« Elles n’arrêtent pas, avec le sucre, dit-il, mais on n’a pas le cœur de faire quoi que ce soit. »
Mémé fronça les sourcils, puis désigna du menton, par-delà la brume qui recouvrait la cité, le scintillement de la neige au loin sur les montagnes du Bélier.
« Ça fait un bout de chemin, dit-elle. J’peux pas toujours aller et venir à mon âge.
— Nous pourrions vous fournir un bien meilleur balai, fit Biseauté. Un balai qui démarrerait au quart de tour sans besoin qu’on le pousse. Et vous, vous pourriez avoir un appartement ici. Et tous les vêtements qu’il vous plairait d’emporter », ajouta-t-il, recourant à l’arme secrète. Il avait sagement investi dans une conversation avec madame Panaris.
« Mmph, fit Mémé. De la soie ?
— Noire et rouge », précisa Biseauté. Une image de Mémé en soie rouge et noire lui traversa l’esprit au petit trot et il mordit à pleines dents dans son pain au lait.
« Et vous pourriez peut-être prendre quelques étudiants dans votre cottage pendant l’été, poursuivit Biseauté, pour des études extra-muros.
— Comment ça, extrêmement rosses ?
— Je veux dire qu’ils en retireraient un grand enseignement, j’en suis persuadé. »
Mémé considéra la proposition. Assurément, les cabinets avaient besoin d’une bonne vidange avant les grosses chaleurs, et la cabane des chèvres était mûre pour un nettoyage de printemps. Bêcher le carré d’Herbes, ça aussi, c’était une corvée. Le plafond de la chambre faisait honte à voir, et certaines des tuiles attendaient qu’on les remette en place.
« Des travaux pratiques ? fit-elle, songeuse.
— Absolument, répondit Biseauté.
— Mmph. Ben, je vais y réfléchir », dit Mémé, vaguement consciente qu’il ne fallait jamais trop s’avancer lors d’un premier rendez-vous.
« Peut-être vous plairait-il de dîner avec moi ce soir et de me donner votre réponse ? offrit Biseauté, les yeux brillants.
— Y a quoi, à manger ?
— Viande froide et pommes de terre. » Madame Panaris avait bien fait les choses.
Et voilà.
Esk et Simon en vinrent à explorer un tout nouveau type de magie que personne ne comprenait vraiment mais que tout le monde estimait néanmoins très intéressant et, d’une certaine façon, rassurant.
Peut-être plus important, les fourmis employèrent tous les morceaux de sucre qu’elles purent voler à la construction, dans l’un des murs creux, d’une petite pyramide où elles ensevelirent en grande pompe le corps momifié d’une reine défunte. Sur le mur de l’une des minuscules chambres secrètes elles inscrivirent, en hiéroglyphes d’insectes, le vrai mystère révélé de la longévité.
Elles l’avaient bel et bien résolu, et leur découverte aurait probablement eu d’incalculables répercussions sur l’univers si l’inondation suivante de l’Université ne l’avait complètement effacée.
AINSI PREND FIN
LA HUITIÈME FILLE,
TROISIÈME LIVRE DES
ANNALES DU DISQUE-MONDE
Traduit de l’anglais par Patrick Couton
L’ATALANTE
Nantes
Illustration de couverture : Josh Kirby
EQUAL RITES
1 republication : Colyn Smithe Ltd.
© Terry Pratchett, 1994
1 èreédition : Victor Gollanez Ltd, Londres
© Librairie l’Atalante. 1994, pour la traduction française
ISBN 2-905158-84-0
Librairie l’Atalante, 11 15, rue des Vieilles-Douves, 44000 Nantes
Une corporation éminemment respectable qui constituait en fait le principal service chargé de faire respecter la loi en ville. En voici la raison : on avait fixé à la Guilde un quota annuel équivalant à une quantité socialement acceptable de vols, agressions et assassinats ; en retour, elle veillait d’une façon radicale et définitive à ce que le crime non officiel soit non seulement rapidement jugulé, mais aussi garrotté, découpé, démembré et dispersé de par la cité dans un assortiment de sacs en papier. La mesure passait pour éclairée en même temps qu’économique, sauf aux yeux des mécontents qui se faisaient vraiment agresser ou assassiner et refusaient d’y reconnaître leur devoir de citoyen, et elle permettait aux voleurs de la cité de structurer décemment leur métier, avec examens d’entrée et déontologie, tout comme dans les autres professions – auxquelles, le fossé n’étant de toute façon pas très large, il avait vite fini par ressembler.