Je peux savoir qui c’est, celle-là ?
9 septembre 1978
J’ai reçu mon numéro d’octobre avec « Le Pistolero ». Mon vieux, c’est plutôt pas mal.
Burt Hatlen m’a appelé, aujourd’hui. Il parle de m’engager pour un an à l’Université du Maine, comme écrivain à demeure. Il n’y a vraiment que Burt pour penser à un écrivaillon comme moi pour ce genre de boulot. Mais ça n’est pas inintéressant, comme idée.
29 octobre 1979
Et merde, encore bourré. Je vois à peine cette foutue page, mais je pense qu’il vaut mieux que j’écrive quelque chose avant d’aller comater. J’ai reçu une lettre d’Ed Ferman, de F & SF, aujourd’hui. Il va publier le deuxième chapitre de La Tour Sombre (celui dans lequel le Pistolero rencontre le gamin), sous le titre « Le Relais ». Il veut vraiment sortir toute la série, et je dois dire que ça me plaît pas mal. Je regrette juste de ne pas en avoir plus. Mais il faut aussi que je réfléchisse au Fléau — et puis il y a Dead Zone, bien sûr.
Mais tout ça me paraît presque secondaire, en ce moment. Je déteste me retrouver ici, à Orrington — je déteste qu’il y ait autant de passage sur la route, pour commencer. Owen a été à deux doigts de se faire renverser par un de ces camions Cianbro, aujourd’hui. Ça m’a foutu une trouille de tous les diables. Et ça m’a aussi donné une idée d’histoire, avec le petit cimetière animalier derrière la maison, « Simetierre », dit le panneau. Bizarre, non ? Ça fait sourire, mais ça fiche un peu la trouille, aussi. Ça fait très Les Contes de la Crypte.
19 juin 1980
Je viens de raccrocher d’avec Kirby McAuley. Il a reçu un appel de Donald Grant, qui publie plein de trucs de science-fiction sous son propre label (Kirby aime bien blaguer avec ça, en disant que Don est l’« homme qui a rendu Robert E. Howard tristement célèbre »). Bref, Don voudrait publier mes histoires du Pistolero, et sous le titre original, La Tour Sombre (sous-titre : « Le Pistolero »). Est-ce que c’est pas super ? Ma propre « édition limitée » ! Il en sortirait 10 000 exemplaires, plus 500 signés et numérotés. J’ai dit à Kirby de foncer et de conclure le marché.
Quoi qu’il en soit, on dirait que ma carrière dans l’enseignement est terminée, et je m’en suis mis une sévère, pour fêter ça. J’ai aussi ressorti le manuscrit de Simetierre, pour y jeter un œil. Mon Dieu, ce que c’est déprimant ! Je crois que les lecteurs me lyncheraient, s’il sortait, celui-là. Ce qui est sûr, c’est que voilà bien un livre qui ne verra jamais le jour…
27 juillet 1983
La revue Publishers Weekly [28] Littéralement : « L’Hebdo des Éditeurs ». Publishers Weakness signifie « la faiblesse des éditeurs ». (N.d.T.)
(que notre fils Owen appelle pour rire Publishers Weakness, et on peut dire qu’en règle générale c’est assez vrai) a publié une critique sur le dernier livre de Richard Bach… et une fois de plus, bébé, je me suis fait descendre en flammes. À les lire, c’est ennuyeux, et ça, mon ami, je sais que ça ne l’est pas. Oh, c’est sûr que de repenser à ça m’a facilité la tâche, quand il a fallu descendre à North Windham prendre 2 tonnelets de bière, pour fêter ça. Je les ai eus chez « Bibine en Gros ». Et puis je me suis remis à fumer, si tu veux savoir. J’arrêterai le jour de mes quarante ans, et ça n’est pas une promesse en l’air.
Oh, et puis Simetierre va sortir dans deux mois pile. Et là, ce sera vraiment la fin de ma carrière (je plaisante… du moins j’espère). Après réflexion, j’ai ajouté La Tour Sombre à la liste « du même auteur », au début du bouquin. Je me suis dit, après tout, pourquoi pas ? Oui, je sais que c’est épuisé — ils en avaient prévu que 10 000, nom de Dieu — mais c’était un vrai livre, et j’en suis fier. Je ne pense pas que je reviendrai sur les aventures de Roland le bon vieux Chevalier Errant qui Tire Plus Vite que Son Ombre, mais oui, je suis fier de ce livre.
C’est bien que je n’aie pas oublié la bière, moi.
21 février 1984
Mon vieux, j’ai reçu un appel délirant de Sam Vaughn, de chez Doubleday, cet après-midi (c’est lui qui a publié Simetierre , rappelle-toi). Je savais qu’il y avait des fans qui voulaient la suite de La Tour Sombre et qui étaient en rogne qu’elle ne soit pas écrite, parce que j’ai reçu du courrier, moi aussi. Mais Sam dit qu’eux en ont reçu plus de TROIS MILLE !! Et pourquoi, tu vas me demander ? Parce que j’ai été assez con pour mettre La Tour Sombre sur la liste de mes œuvres, dans l’édition de Simetierre. J’ai l’impression que Sam m’en veut un peu, et je dirais qu’il y a de quoi. Il dit que mentionner un livre que les fans attendent et qu’ils n’auront pas, c’est comme tendre un bout de viande à un chien affamé, en lui disant : « Non non, tu ne l’auras pas, c’est bête, hein ? » D’un autre côté, par Dieu et Jésus l’Homme, les gens sont tellement gâtés, bordel ! Ils s’imaginent que, sous prétexte qu’il y a dans ce monde un livre qu’ils veulent, alors ça leur donne un droit particulier sur ce livre. Ça ferait tordre de rire les types du Moyen Âge, qui entendaient parler de livres, et qui n’en voyaient pas un seul de toute leur vie. Le papier était une denrée rare (ce serait pas mal, d’ailleurs, dans le prochain « Pistolero/Tour Sombre », si jamais je m’y remets un jour) et les livres des trésors qu’on protégeait avec sa propre vie. J’adore ça, de pouvoir gagner ma vie en écrivant des histoires, mais quiconque dira que ça n’a pas ses mauvais côtés racontera que des conneries. Un jour je ferai un roman sur un vendeur de livres rares psychopathe (rires !)
En attendant, c’était l’anniversaire d’Owen, aujourd’hui. Il a sept ans ! L’âge de raison ! J’ai du mal à croire que mon plus jeune fils ait sept ans, et que ma fille en ait treize, une ravissante jeune femme, déjà.
14 août 1984 (New York)
Je reviens juste d’une réunion avec Elaine Koster, de chez NAL et mon agent, ce bon vieux Kirboo. Ils ont tous les deux insisté pour faire une édition en grand tirage du Pistolero, mais j’ai dit non. Peut-être un jour, mais je ne veux pas donner à tant de gens l’occasion de lire quelque chose d’aussi inachevé, à moins que/jusqu’au jour où je me remettrai au boulot sur ce livre.
Ce que je ne ferai sans doute jamais. Mais bon, j’ai une idée pour un autre long roman, avec un clown qui est en fait le monstre le plus répugnant que la terre ait porté. C’est pas une si mauvaise idée ; les clowns, ça fait peur. À moi, en tout cas (les clowns et les poulets, va savoir pourquoi).
18 novembre 1984
La nuit dernière, j’ai fait un rêve qui pourrait bien mettre fin au blocage que j’avais, pour Ça. Mettons qu’il existe une espèce de Rayon qui soutienne la Terre (ou des Terres multiples) ? Et que le générateur de ce Rayon repose sur le dos d’une tortue ? Je pourrais en faire la clé de voûte du bouquin, au moins en partie. Je sais que ça a l’air dingue, dit comme ça, mais je suis certain d’avoir lu quelque part que, dans la mythologie hindoue, il y a une grosse tortue qui nous porte tous sur sa carapace, et qu’elle sert Gan, la superpuissance créatrice. Et je me rappelle aussi une anecdote, dans laquelle une dame dit à un célèbre scientifique : « Cette histoire d’évolution, c’est ridicule. Tout le monde sait que c’est sur le dos d’une tortue que repose l’univers tout entier. » À ça, le scientifique (je pourrais me rappeler son nom, mais peu importe) répond : « Peut-être bien, madame, mais sur quoi repose la tortue ? » La dame y va de son petit rire méprisant, et répond : « Oh, vous ne m’aurez pas ! Rien que des tortues, jusqu’en bas. »
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