Stephen King - Magie et Cristal

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Prisonniers de Blaine, le monorail fou lancé à pleine vitesse, Roland et ses compagnons filent vers leur destin et, espèrent-ils, la Tour Sombre, leur but ultime. Les épreuves ne font pourtant que commencer pour eux, puisqu’ils devront déjouer les pièges du train infernal pour affronter le Mal aux multiples visages — jusque dans leurs souvenirs et dans leurs rêves, peuplés de signes et de messages qu’ils sont bien en peine de déchiffrer. Ils savent qu’ils doivent protéger la Rose, réceptacle de tout ce que le monde compte encore de magique et de pur, et combattre l’odieux Roi Cramoisi. Les pistoleros ne sont pas au bout de leur quête…
STEPHEN KING
fait partie de ces écrivains qu’il n’est plus besoin de présenter.
autant de romans — et souvent de films — mondialement célèbres. Mais rien ne compte plus à ses yeux que le cycle de
son Grand Œuvre, une saga-fleuve monumentale dont il entama l’écriture alors qu’il était encore étudiant, et qui connaît enfin sa conclusion aujourd’hui.

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— Est-ce que quelqu’un plongé dans le coma peut mourir de faim ou de soif ? s’interrogea Cuthbert. C’est impossible, n’est-ce pas ?

— Si, dit Alain. Je crois que ça peut arriver.

Ils venaient de connaître une longue nuit de périple éprouvante pour les nerfs. Aucun des deux garçons n’avait fermé l’œil la veille, mais ce jour-là, ils dormirent comme des souches, la tête enfouie sous les couvertures pour masquer le soleil. Ils se réveillèrent à quelques minutes d’intervalle à son coucher, alors que la Lune du Démon, décroissante depuis deux jours, se levait au travers d’un banc de nuages tourmentés, annonciateurs de la première des grandes tempêtes d’automne.

Roland, redressé sur son séant, avait sorti le cristal du sac. Il le tenait dans ses bras, éclat de magie obscurci aussi mort que le regard du Gai Luron. Les yeux de Roland, morts eux aussi, fixaient avec indifférence les sentes forestières baignées de lune. Il consentit à manger, mais pas à dormir. Il consentit à boire aux cours d’eau qu’ils rencontrèrent chemin faisant, mais pas à parler. Et il ne consentit point à se séparer du fragment de l’Arc-en-Ciel de Maerlyn qu’ils ramenaient de Mejis, après l’avoir payé un prix aussi élevé. Il ne brilla pas pour lui, cependant.

Du moins pas , songea une fois Cuthbert, tant qu’Al et moi sommes réveillés pour le voir.

Comme Alain ne réussissait pas à obliger Roland à détacher ses mains du cristal, il posa les siennes sur les joues de son ami, faisant jouer le shining pour l’atteindre. Sauf qu’il n’y avait plus rien à atteindre, plus rien de présent. Ce qui chevauchait à leurs côtés, vers l’Ouest, vers Gilead, n’était ni Roland ni même le fantôme de Roland. Comme la lune une fois son cycle accompli, Roland s’en était allé.

QUATRIÈME PARTIE

TOUS LES Z’ENFANTS DU BON DIEU, Y Z’ONT DES SOULIERS

CHAPITRE 1

Le Kansas au matin

1

Pour la première fois depuis

(des heures ? des jours ?)

le Pistolero se tut. Il resta un instant à fixer le bâtiment à l’est de l’endroit où ils se trouvaient (avec le soleil derrière, le palais de verre n’était plus qu’une forme noire nimbée d’or), les avant-bras calés sur les genoux. Puis prenant l’outre posée près de lui sur l’asphalte, il l’éleva au-dessus de son visage et, bouche ouverte, la renversa.

Il but à la régalade — ses compagnons voyaient sa pomme d’Adam s’activer tandis que, s’étant rallongé sur la bande d’arrêt d’urgence, il laissait couler le contenu de la gourde un peu au hasard — comme si se désaltérer n’était pas de première nécessité pour lui. L’eau dégoulinait sur son front marqué de rides profondes, ruisselait sur ses paupières closes et le long de ses tempes, venait stagner dans le creux triangulaire à la base de sa gorge, mouillait ses cheveux qu’elle rendait plus sombres.

Reposant enfin l’outre de côté, il resta étendu ainsi, les yeux fermés, les bras allongés au-dessus de sa tête, comme un homme succombant au sommeil. De la vapeur s’élevait en délicates volutes de son visage humide.

— Ahhh, fit-il.

— Tu te sens mieux ? demanda Eddie.

Le Pistolero souleva les paupières, laissant apercevoir ce regard d’un bleu délavé, et pourtant si effrayant dans son genre.

— Oui. Je ne comprends pas comment cela se peut ni pourquoi je redoutais tellement de faire ce récit… oui, je me sens mieux.

— Un ologue de la psyché pourrait probablement te l’expliquer, fit Susannah, mais je doute fort que tu l’écouterais.

Les mains au creux des reins, elle s’étira en faisant la grimace… mais cette grimace n’était qu’un réflexe. La douleur et l’ankylose auxquelles elle s’était attendue étaient absentes et, à l’exception d’un léger craquement au bas de la colonne vertébrale, elle n’eut pas la satisfaction d’entendre le concert de cracs, clacs et plops habituel.

— Laisse-moi te dire un truc, fit Eddie. Ça donne tout son sens à l’expression « se soulager le cœur ». Depuis combien de temps on est là, Roland ?

— Une nuit à peine.

— Les esprits ont tout fait en une seule nuit , dit Jake d’un ton rêveur.

Il était assis en tailleur et Ote, installé au creux du losange formé par ses jambes croisées, levait vers lui ses yeux brillants, cerclés d’or.

Roland se redressa sur son séant, s’épongeant le visage de son bandana, et regarda Jake intensément.

— Qu’est-ce que tu viens de dire ?

— Ce n’est pas de moi. Mais d’un certain Charles Dickens. Il a écrit cette phrase dans Un conte de Noël. En une seule nuit, hum ?

— Est-ce que tu sens dans ton corps que ça a pris plus longtemps ?

Jake fit non de la tête. Il se sentait tout à fait comme un matin au réveil — et même mieux que certains. Il avait envie de pisser, mais n’avait pas les dents du fond qui baignaient ni rien de ce genre.

— Eddie ? Susannah ?

— Je me sens en forme, répondit Susannah. Ce qui ne serait sûrement pas le cas après une nuit blanche, et encore moins après plusieurs.

— Ça me rappelle un peu l’époque où j’étais junkie… fit Eddie.

— Comme tout et n’importe quoi, non ? le coupa Roland d’un ton sec.

— Oh, elle est bonne, celle-là ! répliqua Eddie. Y a de quoi hurler de rire. Le prochain train qui nous fait le coup de la folie, c’est toi qui t’y colleras pour lui poser les questions bêtes. Ce que je voulais dire, c’est qu’à force de passer des nuits et des nuits à planer, tu t’habitues à te sentir maxi vaseux et à côté de la plaque chauffante quand tu te lèves le matin… tête lourde, nez bouché, cœur qui cogne, verre pilé dans la colonne. Tu peux croire ton vieux pote Eddie sur parole, suivant comment tu te sens le matin, tu peux dire si la dope est bonne pour toi ou pas. Bref, t’en as tellement l’habitude — moi du moins, je l’avais — que lorsque tu passes une nuit sans, tu te réveilles le matin, tu t’assieds au bord du lit et tu te dis comme ça dans ta tête : qu’est-ce qui m’arrive, putain ? Ch’uis malade ou quoi ? J’me sens zarbi. j’aurais pas fait un infarctus en dormant des fois ?

Jake éclata de rire, puis se plaqua la main sur la bouche avec une violence telle qu’on eût dit qu’il voulait non seulement le stopper mais se le ravaler dans la gorge.

— Pardon, dit-il. Ça m’a fait penser à mon père.

— Encore un de la confrérie, hein ? dit Eddie. Bref, je m’attends à avoir mal partout, à être crevé, à craquer de partout quand je marche… mais je crois bien que tout ce qu’il me faut pour me sentir d’aplomb, c’est d’aller pisser un coup dans les buissons.

— Et de manger un morceau ? demanda Roland.

Le petit sourire qu’Eddie avait arboré jusque-là s’évanouit.

— Cette histoire m’a coupé l’appétit. Je n’ai pas du tout faim.

2

Eddie porta Susannah au bas du remblai et la déposa dans un bouquet de lauriers pour qu’elle y fasse ses besoins. Jake était à une centaine de mètres plus loin, vers l’est, dans un bosquet de bouleaux. Roland avait dit que, pour les siens, il utiliserait la bande d’arrêt urgent, puis froncé le sourcil quand ses amis de New York lui avaient éclaté de rire au nez.

Susannah ne riait plus quand elle sortit des buissons. Son visage était sillonné de larmes. Eddie ne lui posa pas de question ; il savait tout. Lui-même avait lutté contre cette envie.

Il la prit doucement dans ses bras et elle enfouit son visage dans son cou. Ils demeurèrent ainsi un petit moment.

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