Après avoir glissé l’épée dans sa ceinture, elle se faufila de branche en branche et rejoignit le sol. Si la clarté lunaire peignait d’argent laiteux l’écorce du barral tandis qu’Arya portait ses pas vers lui, la nuit bitumait les cinq lancéoles pourprées de ses feuilles. La face sculptée dans le tronc vous dévisageait. C’était une face effroyable, avec sa bouche tordue, ses yeux flamboyants de haine. Etait-ce là l’aspect d’un dieu ? Les dieux étaient-ils vulnérables, tout comme les gens ? Je devrais prier, se dit-elle brusquement.
Elle tomba sur ses genoux. Elle ne savait trop par où commencer. Elle joignit les mains. Aidez-moi, vous, les dieux anciens, demanda-t-elle en silence. Aidez-moi à tirer ces hommes de leur cachot pour tuer ser Amory, et ramenez-moi à la maison, à Winterfell. Faites de moi un danseur d’eau et un loup sans plus de peur, jamais.
Cela suffisait-il ? Ne fallait-il pas prier à voix haute pour se faire entendre des anciens dieux ? Elle devait, peut-être, prier plus longuement. Il arrivait à Père de prier très très longuement, se souvint-elle. N’empêche que les anciens dieux l’avaient abandonné. Cette pensée la mit hors d’elle. « Vous auriez dû le sauver ! gronda-t-elle. Il vous priait tout le temps. Ça m’est bien égal, que vous m’aidiez ou pas ! Vous en seriez bien incapables, d’ailleurs, je crois, même si vous vouliez… !
— Il ne faut pas moquer les dieux, petite. »
La voix la fit tressaillir, bondir sur ses pieds, tirer son épée de bois. Jaqen H’ghar se tenait si parfaitement immobile dans les ténèbres qu’on l’eût pris pour un arbre parmi les arbres. « Un homme vient entendre un nom. Après un puis deux suit trois. Un homme voudrait avoir terminé. »
Elle abaissa vers le sol la pointe hérissée d’échardes. « Comment saviez-vous que j’étais ici ?
— Un homme voit. Un homme entend. Un homme sait. »
Elle lui décocha un regard soupçonneux. Etait-il l’envoyé des dieux ? « Comment avez-vous fait tuer Weese par son propre chien ? Et Rorge et Mordeur, les avez-vous tirés de l’enfer ? Et Jaqen H’ghar, c’est votre vrai nom ?
— Certains êtres ont des tas de noms. Belette. Arry. Arya. »
Elle recula, recula, finit par se retrouver adossée contre l’arbre-cœur. « Gendry a parlé ?
— Un homme sait, répéta-t-il. Lady Stark, ma dame. »
Il était peut-être, vraiment , l’envoyé des dieux. Afin d’exaucer ses prières. « J’ai besoin de votre aide pour tirer ces hommes de leur cachot. Le nommé Glover et les autres, tous. Il nous faudra tuer les gardes et nous débrouiller pour forcer la porte…
— Une petite oublie, dit-il sans s’émouvoir. Deux elle a eus, trois étaient dus. S’il faut qu’un garde meure, elle n’a qu’à dire son nom.
— Mais un garde ne suffira pas, il nous faut les tuer tous pour ouvrir le cachot ! » Elle se mordit violemment la lèvre afin de réprimer ses pleurs. « Je veux que vous sauviez les hommes du Nord comme moi je vous ai sauvé. »
Il la toisa d’un air impitoyable. « Trois vies ont été dérobées à un dieu. Trois vies doivent être remboursées. Il ne faut pas moquer les dieux. » Sa voix avait le soyeux de l’acier.
« Je ne les moquais pas. » Elle réfléchit un moment. « Le nom…, puis-je nommer n’importe qui ? Et vous le tuerez ? »
Il inclina la tête. « Un homme a dit.
— N’importe qui ? répéta-t-elle. Homme, femme, nouveau-né, lord Tywin ou le Grand Septon, votre propre père ?
— Le géniteur d’un homme est mort depuis longtemps mais, s’il était en vie et qu’une petite connaisse son nom, il mourrait sur ordre d’une petite.
— Jurez-le, dit-elle. Jurez-le par les dieux.
— Par tous les dieux de la mer et de l’air et même par celui du feu, je le jure. » Il enfonça sa main dans la gueule de l’arbre-cœur. « Par les sept dieux nouveaux et par les innombrables dieux anciens, je le jure. »
Il a juré. « Même si je nommais le roi…
— Nomme-le, et la mort viendra. Viendra demain ou lors du changement de lune ou dans un an d’ici, viendra. Un homme ne vole pas comme un oiseau, mais un pied avance et puis l’autre et, un jour, un homme est là, et un roi meurt. » Il s’agenouilla, de sorte qu’ils se retrouvèrent bien face à face. « Une petite dit tout bas si elle craint de dire haut. Tout bas, maintenant. C’est Joffrey ? »
Elle avança les lèvres et, dans l’oreille, lui souffla : « C’est Jaqen H’ghar. »
Même quand, dans la grange en feu, des murs de flammes le dominaient et le cernaient, captif et aux fers, il n’avait pas eu l’air si égaré qu’à présent. « Une petite…, elle veut rire…
— Vous avez juré. Les dieux vous ont entendu jurer.
— Les dieux ont entendu. » Dans sa main venait subitement d’éclore un couteau dont la lame était aussi fine que le petit doigt d’Arya. A qui, d’elle ou de lui, le destinait-il ? impossible à dire… « Une petite va se désoler. Une petite va perdre son unique ami.
— Vous n’êtes pas mon ami. Un ami ne demanderait qu’à m’aider. » Elle s’écarta de lui, oscilla sur la pointe des pieds, au cas où il lancerait le couteau. « Jamais je ne tuerais un ami. »
Un sourire effleura les lèvres de Jaqen et s’évanouit. « Une petite pourrait alors… nommer un autre nom, si un ami aidait ?
— Une petite pourrait, dit-elle. Si un ami aidait. »
Le couteau disparut. « Viens.
— Maintenant ? » Elle n’avait pas une seconde envisagé qu’il agirait si promptement.
« Un homme entend chuinter le sable dans un verre. Un homme ne dormira pas tant qu’une petite n’aura pas dédit certain nom. Maintenant, méchante enfant. »
Je ne suis pas une méchante enfant , nia-t-elle mentalement, je suis un loup-garou et le fantôme d’Harrenhal. Elle alla déposer le bâton de bruyère dans sa cachette et suivit Jaqen hors du bois sacré.
En dépit de l’heure, Harrenhal s’activait d’une vie incongrue. L’arrivée de Varshé Hèvre avait bouleversé toutes les routines. Chars à bœufs, bœufs, chevaux, tout avait débarrassé la cour, mais la cage à l’ours s’y trouvait encore. On l’avait suspendue par de lourdes chaînes à la voûte du ponceau qui reliait le poste extérieur au poste médian, et elle s’y balançait à quelques pieds du sol. Un cercle de torches en illuminait les parages. Des garçons d’écurie décochaient des pierres au fauve afin de le faire rugir et gronder. A l’autre extrémité, des flots de lumière se déversaient par la porte de la salle des Garnisaires, ainsi que le fracas des chopes et les beuglements de soudards réclamant du vin. Entonnés par une douzaine de voix dans un idiome guttural fusèrent des couplets qu’Arya trouva passablement barbares.
Ça picole et s’empiffre avant d’aller pioncer, saisit-elle soudain. Qu’il ait envoyé quelqu’un me réveiller pour aider au service, et Zyeux-roses apprendra que j’ai découché. Elle se rassura vaille que vaille. Il devait s’affairer à abreuver les Braves Compaings et ceux des bougres de ser Amory qui s’étaient joints à eux. Le tapage que tout ça faisait le distrairait bien…
« Les dieux affamés se repaîtront de sang, cette nuit, si un homme fait cette chose, dit Jaqen. Douce petite, gente et gentille. Dédis un nom et dis un autre et dissipe ce mauvais rêve.
— Non.
— Soit. » D’un air résigné. « La chose sera faite, mais une petite doit obéir. Un homme est trop pressé pour bavarder.
— Une petite obéira, promit-elle. Que dois-je faire ?
— Cent ventres ont faim, leur faut manger, messire commande une soupe chaude. Une fille court aux cuisines dire à son mitron.
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