— Qu’il en soit ainsi. Puisse le Guerrier prêter de la force aux bras de ser Robert. » Les mots étaient dits avec mauvaise grâce, et l’inclinaison du menton que Mace Tyrell adressa au lord Régent constituait la plus minimale des courbettes. Mais c’était quelque chose et, de cela au moins, ser Kevan Lannister s’estimait heureux.
Randyll Tarly quitta la salle avec son suzerain, leurs piquiers en cape verte immédiatement sur leurs talons. Le véritable danger vient de Tarly , jugea ser Kevan en observant leur départ. Un homme étroit, mais il a une volonté de fer et de la ruse ; un des meilleurs soldats dont puisse s’enorgueillir le Conflans. Mais comment le gagner à notre camp ?
« Lord Tyrell ne m’aime point, déclara le Grand Mestre Pycelle d’une voix lugubre quand la Main fût partie. Cette question du thé de lune… Je n’aurais jamais abordé un tel sujet, mais la Reine douairière me l’a ordonné ! N’en déplaise au lord Régent, je dormirais plus profondément si vous pouviez me prêter quelques-uns de vos gardes.
— Lord Tyrell pourrait prendre cela en mauvaise part. »
Ser Harys Swyft tira sur sa barbiche. « J’ai grand besoin de gardes moi-même. Les temps sont périlleux. »
Certes , songea Kevan Lannister, et Pycelle n’est pas le seul membre du conseil que notre Main souhaiterait remplacer . Mace Tyrell avait son propre candidat à la charge de lord Trésorier : son oncle, le lord Sénéchal de Hautjardin, que les hommes appelaient Garth la Brute. Voilà bien la dernière chose dont j’ai besoin : un autre Tyrell au Conseil restreint . Il était déjà en minorité. Ser Harys était le père de son épouse, et l’on pouvait également compter sur Pycelle. Mais Tarly était lige de Hautjardin, de même que l’était Paxter Redwyne, lord Amiral et maître de la flotte, contournant à l’heure actuelle Dorne avec sa flotte pour se charger des Fer-nés d’Euron Greyjoy. Une fois que Redwyne rentrerait à Port-Réal, le conseil serait divisé trois contre trois, Lannister et Tyrell.
La septième voix serait celle de la Dornienne qui escortait à présent Myrcella chez elle. La dame Nym. Mais en rien une dame, si la moitié seulement de ce que rapporte Qyburn s’avère . Fille bâtarde de la Vipère rouge, presque aussi tristement célèbre que son père, et bien décidée à revendiquer le siège au conseil que le prince Oberyn lui-même avait si brièvement occupé. Ser Kevan n’avait pas encore jugé politique d’informer Mace Tyrell de son arrivée. La Main, il le savait, ne s’en réjouirait pas. L’homme qu’il nous faut, c’est Littlefinger. Petyr Baelish avait un don pour sortir des dragons du néant .
« Engagez les hommes de la Montagne, suggéra ser Kevan. Ronnet le Rouge n’en aura plus l’emploi. » Il ne croyait pas que Mace Tyrell aurait la maladresse de tenter d’assassiner Pycelle ou Swyft, mais si des gardes pouvaient les tranquilliser, qu’ils en prennent donc.
Les trois hommes sortirent ensemble de la salle du trône. Dehors, la neige tourbillonnait dans la cour extérieure, un fauve en cage qui hurlait en cherchant à se libérer. « Avez-vous jamais connu pareil froid ? demanda ser Harys.
— Le meilleur moment pour parler du froid, rétorqua le Grand Mestre Pycelle, n’est pas celui où nous y sommes plongés. » Il traversa lentement la cour pour regagner ses appartements.
Les autres s’attardèrent un instant sur le parvis de la salle du Trône. « Je ne place aucune confiance en ces banquiers myriens, confia ser Kevan à son beau-père. Vous feriez bien de vous préparer à aller à Braavos. »
Ser Harys ne parut pas enchanté par cette perspective. « S’il le faut. Mais je vous le répète, ces tracas ne sont point de mon fait.
— Non. C’est Cersei qui a décidé que la Banque de Fer devrait attendre son dû. Faut-il que je l’envoie à Braavos ? »
Ser Harys cligna les yeux. « Sa Grâce… qui… que… »
Ser Kevan vint à son secours. « C’était une plaisanterie. Une mauvaise plaisanterie. Allez retrouver un bon feu. Je compte bien faire de même. » Il enfila sèchement ses gants et s’en fut à travers la cour, courbé contre le vent, tandis que sa cape claquait et dansait derrière lui.
La douve sèche qui encerclait la citadelle de Maegor avait trois pieds de profondeur, les piques en fer qui la bordaient scintillaient de givre. La seule façon d’entrer ou de sortir de Maegor était d’emprunter le pont-levis qui enjambait ce fossé. Un chevalier de la Garde Royale était posté en permanence à son autre extrémité. Ce soir, cette corvée avait échu à ser Meryn Trant. Avec Balon Swann qui traquait à Dorne Sombre astre, le chevalier félon, Loras Tyrell gravement blessé sur Peyredragon, et Jaime disparu dans le Conflans, ne subsistaient plus à Port-Réal que quatre des Épées blanches, et ser Kevan avait jeté Osmund Potaunoir (et son frère Osfryd) au cachot quelques heures après que Cersei eut confessé avoir eu les deux hommes pour amants. Cela ne laissait plus, pour protéger le jeune roi et la famille royale, que Trant, le peu valeureux Boros Blount et le monstre silencieux de Qyburn, Robert Fort.
J’aurai besoin de trouver de nouvelles épées pour la Garde Royale . Tommen devrait avoir sept bons chevaliers autour de lui. Dans le passé, on servait à vie dans la Garde Royale, mais cela n’avait pas empêché Joffrey de renvoyer ser Barristan Selmy pour faire une place à son chien, Sandor Clegane. Kevan pourrait mettre ce précédent à profit. Si j’installais Lancel dans les manteaux blancs ? se demanda-t-il. Il y a plus d’honneur dans cette charge qu’il n’en trouvera jamais chez les Fils du Guerrier .
Kevan Lannister suspendit sa cape trempée de neige à l’intérieur de sa salle privée, retira ses bottes et ordonna à son serviteur d’aller chercher plus de bois pour son feu. « Une coupe de vin chaud ne me déplairait pas, déclara-t-il en prenant place devant l’âtre. Occupe-t’en. »
Le feu ne tarda pas à le dégeler, et le vin lui réchauffa agréablement le ventre. Il le rendit également somnolent, aussi ne se hasarda-t-il pas à en boire une deuxième coupe. Il avait des rapports à lire, des lettres à rédiger. Et un souper avec Cersei et le roi . Sa nièce avait fait preuve de retenue et de docilité depuis sa marche de pénitence, les dieux en soient loués. Les novices à son service rapportaient qu’elle passait un tiers de ses heures de veille avec son fils, un autre en prières, et le reste dans sa baignoire. Elle se baignait quatre ou cinq fois par jour, se frictionnant avec des brosses en crin de cheval et un puissant savon noir, comme si elle avait l’intention de se racler la peau.
Jamais elle ne lavera cette tache, malgré toute son énergie à frotter . Kevan se souvint de l’enfant qu’elle avait été, si pleine de vie et de malice. Et lorsqu’elle avait fleuri, ahhh… y avait-il jamais eu pucelle plus accorte à regarder ? Si Aerys avait accepté de la marier à Rhaegar, combien de morts auraient pu être évitées ? Cersei aurait pu donner au prince les fils qu’il désirait, des lions aux yeux mauves et aux crinières d’argent… et, avec une telle épouse, Rhaegar aurait bien pu ne pas accorder plus d’un coup d’œil à Lyanna Stark. La Nordienne avait une beauté sauvage, dans son souvenir, mais, aussi fort que flambât une torche, jamais elle ne pourrait rivaliser avec le soleil levant.
Point ne servait de ressasser les batailles perdues et les routes qu’on n’avait point suivies, toutefois. C’était un vice de vieillards épuisés. Rhaegar avait épousé Elia de Dorne, Lyanna Stark était morte, Robert Baratheon avait pris Cersei pour épouse, et ils en étaient là. Et ce soir, sa propre route le conduirait dans les appartements de sa nièce, face à face avec Cersei.
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