En outre, sa jambe le démangeait.
Il essaya de tendre le bras pour se gratter, mais sa main toucha quelque chose de petit et de forme irrégulière. Il réussit à entourer l’objet de ses doigts.
Au toucher, ça ressemblait à une botte d’allumettes.
Dans un cercueil ? Est-ce qu’on croyait qu’il allait tranquillement fumer un cigare, histoire de passer le temps ?
Après pas mal d’efforts, il parvint à ôter une chaussure en poussant dessus avec l’autre pied et à la remonter jusqu’à ce qu’il puisse l’attraper. Elle lui fournit une surface rugueuse sur laquelle gratter une allumette…
Une lumière sulfureuse emplit son petit monde oblong.
Un tout petit bout de carton était épinglé à l’intérieur du couvercle.
Il le lut.
Il le relut.
L’allumette s’éteignit.
Il en gratta une seconde, rien que pour s’assurer de l’existence de ce qu’il avait lu.
Le message lui parut toujours aussi curieux, même à la troisième lecture :
Mort ? Déprimé ?
Envie de repartir à zéro ?
Alors pourquoi ne pas venir au
CLUB DU NOUVEAU DEPART ?
Tous les mardis, minuit, 668 rue de l’Orme
OUVERT À TOUS – TENUE DE SUAIRE NON EXIGÉE
La seconde allumette s’éteignit en consumant ce qui restait d’oxygène.
Vindelle resta un instant dans le noir à réfléchir à ce qu’il allait faire ensuite tout en finissant de manger le céleri.
Qui aurait dit ça ?
Feu Vindelle Pounze comprit soudain qu’il avait fait erreur en s’imaginant que rien n’était plus son problème mais celui des autres. Au moment où il se croyait mis au rancart, il découvrait toute l’étrangeté du monde. Il savait par expérience que les vivants ne perçoivent jamais la moitié de ce qui se passe réellement autour d’eux parce qu’ils sont trop occupés à vivre. Le spectateur jouit d’une meilleure vue d’ensemble, se dit-il.
Les vivants ignorent l’étrange et le merveilleux parce que la vie déborde d’ennui et de banalité. Mais elle est pourtant étrange, la vie. On y voit des vis qui se dévissent toutes seules, de petits messages rédigés à l’intention des morts.
Il résolut de découvrir ce qui se passait. Puis… si la Mort ne voulait pas venir à lui, c’est lui qui irait à la Mort. Il avait des droits, tout de même. Ouais. Il lancerait la plus grande recherche de disparu de tous les temps.
Vindelle sourit dans l’obscurité.
Disparu présumé Mort.
Aujourd’hui, c’était le premier jour du temps qui lui restait à vivre.
Et Ankh-Morpork était à ses pieds. Enfin, métaphoriquement. Il ne pouvait que remonter la pente.
Il leva les mains, sentit la carte dans le noir et la décrocha. Il se la colla entre les dents.
Vindelle Pounze prit appui des talons contre le bout de la caisse, se passa les mains au-dessus de la tête et poussa.
Le terreau détrempé d’Ankh-Morpork bougea légèrement.
Vindelle marqua un temps, habitué à reprendre son souffle, et s’aperçut que ça ne servait à rien. Il poussa encore. L’extrémité du cercueil se fendit.
Il ramena vers lui les morceaux de pin qu’il déchira comme du vulgaire papier. Il se retrouva avec un bout de planche qui aurait fait une pelle parfaitement inutile pour quiconque ne jouissait pas de la force d’un zombi.
Il se retourna sur le ventre puis, déblayant autour de lui à l’aide de sa pelle improvisée la terre qu’il tassait ensuite avec les pieds, Vindelle Pounze se creusa un tunnel vers un nouveau départ.
Imaginez un paysage, une plaine ondoyante.
C’est l’été finissant au pays de l’herbe octarine que surplombent les pics vertigineux des montagnes du Bélier, et les couleurs dominantes sont la terre d’ombre et l’or. La canicule dessèche la contrée. Les sauterelles grésillent comme dans une poêle à frire. Même l’atmosphère a trop chaud pour bouger. C’est l’été le plus torride de mémoire d’homme, et dans ces régions ça fait très, très long.
Imaginez une silhouette à cheval qui suit lentement une route couverte d’une couche épaisse de poussière entre des champs de blé déjà prometteurs d’une moisson exceptionnellement abondante.
Imaginez une clôture de bois mort tout sec. Un écriteau y est accroché. Le soleil en a décoloré le texte, mais il reste lisible.
Imaginez une ombre qui s’étend sur l’écriteau. On l’entend presque lire les mots.
Un sentier s’écarte de la route pour se diriger vers un petit groupe de bâtiments blanchis au soleil.
Imaginez des pas traînants.
Imaginez une porte, ouverte.
Imaginez une pièce sombre et fraîche entrevue par l’entrée. Il ne s’agit pas d’une pièce où l’on vit beaucoup. Plutôt d’une pièce pour ceux qui vivent dehors mais doivent s’abriter de temps en temps, quand la nuit tombe. Une pièce pour les harnais et les chiens, une pièce où l’on tend les toiles cirées à sécher. À l’intérieur, un tonneau de bière près de la porte. Du carrelage par terre et, le long des poutres du plafond, des crochets pour suspendre des jambons. Une table soigneusement récurée où pourraient s’asseoir trente hommes affamés.
Mais il n’y a pas d’hommes. Ni de chiens. Ni de bière. Ni de jambons.
Un silence suivit les coups frappés à la porte, que rompit le claquement de pantoufles sur le carrelage. Enfin, une vieille femme maigre dont la figure avait la couleur et la texture d’une noix passa un œil par la porte.
« Oui ? fit-elle.
— L’ÉCRITEAU DIT “ON DEMANDE UN AIDE”.
— Ah bon ? Ah bon ? Il est là-bas depuis avant l’hiver !
— EXCUSEZ-MOI. VOUS N’AVEZ PAS BESOIN D’AIDE ? »
La figure ridée regarda l’inconnu d’un air songeur.
« J’peux pas payer plus d’six sous la semaine, v’savez », dit-elle.
La haute silhouette dressée devant la lumière du jour donna l’impression de réfléchir.
« ÇA VA, finit par accepter l’inconnu.
— J’sais même pas par où vous faire commencer. On a pas vraiment eu d’aide ici depuis trois ans. J’engage les bons à rien d’fainéants du village d’à côté quand j’ai b’soin.
— OUI ?
— Ça vous est égal, alors ?
— J’AI UN CHEVAL. »
La vieille femme tendit le cou pour regarder derrière l’étranger. Dans la cour attendait le cheval le plus impressionnant qu’elle ait jamais vu. Ses yeux s’étrécirent.
« Et c’est ça, votre cheval, hein ?
— Oui.
— Avec plein d’argenterie sur les harnais et tout ?
— OUI.
— Et vous voulez travailler pour six sous la semaine ?
— OUI. »
La vieille pinça les lèvres. Son regard passa en revue l’étranger, le cheval et le délabrement général de la ferme. Elle parut prendre une décision, sans doute après s’être dit qu’elle n’avait pas grand-chose à craindre d’un voleur de chevaux, puisqu’elle n’en possédait pas.
« Pour dormir, vous irez dans la grange, compris ? fit-elle.
— DORMIR ? Oui. BIEN SÛR. OUI, IL FAUDRA QUE JE DORME.
— J’peux pas vous prendre dans la maison, n’importe comment. Ça s’rait pas correct.
— LA GRANGE ME CONVIENT PARFAITEMENT, JE VOUS ASSURE.
— Mais vous pourrez venir dans la maison pour les repas.
— MERCI.
— Je m’appelle mademoiselle Trottemenu.
— Oui. »
Elle attendit.
« J’présume que vous avez un nom, vous aussi, lui souffla-t-elle.
— OUI. C’EST VRAI. »
Elle attendit encore.
« Alors ?
— PARDON ?
— C’est quoi, vot’nom ? »
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