Prospero casse son bâton et noie ses livres parce qu’on ne peut pas rapporter la magie avec soi. S’il l’avait rapportée, serait-il devenu comme Saroumane ? Est-ce le pouvoir qui corrompt ? Le fait-il toujours ? J’aimerais connaître quelques personnes qui ne sont pas mauvaises et qui recourent à la magie. Il y a bien Glorfindel, mais je ne suis pas sûre que les fées comptent. Elles sont différentes. L’autre contraste intéressant avec Prospero est Faust.
Une lettre de Daniel pour m’annoncer que le rendez-vous avec l’acupuncteur est pris pour jeudi et payé, qu’il a écrit à l’école pour leur demander de me laisser y aller, et avec un billet de 10 livres pour le train et les repas. Quand j’aurai fait de la monnaie, j’en mettrai la moitié dans mon fonds d’urgence.
Je suis allée à la bibliothèque, mais Greg n’y était pas. Ce n’était pas son tour de travailler le samedi. J’ai rendu mon énorme pile de livres et pris ceux qui m’attendaient. J’aurais voulu avoir pris rendez-vous avec quelqu’un, mais bien sûr je n’avais pas pu parce que je n’étais pas là mardi. J’avais espéré voir Greg pour lui demander le sujet de la réunion de mardi prochain.
Je suis descendue à la librairie, mais je n’ai vu personne. Je n’ai pas acheté de livre. Il tombait une bruine décourageante. Je me suis assise dans le salon de thé où j’ai mangé un gâteau au miel et j’ai lu, en levant de temps en temps les yeux pour regarder la pluie. On dit toujours que c’est un beau temps pour les canards, mais les colverts de la mare avaient l’air aussi malheureux que tout le monde. Les mâles commençaient pourtant à arborer leurs couleurs de printemps. C’est peut-être une pluie de printemps. Ils en auraient été heureux dans les Marais des Morts, me suis-je dit. J’ai acheté deux gâteaux pour Deirdre et moi – il est vraiment inutile de dépenser de l’argent pour Sharon, même si elle me reparle.
La brocante était ouverte et j’ai jeté un coup d’œil à leurs livres. Je n’ai rien vu d’intéressant, à part une carte d’Europe en tissu (sans doute de la toile), avec une Allemagne énorme et pas de Tchécoslovaquie. Je pense qu’elle doit dater de la guerre ou d’un peu avant. Quelqu’un a dessiné dessus une ligne rose au feutre, mais sinon elle est en très bon état. Les couleurs des pays sont pastel, et non pas franches comme elles le seraient de nos jours. Je n’ai pas pu résister, car elle ne coûtait que 5 pence. Je ne sais pas ce que je vais en faire, mais j’aime les cartes.
Je suis repartie lentement en ville et suis entrée regarder chez Smiths, ce qui est habituellement une perte de temps, mais aujourd’hui j’ai été récompensée par un numéro d’ Isaac Asimov’s Science Fiction Magazine ! Je me demande d’où il vient. J’espère qu’ils vont commencer à le recevoir régulièrement. Je l’ai acheté, et aussi un paquet de Rolo que je partagerais volontiers avec Frodo et Sam si je pouvais… j’ai aussi acheté une carte postale pour Grampar, avec la mer et un château de sable qui me rappelle les vacances d’été, et qui les lui rappellera aussi.
Gill était à l’arrêt du bus. « Pas de petit ami aujourd’hui ? » m’a-t-elle demandé.
Je l’ai regardée droit dans les yeux. « Ça ne te regarde pas, mais Hugh est juste un ami, pas un petit ami. Il fait partie du club de lecture.
— Oh. Désolée », a-t-elle dit. J’ai été interloquée qu’elle me croie. C’est une bonne chose que ce ne soit pas Wim qu’elle ait vu avec moi, sinon je n’aurais pas pu le dire avec une telle conviction, même si ça aurait été également vrai.
Pour se faire des amies dans cette école il faut aller à l’hôpital et en ressortir. Ou peut-être que quelqu’un dise que vous êtes courageuse – je sais que Deirdre a dit ça. Peut-être avant ne croyaient-elles pas vraiment que j’avais un problème avec ma jambe ? Ou peut-être me plaignent-elles ? J’espère bien que non. Je détesterais ça. Mais quand même, sept gâteaux aujourd’hui, en comptant mon gâteau au miel. Deux brioches au sucre, deux aux raisins, un gâteau à la crème et un éclair. Je n’ai pas pu tout manger et j’ai donné une des brioches aux raisins à Deirdre. Je n’avais rien fait pour, pas même m’abstenir de faire de la magie, mais rien du tout. C’est très curieux. J’ai demandé à Miss Carroll quelle était la raison, à son avis, et elle a dit que c’était sans doute parce que j’étais allée à l’hôpital, en étais ressortie et n’avais pas fait toute une histoire, et que j’avais été mentionnée dans les prières, que j’étais maintenant là et que les gens pensaient à moi quand ils allaient acheter des gâteaux. Peut-être. Ça me semble très étrange.
J’ai écrit une lettre enthousiaste à Sam pour lui dire quelle idée géniale était l’acupuncture. Je n’ai même pas commencé à lire les livres qu’il m’a donnés, je ne lui en ai donc pas parlé. J’ai aussi écrit à Daniel, surtout pour lui dire que j’avais vu La Tempête , et à tante Teg à propos de l’acupuncture et de la pièce. J’ai envoyé la carte à Grampar.
J’en suis arrivée à la bataille des champs de Pelennor, qui est peut-être la plus grande scène jamais écrite.
Aujourd’hui, rien.
C’est ce que Louis XVI a écrit dans son journal le jour de la prise de la Bastille.
J’ai aidé Miss Carroll à tamponner et à ranger des livres nouvellement arrivés. Ils avaient tous l’air affreux, des histoires d’adolescents à problèmes – drogues, ou parents abusifs, petits amis qui obligent à avoir des relations sexuelles, ou la vie en Irlande. Je déteste ce genre de livres. Pour commencer, ils sont si incroyablement déprimants, et malgré ça on sait que tout le monde surmontera ses problèmes à la fin et Commencera à Grandir et Comprendra Comment le Monde Fonctionne. J’ai lu une demi-tonne de livres pour enfants de l’époque victorienne, parce qu’ils traînaient à la maison, Elsie Dinsmore, Les Quatre Filles du docteur March, Eric or Little by Little, What Katy Did . Ils sont tous d’auteurs différents, mais ils ont en commun le même ton moralisateur. De façon similaire, ces livres qui traitent de problèmes d’adolescents sont moralisateurs, même si ce n’est pas aussi archaïque ni aussi clairement exprimé que dans ces vieilleries. S’il faut lire un livre pour savoir comment surmonter l’adversité, je préfère, et de loin, Pollyanna aux œuvres de Judy Blume, bien que ça me dépasse qu’on puisse vouloir lire ça, alors qu’il y a toute la SF du monde. Même dans le domaine des livres destinés aux enfants, vous pouvez en apprendre bien plus sur ce que c’est que devenir adulte ou avoir une conduite éthique dans Otages de l’Espace ou Citoyen de la Galaxie.
J’ai rédigé mon compte rendu de La Tempête , et la plus grande partie de celui de Deirdre, qu’elle pourra recopier pendant l’étude. Pour qu’ils soient différents, j’ai axé le sien sur Miranda et le mien sur Prospero. En échange, elle fait mes maths. Je ne m’en sors simplement pas avec toutes ces équations à plusieurs inconnues, surtout que j’ai manqué quelques explications.
Terminé de lire Le Seigneur des Anneaux avec l’habituelle pointe de tristesse d’arriver au bout et que ce soit fini.
Ce soir, club de lecture, mais je ne connais pas le thème.
Le thème était Tiptree ! Je suis heureuse d’avoir su d’avance que c’était une femme, parce que ç’aurait été un choc terrible de le découvrir quand tout le monde aurait commencé à dire « elle ». Je n’ai pas lu tout Tiptree, seulement deux recueils de nouvelles, il va falloir que j’y remédie. Cela dit, je n’ai eu aucune difficulté à prendre part à la discussion, car nous avons parlé pendant des heures d’ Une fille branchée et Le Plan est l’amour, le plan est la mort , deux nouvelles que je connaissais très bien. C’est Harriet qui animait, ce qu’elle fait bien, sauf que je me rappelais qu’elle avait aussi animé le débat sur Le Guin, je me demandai donc s’il n’y avait pas là quelque chose. Je veux dire, pourquoi faire porter ses deux séances sur des femmes, alors qu’aucune des séances animées par des hommes ne l’avait été ?
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