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Bram Stoker: Dracula

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Bram Stoker Dracula

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Ah! mon ami John! n’était-ce pas la tâche d’un boucher? Si je ne m’étais pas raidi par la pensée d’une autre mort et d’une vie prise dans un tel étau d’épouvante, jamais je n’aurais pu aller jusqu’au bout. J’en tremble encore, et cependant, jusqu’à ce que tout fût terminé, mes nerfs, Dieu soit loué, tinrent bon! J’avais vu l’apaisement du premier visage, une félicité qui se répandait fugitivement sur lui juste avant la dissolution suprême, comme pour attester que l’âme avait été conquise: sans cela, jamais je n’aurais pu poursuivre cette boucherie. Je n’aurais pu endurer l’horrible crissement du pieu quand il pénétrait dans les chairs, ni le sursaut de la beauté torturée, les lèvres couvertes d’une écume sanglante. J’aurais fui épouvanté, laissant l’œuvre inachevée. Mais elle est finie! Ces pauvres âmes, je puis maintenant les plaindre et pleurer, en pensant à chacune d’elles, telle que je l’ai vue, pacifiée dans le plein sommeil de la mort, une seconde avant de disparaître. Oui, cher John, il en fut ainsi au moment même où mon couteau eut coupé chaque tête, avant que le corps commençât à se réduire pour retourner à sa poussière originelle, comme si la mort ajournée depuis des siècles avait enfin affirmé ses droits en disant hautement: «Me voici.»

Avant de quitter le château, j’en assurai les issues de façon que le comte n’y puisse plus jamais rentrer, non-mort.

Peu après que je fus revenu dans le cercle où dormait madame Mina, elle se réveilla et s’écria en me voyant, d’une voix douloureuse, que j’en avais trop enduré.

– Venez, dit-elle, quittons cet affreux endroit. Allons rejoindre mon mari qui, je le sais, se dirige vers nous.

Elle était amaigrie, pâle, épuisée. Mais son regard était pur et brillant. Je fus heureux de constater sa pâleur et son malaise, tant mon esprit était obsédé par l’horreur toute récente du sommeil vermeil des vampires.

C’est ainsi que, pleins de confiance et d’espoir mais d’inquiétude aussi, nous partîmes vers l’est pour retrouver nos amis – et lui, lui dont madame Mina affirme qu’elle sait qu’il vient à notre rencontre.

Journal de Mina Harker

6 novembre

L’après-midi était avancé quand le professeur et moi nous partîmes vers l’est d’où je savais que Jonathan venait vers nous. Nous n’allions pas vite, quoique le chemin descendît rapidement la colline, car nous devions emporter de lourdes couvertures, n’osant pas envisager de rester sans protection dans le froid et la neige. Il nous fallait aussi nous charger d’une partie de nos provisions; nous étions en effet au milieu d’une solitude désolée et, dans la mesure où nous pouvions percer le rideau de la neige, nous ne découvrions pas la moindre habitation. Nous n’avions pas fait un mille que la difficulté de la marche me força à m’asseoir pour me reposer. Derrière nous, la ligne claire du château de Dracula se détachait sur l’horizon. Nous étions si bien descendus de la colline qui le supporte qu’il semblait dominer de beaucoup les Carpates. Nous le découvrions dans toute sa grandeur, perché à mille pieds sur le sommet d’un pic et, semblait-il, un abîme s’étendait entre lui et l’escarpement de la montagne voisine. L’endroit avait quelque chose de sauvage, d’insensé. Nous entendions le lointain hurlement des loups. Ils étaient encore à bonne distance, mais leurs cris, bien qu’étouffés par la neige tombante, étaient pleins de terreur. À voir le Dr Van Helsing se mettre en quête, je pouvais comprendre qu’il cherchait un point stratégique où une attaque nous trouverait moins exposés. La route raboteuse continuait à descendre; nous la distinguions malgré la neige accumulée.

Au bout d’un instant, le professeur me fit signe et je me levai pour aller le rejoindre. Il avait trouvé un endroit admirable, une sorte d’excavation dans le roc, avec une entrée semblable à un vestibule entre deux avancées. Il me prit la main et m’y fit pénétrer.

– Voyez, dit-il, vous serez en sûreté; et si les loups viennent, je pourrai les affronter un à un.

Il apporta nos fourrures à l’intérieur, aménagea pour moi un nid confortable, sortit quelques provisions et me força à y toucher. Mais je ne pus manger; rien que d’essayer, m’inspirait une telle répulsion que malgré mon désir de lui faire plaisir je ne pus m’y contraindre. Il parut fort triste, mais ne me fit aucun reproche. Il sortit ses jumelles de leur étui et, debout sur le rocher, scruta l’horizon. Soudain, il s’écria:

– Regardez, madame Mina! Regardez!

Je bondis, et me dressai debout à côté de lui. Il me tendit les jumelles. La neige à présent tombait plus épaisse et tourbillonnait avec violence, car le vent s’élevait. Les rafales avaient cependant des moments de répit pendant lesquels je pouvais voir à bonne distance. De la hauteur où nous nous trouvions se découvrait un vaste horizon. Dans le lointain, au-delà de la longue plaine neigeuse, je pouvais distinguer la rivière déroulant comme un ruban les courbes et méandres de son cours. En face de nous et pas bien loin – de fait, si près que je m’étonnai que nous n’en eussions rien vu plus tôt – venait un groupe d’hommes montés qui allaient bon train. Au milieu du groupe avançait un chariot, un long camion de roulage qui tanguait, comme un chien qui fait aller la queue, à chaque inégalité de la route. Ce groupe se détachait si nettement sur la neige que je reconnaissais parfaitement, à leurs vêtements, des paysans ou des Bohémiens.

Sur le chariot, se trouvait un grand coffre rectangulaire. Mon cœur bondit en le voyant, car je sentais approcher le dénouement. Bientôt le jour allait tomber, et je savais trop bien que, dès le coucher du soleil, la Chose qui en ce moment y était enfermée, retrouverait sa liberté et sous une forme quelconque échapperait à toute poursuite. Dans ma terreur, je me retournai pour regarder le professeur, mais je vis avec consternation qu’il avait disparu. Un instant après, cependant, il était à mes pieds, ayant décrit autour du rocher un cercle analogue à celui qui nous avait protégés la nuit précédente. L’ayant terminé, il s’assit à mon côté, en disant:

– Du moins ici n’aurez-vous rien à craindre de lui. Il me reprit les jumelles et, profitant de l’accalmie suivante qui laissait libre l’horizon devant nous, il ajouta:

– Voyez, ils se hâtent, ils fouettent les chevaux et vont le plus vite possible.

Après une pause, il poursuivit d’une voix sourde:

– Ils luttent de vitesse avec le soleil… Peut-être arriverons-nous trop tard! Que la volonté de Dieu soit faite!

Une nouvelle rafale effaça tout le paysage mais fut de courte durée, et, une fois encore, les jumelles explorèrent la plaine. Alors, vint un cri soudain:

– Regardez! Regardez là-bas! Deux cavaliers suivent à toute vitesse, venant du midi. Ce sont sûrement Quincey et John. Prenez les jumelles. Regardez tout de suite, avant que la neige revienne!

Je regardai. Ces deux hommes, en effet, pouvaient être le Dr Seward et Mr Morris. J’étais sûre, en tout cas, qu’aucun d’eux n’était Jonathan. Mais, en même temps, je savais que Jonathan n’était pas loin. Un peu plus au nord de l’endroit où se trouvaient les deux cavaliers, j’aperçus alors deux autres hommes qui galopaient à bride abattue. Aussitôt, je reconnus Jonathan et je supposai naturellement que l’autre était Lord Godalming. Eux aussi avaient pris en chasse le char et son escorte. Lorsque je le dis au professeur, il lança un «hourrah» digne d’un écolier et, après avoir regardé attentivement jusqu’à ce qu’une rafale bouchât la vue, il posa son fusil Winchester, prêt à servir, contre l’avancée, à l’entrée de notre abri.

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