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Bram Stoker: Dracula

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Bram Stoker Dracula

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– Ils convergent tous vers le même point, dit-il. Le moment venu, nous aurons les Bohémiens tout autour de nous.

Je préparai mon revolver, car tandis que nous parlions, le hurlement des loups s’était rapproché et accru. Une nouvelle accalmie nous permit de regarder de nouveau. Étrange spectacle que celui de ces lourds flocons tombant si près de nous tandis que le soleil au loin gagnait en éclat en descendant derrière les lointains sommets. En balayant l’horizon avec les jumelles, je distinguais çà et là des points noirs qui se déplaçaient, par groupes de deux, trois, ou davantage – les loups se rassemblaient pour la curée.

Chaque minute de notre attente nous semblait un siècle. Le vent soufflait maintenant par rafales violentes, chassant furieusement la neige et l’accumulant autour de nous en bancs circulaires. Parfois nous ne distinguions plus notre bras étendu, mais parfois aussi, quand le vent balayait nos environs en grondant sourdement, il clarifiait l’espace au point de nous laisser découvrir les lointains. Depuis si longtemps, nous étions habitués à surveiller le coucher et le lever du soleil que nous en savions le moment à une seconde près; et nous savions que dans peu de temps il allait disparaître. Sans nos montres, nous n’aurions jamais cru qu’il s’était passé moins d’une heure depuis que nous étions là à guetter dans notre abri rocheux les trois groupes qui s’avançaient dans notre direction. Le vent avait redoublé, venant plus constamment du nord. Il semblait avoir écarté de nous la neige, qui ne tombait plus si ce n’est par brèves rafales. Nous distinguions maintenant nettement les membres de chaque groupe, les poursuivis et les poursuivants. Les premiers semblaient ne pas s’apercevoir qu’on leur donnait la chasse, ou du moins ne s’en point soucier; et cependant, ils forçaient l’allure tandis que le soleil descendait vers les crêtes.

Tandis qu’ils se rapprochaient, le professeur et moi nous nous tenions blottis derrière notre rocher, nos armes prêtes. Il était visiblement décidé à ne pas les laisser passer. Aucun d’eux ne semblait soupçonner notre présence.

Deux voix brusquement crièrent: «Halte!» L’une était celle de mon Jonathan, rendue aiguë par l’émotion. L’autre, celle de Mr Morris, avait lancé cet ordre avec une calme résolution. Même sans comprendre les paroles, les Bohémiens ne pouvaient se méprendre sur le ton, en quelque langue que ce fût. Ils retinrent instinctivement leurs chevaux, et aussitôt Lord Godalming et Jonathan furent sur eux d’un côté, le Dr Seward et Mr Morris de l’autre. Le chef des Tziganes, un splendide garçon qui sur son cheval semblait un centaure, leur fit signe de reculer, et, avec colère, jeta à ses compagnons l’ordre d’avancer. Ils lâchèrent la bride à leurs chevaux qui firent un bond en avant. Mais les quatre hommes braquèrent leurs fusils et leur commandèrent de s’arrêter, de façon telle qu’ils ne pouvaient se méprendre. Au même moment le Dr Van Helsing et moi nous sortîmes de derrière le rocher, nos armes dirigées vers eux. Se voyant encerclés, ils serrèrent les brides et s’arrêtèrent. Leur chef se tourna vers eux et leur dit un mot, sur quoi chacun prit son arme, couteau ou pistolet, et se tint prêt à l’attaque. Le tout se dénoua en quelques minutes.

Le chef, d’un mouvement rapide, dégagea son cheval et l’amena en tête, et, montrant le soleil – maintenant tout près des cimes – et puis le château, dit quelque chose que je ne pus comprendre. En réponse, chacun de nos quatre alliés sauta de son cheval, et s’élança vers le chariot. La vue de Jonathan dans un tel danger aurait dû me faire trembler, mais l’ardeur de la bataille me possédait aussi bien que les autres. Je n’éprouvais aucune crainte, seulement un désir sauvage, passionné, d’agir. Devant nos mouvements rapides, le chef des Bohémiens donna un nouvel ordre. Ils se groupèrent aussitôt autour du char en une sorte d’entreprise désordonnée, se bousculant dans leur ardeur à exécuter son ordre.

Au milieu de cette mêlée, je voyais Jonathan d’un côté, Quincey de l’autre, se frayer un chemin vers le char; il leur fallait à tout prix terminer leur tâche avant le coucher du soleil. Rien ne semblait capable de les arrêter ni même de les gêner. Ces armes braquées, l’éclat des couteaux, les hurlements des loups, ils ne semblaient pas même s’en aviser. L’impétuosité de Jonathan, et sa volonté visiblement irréductible, parurent intimider ceux qui lui tenaient tête; ils cédèrent instinctivement et lui livrèrent passage. Une seconde lui suffit pour bondir sur le char, pour saisir avec une vigueur incroyable le grand coffre et le lancer par-dessus bord sur le sol. En même temps, Mr Morris avait forcé le passage de son côté. Pendant que, le souffle coupé, je suivais Jonathan du regard, j’avais vu Mr Morris pousser désespérément son avance; les couteaux des Tziganes l’entouraient d’éclairs tandis qu’il se frayait un passage et lui infligeaient des coups qu’il parait avec son couteau de chasse. Je crus d’abord que lui aussi était en sûreté. Mais lorsqu’il s’élança vers Jonathan, qui avait sauté du char, je vis sa main gauche se crisper sur son flanc et le sang jaillir entre ses doigts. Malgré cela, il continua, et lorsque Jonathan, avec l’énergie du désespoir, attaqua un côté du coffre pour en déclouer le couvercle avec son grand couteau kukri, il s’en prit rageusement à l’autre avec son coutelas. Sous l’effort des deux hommes, le couvercle céda peu à peu; les clous s’arrachèrent avec un brusque gémissement, et ce qui fermait le coffre fut lancé à terre.

Se voyant menacés par les fusils, et à la merci de Lord Godalming et du Dr Seward, les Bohémiens avaient renoncé à toute résistance. Le soleil était très bas et les ombres sur la neige étaient longues. Je vis le comte étendu dans le coffre, sur le sol; des parcelles de bois avaient volé sur le corps lorsque la caisse avait été lancée à bas du char. Le comte était mortellement pâle, semblable à une image de cire. Ses yeux rouges avaient l’affreux regard vindicatif que je ne connaissais que trop bien.

Comme je le regardais, ses yeux aperçurent le soleil déclinant et son regard haineux eut une lueur de triomphe. Mais, à la seconde même, surgit l’éclat du grand couteau de Jonathan. Je jetai un cri en le voyant trancher la gorge. Et au même moment, le coutelas de Mr Morris pénétra en plein cœur.

Ce fut comme un miracle: oui, devant nos yeux et dans le temps d’un soupir, le corps tout entier se réduisit en poussière et disparut.

Pour la joie de ma vie entière, au moment de la dissolution suprême, une expression de paix se répandit sur ce visage où jamais je n’aurais cru que pût apparaître rien de tel.

Le château de Dracula se détachait à présent sur le ciel rouge, et la lumière du couchant dessinait chaque pierre de ses créneaux rompus.

Voyant en nous la cause de l’extraordinaire disparition du mort, les Bohémiens firent demi-tour et, sans un mot, s’enfuirent comme si leur vie en dépendait.

Ceux qui n’étaient pas montés sautèrent sur le chariot en criant aux cavaliers de ne pas les abandonner. Les loups, qui s’étaient retirés à bonne distance, suivirent leurs traces, nous laissant seuls.

Mr Morris était tombé sur le sol, appuyé sur un coude, serrant de la main son flanc d’où le sang jaillissait toujours entre ses doigts. Je courus à lui, car le cercle sacré avait cessé de m’enfermer. Les deux médecins firent de même. Jonathan s’agenouilla derrière lui et le blessé laissa tomber sa tête sur son épaule. Avec un faible effort, il prit en soupirant ma main dans celle des siennes qui n’était pas souillée. Mon angoisse devait se refléter sur mon visage, car il me sourit en disant:

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