Les mains enserrant sa gorge, Bonnie émit un râle tragique et s’effondra de tout son long sur le lit.
— Il est tellement canon… le pourrais pas lui résister. soupira-t-elle, les yeux fermés.
Elena s’apprêtait à exploser d’indignation, lorsqu’une ombre, dehors, attira son attention.
— Oh, mon Dieu !
Par la fenêtre ouverte, elle vit un corbeau posé sur une branche. Elle ferma le battant avec tant de vigueur que la vitre vibra. L’oiseau, dont le plumage luisait de reflets irisés, la fixait de son œil perçant.
— T’aurais pas pu la boucler ? s’écria-t-elle en se tournant vers Bonnie.
— Qu’est-ce qui te prend ? S’étonna Meredith. Ne me dis pas que cet oiseau te fout la trouille !
Elena jeta un nouveau regard à l’extérieur : le volatile avait disparu.
— Excuse-moi, finit par dire Bonnie d’un air piteux. Toutes ces histoires de meurtres m’ont perturbée… Et puis Damon est tellement… craquant que j’ai du mal à le croire dangereux. Mais c’est sûrement vrai…
— Soit dit en passant, il ne t’étranglerait pas, corrigea Meredith, imperturbable. Il te trancherait le cou, comme pour Tanner. Mais j’y pense, le SDF s’est carrément fait déchiqueter la gorge… Est-ce que Damon a un animal ? demanda-t-elle à Elena.
— Euh, non… En fait, je n’en sais rien.
Elena était particulièrement préoccupée par les paroles imprudentes de Bonnie : elles pouvaient être lourdes de conséquences. Elle n’avait que trop en mémoire les menaces de Damon : « Je peux faire ce que je veux de toi, et de tous tes proches. »
— Quelle serait la prochaine tentative de son ennemi ?
C’était bien ce qu’elle aurait voulu savoir. À chaque rencontre, il se montrait sous un jour différent. Dans le gymnase, il n’avait pas cessé de se moquer d’elle. Lors du souper muet, en revanche, il avait voulu la persuader le plus sérieusement du monde de partir avec lui. Dans le cimetière, il s’était montré particulièrement menaçant Et les sarcasmes de la dernière soirée ne présageaient rien de bon. Elle ne savait vraiment pas sur quel pied danser avec lui.
Quoi qu’il en soit, elle devait absolument protéger Bonnie et Meredith. C’était d’autant plus difficile qu’elle ne pouvait leur dire toute la vérité.
Elle aurait eu grand besoin des conseils de Stefan… Que pouvait-il bien faire ?
Matt, adossé à la carrosserie cabossée de sa Ford, avait d’abord écouté Stefan sans broncher.
— Si j’ai bien compris, tu veux que je te prête ma bagnole ? finit-il par demander.
— Oui, répondit Stefan.
— Pour aller chercher des fleurs à Elena ?
— C’est ça.
— Et cette variété est tellement spéciale qu’elle ne pousse pas dans la région ?
— Si, mais à cette époque, on n’en trouve plus ici. Et, en plus, avec la neige qui est tombée…
— Donc, tu veux descendre plus au sud pour en trouver ?
— Ou au moins quelques pieds, répliqua Stefan. Même si je préférerais des fleurs…
— Et comme les flics ont toujours ta voiture, tu veux m’emprunter la mienne ?
— Oui, comme ça je pourrai quitter la ville discrètement, sans les avoir aux trousses.
— Tu crois vraiment que je vais filer ma bagnole au mec qui m’a piqué ma copine, tout ça parce qu’il veut lui rapporter un bouquet ? T’es malade ou quoi ?
Le regard de Matt, d’ordinaire si joyeux, en disait long sur sa méfiance. Stefan détourna les yeux. Il aurait dû s’en douter. Matt en avait déjà assez fait pour lui, c’était ridicule d’en attendre davantage. Surtout en ce moment. La plupart des élèves tressaillaient au son de ses pas. Alors, Matt, qui avait, lui, de sérieuses raisons de lui en vouloir, ne pouvait raisonnablement pas lui rendre un tel service.
— Non, je ne crois pas être malade… , rétorqua Stefan en faisant demi-tour.
— Et moi je ne suis pas assez cinglé pour te prêter ma Ford. Non, pas question, je viens avec toi !
Stefan fit volte-face.
— C’est vrai, quoi, dit-il en effleurant la carrosserie abimée. On ne sait jamais, tu pourrais rayer la peinture…
Elena reposa le combiné. À chaque fois qu’elle appelait à la pension, elle entendait quelqu’un décrocher, puis il y avait un silence suivi du déclic de la déconnexion. Ça ne pouvait être que Mme Flowers… La jeune fille devait pourtant parler à Stefan. Elle mourait d’envie d’aller chez lui, mais il lui avait bien recommandé de ne pas se promener la nuit, encore moins près du cimetière ou de la forêt. Et elle devait justement passer par là pour se rendre à la pension.
— Toujours pas de réponse ? demanda Meredith quand Elena revint dans la chambre.
— La vieille sorcière m’a encore raccroché au nez ! bougonna Elena en se jetant sur son lit.
— Tu sais, si Stefan veut te parler, il appellera ici, fit remarquer Bonnie. Alors je ne comprends vraiment pas pourquoi tu veux absolument dormir chez moi.
Elena avait pourtant une raison sérieuse. Damon avait embrassé son amie : peut-être qu’il s’en prendrait à elle. Elle ne devait pas quitter Bonnie d’une semelle.
— Je ne suis pas toute seule à la maison : ma sœur et mes parents sont là. Et, de toute façon, nous fermons toutes les portes à double tour. Je ne vois pas ce que ta présence changerait.
Elena ne le savait pas davantage. Pourtant, un vague pressentiment l’obsédait. Elle laissa un mot à sa tante, non dans le souci de la rassurer, mais dans le cas où Stefan demanderait où la trouver. Il y avait toujours une légère tension entre elles, et tant que sa tante ne réviserait pas son jugement sur le garçon, Elena n’avait pas l’intention de faire le moindre effort.
Bonnie l’installa dans la chambre de sa seconde sœur, partie à l’université. Elena s’empressa de vérifier la fenêtre : elle était verrouillée de l’intérieur, et inaccessible du dehors. Elle inspecta ensuite, le plus discrètement possible, la chambre de son amie, et celles dans lesquelles elle put jeter un coup d’œil Toutes les ouvertures étaient en effet fermées à double tour. Personne ne pouvait pénétrer dans une telle forteresse.
Elena resta longtemps éveillée à contempler le plafond. Elle n’arrêtait pas de penser à l’étrange strip-tease de Vickie. Qu’est-ce qui lui était arrivé ? Peut-être que Stefan aurait une petite idée. Stefan… La pensée de l’être cher la réconforta. Le sourire aux lèvres, elle s’abandonna à sa rêverie : le jour où toute cette affreuse histoire serait finie, ils pourraient songer à leur avenir. Pour elle, il n’y avait aucun doute. C’était Stefan qu’elle voulait comme mari.
Elle sombra dans le sommeil sans en avoir conscience mais, curieusement, elle sut qu’elle rêvait.
Elle était assise dans un long couloir pourvu de hautes fenêtres d’un côté et de grands miroirs de l’autre. Elle attendait quelqu’un. Soudain, elle vit apparaître Stefan derrière un carreau. Son visage blême était défiguré par la colère, et il criait derrière la vitre. Il tenait un livre à couverture de velours bleu qu’il ne cessait de désigner. Puis il le laissa tomber et disparut.
Elle bondit à la fenêtre et plaqua les mains sur le carreau.
— Stefan, ne t’en vas pas ! hurla-t-elle. Ne m’abandonne pas !
Remarquant un loquet sur le côté de la fenêtre, elle l’actionna. Lorsqu’elle passa la tête à la fenêtre, Stefan n’était plus là. À sa place demeurait un nuage de brouillard Désespérée, elle s’aventura le long des miroirs. Soudain, elle fut frappé par l’un de ses reflets : s’étaient bien les siens, mais une lueur étrange malicieuse y brillait, comme dans ceux de Vickie. Ils avaient quelque chose de cruel. Alors qu’elle était parfaitement immobile, son image se mît brusquement à danser. Saisie d’horreur, elle se mit à courir. Mais tous les reflets semblaient dotés d’une vie propre : certains s’agitaient dans tous sens, d’autres lui faisaient des signes ou se moquaient d’elle. Elle accéléra comme si elle avait le diable aux trousses, et finît par atteindre une porte à double battant qu’elle poussa à toute volée.
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