un sel, un piquant si réel dans sa jouissance que j’en suis encore dans l’ivresse… Oh! mon ami, tâtes-en, je t’en supplie, quelque habitude que tu puisses avoir des beautés de Paris, je suis bien sûr que tu m’avoueras que jamais aucune ne valut à tes yeux celle-là.
Sernenval toujours ferme, mais néanmoins ému d’un peu de curiosité, prie la S. J. de faire passer cette fille devant lui quand elle sortira du cabinet… On y consent, les deux amis se tiennent debout pour la mieux observer, et la princesse passe fièrement…
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