Mais il n’était rien advenu de tout cela. Des clochettes , se répéta Daenerys. Ses Sang-coureurs l’avaient retrouvée. « Aggo, chuchota-t-elle. Jhogo. Rakharo. » Se pourrait-il que Daario les eût accompagnés ?
La mer verte s’ouvrit. Un cavalier apparut. Sa tresse était noire et brillante, sa peau aussi sombre que du cuivre poli, ses yeux avaient la forme d’amandes amères. Des clochettes chantaient dans ses cheveux. Il portait une ceinture de médaillons et un gilet peint, avec un arakh sur une hanche et un fouet sur l’autre. Un arc de chasse et un carquois plein de flèches pendaient à sa selle.
Un cavalier, et seul. Un éclaireur . C’était celui qui galopait en avant du khalasar pour repérer le gibier et la bonne herbe verte, et détecter les ennemis partout où ils pouvaient se cacher. S’il la trouvait ici, il la tuerait, la violerait ou la réduirait en esclavage. Au mieux, il la renverrait vers les vieillardes du dosh khaleen , où étaient censées aller les bonnes khaleesis , quand mourait leur khal .
Mais il ne la vit pas. Les herbes la dissimulaient, et il regardait ailleurs. Daenerys suivit son regard, et là-bas volait l’ombre, ses ailes largement déployées. Le dragon se situait à un mille de distance, et cependant l’éclaireur resta pétrifié jusqu’à ce que son étalon se mît à doucement hennir de peur. Puis l’homme s’éveilla comme d’un rêve, fit volter sa monture et s’en fut au galop à travers les hautes herbes.
Daenerys le regarda partir. Quand le bruit de ses sabots se fut estompé jusqu’au silence, elle commença à crier. Elle appela jusqu’à s’enrouer… et Drogon vint, renâclant dans des panaches de fumée. L’herbe s’inclina devant lui. Daenerys lui sauta sur le dos. Elle puait le sang, la sueur et la peur, mais rien de tout cela n’importait. « Pour avancer, je dois revenir en arrière », déclara-t-elle. Ses jambes nues se nouèrent autour de l’encolure du dragon. Elle lui donna un coup de pied, et Drogon se jeta vers le ciel. Le fouet avait disparu, aussi usa-t-elle de ses mains et de ses pieds pour le faire obliquer vers le nord-est, dans la direction où était parti l’éclaireur. Drogon obtempéra assez docilement : peut-être reniflait-il la peur du cavalier.
En une douzaine de battements de cœur, ils avaient dépassé le Dothraki, qui galopait, loin en contrebas. À sa droite et à sa gauche, Daenerys aperçut des espaces à l’herbe calcinée, réduite en cendres. Drogon est déjà venu par ici , comprit-elle. Comme un archipel d’îles grises, les marques de ses chasses ponctuaient le vert de la mer d’herbe.
Un vaste troupeau de chevaux apparut sous eux. Il y avait des cavaliers, aussi, une vingtaine ou plus, mais ils obliquèrent pour fuir à la première vue du dragon. Les chevaux s’égaillèrent en courant quand l’ombre tomba sur eux, filant à travers les herbes jusqu’à avoir les flancs blancs d’écume, ravageant le sol de leurs sabots… mais si rapides qu’ils fussent, ils ne volaient pas. Bientôt, un cheval commença à traîner derrière les autres. Le dragon fondit sur lui avec un rugissement, et subitement le malheureux animal s’embrasa, continuant cependant à courir, hennissant à chaque foulée, jusqu’à ce que Drogon se posât sur lui et lui brisât les reins. Daenerys se retint de toute son énergie au cou du dragon, afin de ne pas glisser.
La carcasse était trop lourde pour que Drogon l’emportât dans son antre, aussi consomma-t-il sa proie sur place, déchirant la chair carbonisée tandis que les herbes flambaient autour d’eux, l’air chargé de fumée et de l’odeur du crin cramé. Daenerys, morte de faim, se laissa choir du dos du dragon et elle mangea avec lui, arrachant des bouts de viande fumante au cheval mort avec ses mains nues et brûlées. À Meereen, j’étais une reine vêtue de soie, grignotant des dattes fourrées et de l’agneau au miel , se souvint-elle. Que penserait mon noble époux s’il pouvait me voir en ce moment ? Hizdahr serait horrifié, sans aucun doute. Mais Daario…
Daario éclaterait de rire, se taillerait une part de viande de cheval avec son arakh et viendrait s’accroupir pour se repaître à ses côtés.
Tandis que le ciel à l’ouest virait à la nuance d’une plaie sanglante, Daenerys entendit approcher un bruit de chevaux. Elle se leva, s’essuya les mains sur sa camisole en loques et alla se placer auprès de son dragon.
C’est ainsi que le khal Jhaqo la trouva, lorsqu’une cinquantaine de guerriers montés émergèrent des volutes de fumée.
« Je ne suis pas un traître, déclara le chevalier de la Griffonnière. Je suis l’homme du roi Tommen, et le vôtre. »
Un goutte-à-goutte régulier ponctuait ses paroles, la fonte de la neige coulant de sa cape pour étendre une flaque sur le sol. Il avait neigé pratiquement toute la nuit sur Port-Réal ; dehors, les congères montaient à la cheville. Ser Kevan Lannister serra sa cape plus près de lui. « C’est ce que vous dites, ser. Les mots sont du vent.
— Alors, laissez-moi en prouver la vérité avec mon épée. » La lumière des torches transformait les longs cheveux roux et la barbe de Ronnet Connington en halo ardent. « Envoyez-moi contre mon oncle, et je vous rapporterai sa tête, et celle de ce prétendu dragon, par la même occasion. »
Des piquiers Lannister en capes écarlates et demi-heaumes surmontés d’un lion s’alignaient contre le mur ouest de la salle du trône. Des gardes Tyrell en capes vertes leur faisaient face sur le mur opposé. Il régnait dans la salle du trône un froid palpable. Bien que ni la reine Cersei ni la reine Margaery ne se trouvassent parmi eux, on sentait leur présence empoisonner l’atmosphère, comme des spectres à un banquet.
Derrière la table où siégeaient les cinq membres du Conseil restreint du roi, le trône de Fer se tenait ramassé comme un grand fauve noir, ses pointes, ses griffes et ses lames à demi voilées d’ombre. Kevan Lannister percevait dans son dos sa présence, une démangeaison entre ses omoplates. On imaginait aisément le vieux roi Aerys perché là-haut, saignant d’une blessure récente, les couvant d’un regard noir. Mais en ce jour, le trône était vide. Il n’avait pas vu de raison pour que Tommen se joignît à eux. Il était plus charitable que l’enfant se tînt avec sa mère. Les Sept seuls savaient combien de temps la mère et le fils pourraient passer ensemble avant le jugement de Cersei… et son exécution éventuelle.
Mace Tyrell parlait. « Nous nous occuperons de votre oncle et de son enfant prétendu en temps utile. » La nouvelle Main du roi était assise sur un trône en chêne sculpté en forme de main, une absurde coquetterie que Sa Seigneurie avait présentée le jour où ser Kevan avait accepté de lui accorder la charge qu’il guignait. « Vous attendrez ici que nous soyons prêts à nous mettre en marche. Vous aurez alors l’occasion de prouver votre loyauté. »
Ser Kevan n’y vit point d’objection. « Escortez ser Ronnet jusqu’à ses appartements », ordonna-t-il. Et veillez à ce qu’il y reste apparut implicite. Si bruyantes que fussent ses protestations, le chevalier de la Griffonnière demeurait suspect. D’après les rumeurs, les mercenaires qui avaient débarqué dans le sud étaient menés par un homme de son propre sang.
Tandis que s’effaçait l’écho des pas de Connington, le Grand Mestre Pycelle branla lourdement du chef. « Son oncle s’est un jour tenu au même endroit que le petit, et il a dit au roi Aerys qu’il lui livrerait le chef de Robert Baratheon. »
Voilà comment il en va quand un homme devient aussi vieux que Pycelle. Tout ce qu’on voit ou qu’on entend vous rappelle une autre chose vue ou entendue quand vous étiez jeune . « Combien d’hommes d’armes ont accompagné ser Ronnet en ville ? s’enquit ser Kevan.
Читать дальше