En attendant, les autres gosses s’en sortent bien, même si Naomi nous a fait une sorte d’allergie, peut-être aux coquilles Saint-Jacques…
19 juillet 1995 (Chemin du Dos de la Tortue, Lovell)
Comme lors de mes précédentes expéditions dans l’Entre-Deux-Mondes, je me sens comme quelqu’un qui aurait passé un mois à bord d’une fusée lancée à pleine vitesse. Shooté aux gaz hallucinogènes. Je pensais que j’aurais plus de mal à rentrer dans ce livre-ci, beaucoup de mal, mais une fois de plus, il s’est trouvé que c’était aussi facile que de renfiler de vieilles chaussures confortables, comme ces bottillons genre western que j’avais achetés chez Bally, à New York, il y a trois ou quatre ans, et que je n’arrive pas à jeter.
J’en ai déjà écrit plus de 200 pages, et j’ai été ravi de trouver Roland et ses amis en train d’enquêter au milieu des décombres de la supergrippe. De trouver des indices à la fois de Randall Flagg et de Mère Abigaël.
Je pense que Flagg se révélera sans doute n’être autre que Walter, l’ennemi immémorial de Roland. Son nom complet est Walter O’Dim, et au départ c’était juste un gars de la campagne.
Tout ça se recoupe, en fait. Maintenant je vois comment, dans des proportions plus ou moins grandes, toutes les histoires que j’ai écrites me menaient à celle-ci. Et tu vois, ça ne me pose aucun problème. Écrire cette histoire, c’est comme rentrer au bercail.
Mais pourquoi y a-t-il toujours cette impression de danger, en même temps ? Pourquoi est-ce que je suis convaincu que, si on me retrouve mort d’une crise cardiaque à mon bureau (ou fauché sur ma Harley, probablement sur la Route 7), ce sera au moment où je travaille à ce Western Farfelu ? Sans doute parce qu’il y a tellement de gens qui attendent que je finisse ce cycle ? Et je veux le finir ! Dieu, oui ! Pas de Contes de Canterbury ni de Mystère d’Edwin Drood [32] The Mystery of Edwin Drood, roman inachevé de Charles Dickens. (N.d.T.)
sur mon CV, si je peux l’éviter, merci beaucoup. Et pourtant j’ai toujours ce sentiment qu’une force anticréatrice me cherche, et que je suis plus facile à trouver quand je travaille sur ces histoires-là.
Bon, fini les délires qui font flipper. Je pars en balade.
2 septembre 1995
J’espère avoir fini ce livre d’ici à cinq semaines. Celui-là m’a donné plus de fil à retordre, mais la trame me vient toujours avec une étonnante profusion de détails. J’ai regardé Les Sept Samouraïs, de Kurosawa hier soir, et je me demande si ça n’est pas la piste à suivre pour le volume 5, Les Loups-garous du Monde Ultime (ou équivalent). Je vais essayer de voir si un des vidéoclubs au bord de la route n’aurait pas en stock Les Sept Mercenaires, qui est la version américanisée du film de Kurosawa.
En parlant du bord de la route, j’ai failli sauter dans le fossé cet après-midi pour éviter un type en camionnette — il zigzaguait d’un côté à l’autre, visiblement ivre — sur la dernière portion de la Route 7, avant que je bifurque dans le Chemin du Dos de la Tortue, qui est plutôt protégé. Je ne pense pas en parler à Tabby. Ça la rendrait hystérique. Quoi qu’il en soit, je me suis fait ma petite « frayeur du piéton » et je suis bien content que ça ne se soit pas produit sur Slab City Hill.
9 octobre 1995
Ça m’a pris un peu plus longtemps que prévu, mais j’ai fini Magie et Cristal, ce soir…
19 août 1997
Avec Tabby, on vient de dire au revoir à Joe et à sa chère femme. Ils rentrent à New York. Je suis content d’avoir pu leur donner un exemplaire de Magie et Cristal. La première livraison de la version définitive était arrivée dans la matinée. Y a-t-il quoi que ce soit de plus beau ou qui sente meilleur qu’un livre neuf, surtout avec votre nom en couverture ? Je fais vraiment le plus beau métier du monde. Des gens réels me donnent de l’argent réel pour se balader dans mon imagination. Ou, devrais-je ajouter, les seuls à me paraître vraiment réels sont Roland et son ka-tet.
Je pense que les FL [33] Fidèles Lecteurs. (N.d.T.)
vont vraiment aimer celui-ci, pas seulement parce qu’il clôt l’histoire de Blaine le Mono. Je me demande si la mamie dans le Vermont, avec la tumeur au cerveau, est toujours vivante. Je suppose que non, mais si elle l’était, je serais heureux de lui en envoyer un exemplaire…
6 juillet 1998
Tabby, Owen, Joe et moi, on est allés à Oxford ce soir, pour voir le film Armageddon. Je l’ai aimé plus que j’aurais cru, en partie parce qu’on était en famille. C’est une histoire de fin du monde avec grand renfort d’effets spéciaux. Ça m’a fait réfléchir à La Tour Sombre et au Roi Cramoisi. Rien d’étonnant à ça, j’imagine.
Ce matin j’ai un peu travaillé à mon texte sur le Vietnam. Je suis passé de l’écriture à la main à mon Powerbook, alors j’imagine que c’est du sérieux. J’aime la façon dont Sully John réapparaît. Question : Roland Deschain et ses amis rencontreront-ils un jour le pote de Bobby Garfield, Ted Brautigan ? Et qui sont ces types ignobles pourchassant le vieux Tedster, au fait ? J’ai de plus en plus l’impression que tout mon travail est comme un trou noir dans lequel tout se précipite, pour finir aux confins de l’Entre-Deux-Mondes et du Monde Ultime.
La Tour Sombre est ma « super-histoire », mon gros œuvre, aucun doute là-dessus. Quand je l’aurai finie, j’ai bien l’intention d’y aller tout doux. Peut-être même de prendre ma retraite pour de bon.
7 août 1998
J’ai fait ma petite promenade habituelle dans l’après-midi, et ce soir j’ai emmené Fred Hauser avec moi, à la réunion des A.A. de Fryeburg. Sur le chemin du retour, il m’a demandé d’être son parrain et j’ai accepté. Je suis content pour lui ; je pense que cette fois il pense sérieusement à s’arrêter de boire. Je ne sais plus comment, il en est arrivé à parler des prétendus « Entrants ». Il dit qu’il y en a de plus en plus, dans les parages des Sept Villes, et que tout le monde ne parle que de ça.
« Comment ça se fait que moi , je n’en aie jamais entendu parler, alors ? », je lui ai demandé. Il ne m’a rien répondu, mais il m’a regardé avec un air tout drôle. Je l’ai un peu cuisiné, et Fred a fini par me dire : « Les gens n’aiment pas en parler quand tu es dans le coin, Steve, parce qu’on a relevé deux douzaines d’apparitions sur le Chemin du Dos de la Tortue au cours des huit derniers mois, et que tu es le seul à n’avoir rien vu. »
Pour moi, c’était à classer sans suite, alors je n’ai rien ajouté. Ce n’est qu’après la réunion — et après avoir déposé mon nouveau protégé — que j’ai compris ce qu’il avait voulu dire : les gens ne parlent pas des « Entrants » en ma présence parce que ces tarés croient que je suis RESPONSABLE de leur apparition. Je crois que je m’étais finalement habitué à être surnommé « le croque-mitaine de l’Amérique », mais là c’est carrément insultant…
2 janvier 1999 (Boston)
Avec Owen, on est descendus à l’hôtel Hyatt Harborside, ce soir, et demain on file vers la Floride (Tabby et moi parlons d’acheter quelque chose là-bas, mais on ne l’a pas encore dit aux gosses. Je veux dire, ils n’ont que vingt-sept, vingt-cinq et vingt et un ans — quand ils seront assez grands pour comprendre, peut-être… ah ah ah). Un peu plus tôt on a retrouvé Joe et on est allés voir Hollywood Sunrise, un film tiré de la pièce de David Rabe, Hurlyburly. Très bizarre, comme truc. En parlant de bizarre, j’ai eu une espèce de cauchemar de la Saint-Sylvestre, avant de quitter le Maine. Je ne me le rappelle pas exactement dans les détails, mais quand je me suis réveillé ce matin, j’avais écrit deux choses dans mon carnet de rêves. L’une était Bébé Mordred, comme un truc tiré d’une BD de Chas [34] Charles Addams (1912–1988), auteur de la célèbre bande dessinée d’humour macabre La famille Addams. (N.d.T.)
Addams. Ça, à la rigueur, j’ai pu comprendre ; ça doit faire référence au bébé de Susannah, dans les histoires de La Tour Sombre. Mais c’est l’autre chose qui me trouble. Il est écrit : 19/6/99, Ô Discordia.
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